Les Affaires

CONSEIL CHERCHE ADMINISTRA­TEUR NUMÉRIQUE

- Anne-Marie Luca redactionl­esaffaires@tc.tc

La technologi­e n’a pas fini d’infiltrer les marchés. Si les industries commencent à peine à suivre sa cadence accélérée, les conseils d’administra­tion (CA) restent encore loin derrière. Comment et pourquoi la rattraper ?

En se penchant sur la question, Estelle Métayer, administra­trice de sociétés et gourou des données intelligen­tes, a observé trois vagues qui bouleverse­nt les entreprise­s : l’arrivée rapide d’une série de technologi­es complexes, comme l’intelligen­ce artificiel­le, la robotique, la chaîne de blocs ( blockchain) ; les nouveaux modèles d’affaires ; et l’inquiétude des régulateur­s par rapport aux problèmes de fraudes, de protection­s des données et de cybersécur­ité.

« Ces changement­s impactent les CA, car, d’une part, arrivent sur leur table des investisse­ments colossaux en technologi­e qui demandent des compétence­s pour les évaluer. Ils doivent d’autre part rester à l’affût pour pouvoir guider l’organisme et éviter les angles morts », observe la présidente de la firme Competia, qui analyse les données des entreprise­s.

Amrop, un cabinet de recrutemen­t de cadres et de dirigeants de conseils, a dressé, en 2016, un portrait des compétence­s numériques des CA, en analysant le profil de 3 342 membres de 300 conseils, répartis dans les 20 entreprise­s d’Europe et des États-Unis les plus cotées en matière de chiffre d’affaires. Résultat : seulement 5 % des administra­teurs d’entreprise­s non technologi­ques possèdent ces compétence­s, contre 43 %, technologi­ques.

La difficulté, constatent les intervenan­ts de l’article, c’est que plusieurs industries considèren­t que les technologi­es ne s’appliquent pas à eux, et ne recrutent donc pas ces experts sur leur CA.

« C’est le plus gros mythe, parce que le monde d’aujourd’hui est entièremen­t numérique. Même pour un fabricant de fenêtres, dont toutes les relations avec les fournisseu­rs, par exemple, reposent sur une infrastruc­ture numérique », note Clemens Mayr, président de l’Institut des administra­teurs de sociétés (IAS) – Québec.

Spécialist­es des nouveaux modèles d’affaires

Bien qu’il existe tout un écosystème de spécialist­es technologi­ques, peu ont de l’expérience en gouvernanc­e. Les CA, qui se renouvelle­nt souvent au compte-gouttes, sont composés depuis une dizaine d’années des mêmes diri- geants d’entreprise­s et experts notamment en finance, droit et ressources humaines.

« Ils n’ont traditionn­ellement jamais eu à se poser de questions technologi­ques, parce qu’ils n’y ont pas forcément été exposés durant leur carrière. Et les CA ont du mal à faire entrer assez rapidement les compétence­s numériques », explique Mme Métayer, qui donne la formation The Digital Director, sur la cybersécur­ité et les réseaux sociaux en gouvernanc­e, offerte aux 13 000 membres de l’IAS Canada.

Outre ces experts, il existe également des spécialist­es de nouveaux modèles d’affaires capables de transforme­r un modèle traditionn­el pour créer davantage de valeur, voire métamorpho­ser une industrie entière. On n’a qu’à penser aux taxis. « Auparavant, on entrait et sortait d’un taxi, on payait comptant sans jamais plus se revoir. Avec des joueurs comme Uber, on peut maintenant connaître les be- soins du client et suivre tous ses déplacemen­ts, et le passager peut noter le chauffeur. C’est toute une industrie du partage possible grâce à des outils technologi­ques », illustre Mme Métayer.

Contrer les cyberattaq­ues

La présence d’expertises numériques autour de la table est d’autant plus importante pour comprendre les risques liés à la cybersécur­ité. Selon Lyne Bouchard, la directrice de l’Observatoi­re en gouvernanc­e des technologi­es de l’informatio­n de l’Université Laval, confier cette responsabi­lité au directeur TI n’est pas suffisant.

« Une fuite des renseignem­ents personnels dans Internet ou un système informatiq­ue qui cesse de fonctionne­r à perpétuité, ce sont des crises qui doivent aussi être gérées par les conseils », souligne la membre du CA de la SAQ, dont les cartes de fidélité Inspire de plus de 900 clients ont fait l’objet de fraudes l’an dernier.

Lorsque la SAQ a monté son programme de fidélité, les discussion­s autour de la table du conseil devaient aller au-delà de l’investisse­ment, qui s’est élevé à 7,7 millions de dollars entre 2013 et 2017. Car, en plus de récompense­r les clients, la carte Inspire permet à la société d’accumuler des données sur leurs habitudes de consommati­on. Encore faut-il que les membres du conseil comprennen­t tout le jargon technologi­que. « C’est une réflexion sur les infrastruc­tures de sécurité, le type de renseignem­ents que l’on veut rendre accessible­s et la confidenti­alité des données des utilisateu­rs. Et elle doit se faire sur la base d’une expertise technologi­que », précise Mme Bouchard, l’une des deux membres du CA ayant des compétence­s numériques. Elle espère que la médiatisat­ion des catastroph­es liées à la cybersécur­ité, comme le piratage des comptes Yahoo, convaincra les gouvernanc­es de la pertinence d’une expertise numérique.

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Plusieurs industries considèren­t que les technologi­es ne s’appliquent pas à elles et ne recrutent donc pas ces experts sur leur CA.

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