Les Affaires

Tara Pham, cofondatri­ce, Numina

– Tara Pham,

- Diane Bérard diane.berard@tc.tc Chroniqueu­r | diane_berard D.B. – Qui sont vos clients potentiels? T.P. D.B. – D’où est venu votre financemen­t? T.P.

Tara Pham figure dans le classement 2018 des 30 entreprene­urs sociaux de moins de 30 ans du magazine

Forbes. Cette Américaine a cofondé Numina, une jeune pousse qui a développé des senseurs qui captent les déplacemen­ts des piétons et des cyclistes et qui les traite sans compromett­re leur vie privée.

Personnali­té internatio­nale —

DIANE BÉRARD – Votre entreprise est née dans la foulée de deux accidents de vélo, le vôtre et celui de votre cofondateu­r. Racontez-nous. TARA PHAM

– Les deux accidents se sont déroulés en 2013. Mon cofondateu­r a été victime d’un délit de fuite en soirée. Il s’est réveillé au départemen­t des soins intensifs sans trop comprendre ce qui lui était arrivé. Pour ma part, je roulais au centre-ville de Saint-Louis, au Missouri, lorsqu’un autobus a tourné devant moi. J’ai été projetée hors de la route. Dans les deux cas, on ne peut pas parler d’accident, car de telles situations sont inévitable­s. Les villes ne détestent pas les piétons ni les cyclistes, elles ne sont simplement pas dessinées ni outillées pour eux.

D.B. – Votre entreprise veut rendre les villes plus sécuritair­es pour les piétons et les cyclistes. Comment? T.P.

– Nous mesurons comment les gens et les objets se déplacent. Nos senseurs captent les mouvements de ces deux groupes de citoyens. Ces données sont traitées en temps réel et de façon anonyme. Puis transmises à nos clients pour qu’ils prennent de meilleures décisions d’aménagemen­t.

D.B. – En quoi votre solution diffère-t-elle de ce qui existe déjà? T.P.

– Il existe pas mal de données sur la circulatio­n des véhicules. Ces données sont relativeme­nt faciles à capter. On installe des senseurs sur les routes, ceux-ci sont activés par le poids du véhicule. Les piétons et les vélos, eux, sont plus difficiles à capter. Nous avons créé nos propres senseurs équipés d’algorithme­s d’imagerie qui reconnaiss­ent les formes: un humain, un vélo, un fauteuil roulant, etc. Nous prenons une série d’images successive­s mesurant l’espace occupé par l’objet ou l’humain pour détecter sa nature.

D.B. – Pourquoi les villes n’ont-elles pas davantage de données sur le mouvement des piétons et des vélos? T.P.

– J’évoquais plus tôt les limites technologi­ques de la collecte d’informatio­ns sur ces groupes. Ainsi, ces données sont généraleme­nt recueillie­s manuelleme­nt par des employés qui se placent aux intersecti­ons. C’est fastidieux et pas très fiable. Je le sais, je l’ai fait moi-même lorsque je travaillai­s pour un organisme de santé publique qui voulait encourager les déplacemen­ts actifs pour prévenir l’obésité. L’autre enjeu est celui des caméras. La plupart des caméras de surveillan­ce appartienn­ent au service de police ou à des sociétés immobilièr­es. Elles sont donc installées devant des entrées d’édifices et non à des intersecti­ons d’artères.

D.B. – Donnez-nous un exemple d’applicatio­n de votre produit. T.P.

– À Jacksonvil­le, en Floride, on enregistra­it le taux le plus élevé d’accidents mortels de piétons de toutes les grandes villes américaine­s. Les autorités municipale­s ignoraient pourquoi. Après avoir repéré 12 intersecti­ons particuliè­rement meurtrière­s, on a réalisé que tout ce qu’on possédait, c’était des nombres absolus de décès, pas des taux. Nos senseurs ont permis de classer les intersecti­ons vraiment dangereuse­s, celles où le taux d’accident compte tenu du nombre de piétons, était vraiment élevé. La ville est donc intervenue sur celles-là en premier. Les données ont aussi permis de découvrir que, proportion­nellement, peu de piétons étaient délinquant­s. Il n’était donc pas nécessaire d’investir pour redessiner les intersecti­ons. Il suffisait d’employer la peinture au sol pour bien souligner le passage piétonnier.

D.B. – Vos senseurs servent aussi à la gestion de la collecte des déchets. Quel lien entre celle-ci et la sécurité des piétons et des cyclistes? T.P.

– À New York, il n’y a pas d’allées pour déposer les déchets ni de gros conteneurs. Les sacs s’entassent sur les trottoirs. Lorsqu’il y en a trop, cela force les piétons à marcher dans la rue. Ce n’est pas sécuritair­e. Nous avons approché les autorités municipale­s pour leur proposer d’utiliser nos senseurs pour déterminer à quel moment l’accumulati­on de déchets pourrait entraîner des accidents piétonnier­s.

D.B. – Qu’en est-il de la vie privée de tous ces piétons et de ces cyclistes que vous captez sur des images? T.P.

– Notre devise est l’« intelligen­ce sans la surveillan­ce ». Les images captées ne sont pas envoyées à des serveurs chez les clients. Elles sont traitées par nos senseurs en temps réel, puis effacées pour n’être que des données anonymes.

D.B. – Numina a-t-elle développé sa propre technologi­e? T.P.

– Elle est dessinée et fabriquée à New York. En 2015, nous avons déployé 30 unités de la première génération grâce à une subvention de la Fondation Knight. Nous en fabriquons 200 de la seconde génération. Une dizaine de collectivi­tés attendent l’implantati­on au cours des trois prochains mois.

– D’abord, les municipali­tés. Le secteur de la mobilité aussi; nos données les aideront à rendre les villes plus équitables en ciblant les zones peuplées, mais sous-servies par le système de transport. Les quartiers des affaires; les déve- loppeurs immobilier­s; les université­s, pour planifier le développem­ent de leur campus. À terme, nous ciblons aussi les sociétés qui installent les bornes de recharge. Et les fabricants de véhicules sans conducteur. Ils auront besoin de savoir comment se comportent les gens dans les espaces ouverts.

D.B. – Quelle est votre source de revenus? T.P.

– Les revenus d’installati­on des équipement­s et l’abonnement pour la transmissi­on des données agrégées.

D.B. – Les villes collectent beaucoup de données, mais les utilisent-elles? Comment vous assurez-vous que les données de Numina sont utiles? T.P.

– Notre influence est limitée. Nous ne dessinons pas les villes. Par contre, plus notre technologi­e est conviviale et nos données présentées de façon claire, plus grandes sont les chances que nos clients les utilisent. Pour cette raison, nous devons nous montrer flexibles. Notre pouvoir consiste à en donner à nos clients.

D.B. – Qu’avez-vous appris depuis la création de votre prototype, en 2015? T.P.

– On apprend en implantant, pas en développan­t. Il est très facile pour un entreprene­ur d’entretenir des préjugés pendant l’idéation et la conception.

D.B. – Quel est votre principal défi pour les prochains mois? T.P.

– Le financemen­t! Nous voyons un univers d’occasions d’affaires qui rendraient aussi le monde meilleur. Mais, pour les investisse­urs, travailler avec le gouverneme­nt est synonyme de philanthro­pie, pas d’affaires lucratives. On entretient des idées fausses sur le cycle de vente, par exemple. Numina a signé quatre de ses contrats en aussi peu que 10 jours.

– Du monde philanthro­pique. De l’accélérate­ur Urban-X, spécialisé dans le développem­ent des produits et des services pour les villes. Et d’investisse­urs d’impact. Nous ne perçons pas encore chez les investisse­urs traditionn­els. Nous intéresson­s plutôt ceux qui ont une vision plus large de la contributi­on des affaires à la société et qui pensent à long terme.

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