La politique québécoise en architecture, c’est pour bientôt ?
concours d’architecture pour choisir un projet, connaissent souvent une hausse de fréquentation et une augmentation de la durée des visites. »
La bibliothèque Monique-Corriveau, de Québec, par exemple, est montrée par l’industrie comme étant un succès extraordinaire à cet égard. Un an après avoir été déménagée dans une ancienne église réhabilitée au look moderne et avoir ainsi triplé sa surface, elle a vu son nombre de visiteurs doubler, son nombre d’abonnés augmenter de 30 % et son nombre de prêts de livres augmenter d’autant.
... mais peu au Québec
Marie-Josée Lacroix, la commissaire au design du Bureau du design de la Ville de Montréal, note qu’il manque cruellement de données au Québec pour démontrer la valeur économique de la bonne architecture. « Les Britanniques, eux, ont par contre déjà produit plusieurs études sur ce sujet. »
Dans un article scientifique publié en 2016, l’économiste Gabriel M. Ahlfeldt, du département de géographie et d’environnement de la London School of Economics, a par exemple étudié le lien entre la qualité architecturale et la valeur des propriétés. Sa conclusion : la valeur des propriétés situées à l’intérieur des secteurs bénéficiant d’un statut de protection patrimoniale – ceux où l’architecture est distinctive – est selon ses calculs jusqu’à 18,6 % plus élevée que celle des autres maisons.
Au Canada, le professeur de psychologie Colin Ellard, de l’Université de Waterloo, commence pour sa part à débroussailler la question. Il a récemment démontré que la façade des bâtiments influence positivement ou négativement les humeurs des passants selon que celle-ci est intéressante et complexe ou simple et monotone.
Prises dans leur ensemble, soutient Jacques White, ces études et analyses forment selon lui une preuve convaincante de la valeur d’une architecture de qualité.
« Pour l’instant, au Québec, nous ne sommes pas encore très conscients de l’influence de la bonne architecture sur nos vies, dit-il. Peut-être que c’est justement parce que nous n’avons pas encore la chance de côtoyer quotidiennement, comme en Europe, une abondance de projets architecturaux de qualité. »
la L’Ordre des architectes du Québec (OAQ) milite depuis des années pour pousser Québec à doter la province d’une politique en architecture. L’objectif : améliorer la fonctionnalité, la durabilité et l’esthétique des bâtiments, des espaces publics et des infrastructures. Le gouvernement semble réceptif, mais plusieurs enjeux subsistent.
« Pour quelle raison demandons-nous une politique de l’architecture ? Pour répondre aux défis contemporains comme ceux du vieillissement de la population, des changements climatiques et de l’inclusion sociale », explique Nathalie Dion, la présidente de l’OAQ.
Plus concrètement, l’Ordre estime qu’une politique aurait plusieurs avantages : intéresser le public aux enjeux tels que l’étalement urbain, l’efficacité énergétique et le logement ; favoriser la préservation du patrimoine et mieux refléter l’identité culturelle du Québec dans son architecture ; soutenir les municipalités et régions dans l’amélioration de la qualité de leurs infrastructures.
Bâtir ses appuis
L’OAQ a commencé à faire pression sur les pouvoirs publics québécois pour la mise en place d’une politique lors de la période électorale de 2014.
Dans son plan d’action gouvernemental en culture 2018-2023 lancé en juin dernier, le gouvernement libéral avait prévu une mesure visant à « doter le Québec d’une stratégie gouvernementale en architecture ».
« Nous espérons que cette volonté d’aller de l’avant se maintiendra avec le nouveau gouvernement, et que notre travail avec le ministère de la Culture et des Communications va se poursuivre », dit Mme Dion.
Par-dessus tout, et même s’il se dit satisfait de la mesure inscrite au plan d’action, l’Ordre aimerait que des mesures réelles soient prises pour favoriser l’architecture.
Au cours des prochains mois, l’OAQ compte rencontrer différents acteurs publics dans le but de continuer de les rallier à son idée d’une politique publique. Pour le moment, elle a déjà rencontré, par exemple, le ministère de l’Habitation et de la Protection du consommateur, l’Office des personnes handicapées du Québec, la Société québécoise des infrastructures et le ministère de la Santé et des Services sociaux.
L’Ordre aimerait continuer de rencontrer des acteurs de différents horizons. Il a donc transmis son livre blanc, un document publié au printemps qui propose une feuille de route pour la mise en place d’une politique à de nombreux organismes allant de Transition énergétique Québec à la Société d’habitation du Québec. Elle veut aussi rencontrer des maires, mais également les grands donneurs d’ouvrage et les gens d’affaires québécois.
Selon Mme Dion, la communauté d’affaires se sent interpellée par son projet. « Elle est déjà soucieuse de l’architecture, dit-elle. On voit plusieurs projets privés qui intègrent des notions avancées de développement durable. Les gens d’affaires savent que l’architecture peut définir leur image de marque ou favoriser la vente de leurs logements. »
Les démarches de l’OAQ ont même fait des petits à la Ville de Montréal, où le Bureau du design s’affaire actuellement à établir un agenda pour la qualité en design d’ici la fin de l’année.
Cohérence et qualité
L’Association des architectes en pratique privée du Québec (AAPPQ) soutient le projet d’une politique québécoise de l’architecture. Elle estime que celle-ci permettrait notamment au gouvernement d’agir avec plus de cohérence dans ce domaine.
Lyne Parent, directrice générale de l’AAPPQ, explique que 14 ministères et organismes publics interviennent au Québec dans le secteur de l’architecture, de la Régie du bâtiment au ministère de la Justice, qui encadre la Loi sur les architectes, en passant par le ministère de l’Économie, de la Science et de l’Innovation. « Le problème est que ces organismes travaillent en vase clos. Ils ont une expertise très précise et n’ont donc pas toutes les connaissances nécessaires pour bien comprendre un projet », dit Mme Parent. Une politique permettrait ainsi une meilleure coordination entre les différents ministères et organismes publics, et peut-être même une harmonisation des lois issues de différents domaines, allant du patrimoine à la construction ou à l’environnement, dans le but de prioriser la qualité.
Depuis quelques années, dans le domaine de la construction, le discours public a beaucoup tourné autour de la corruption et de la façon de la prévenir, note Mme Parent. « C’est important, mais on a complètement évacué de nos discussions les autres enjeux, dit-elle. On doit recommencer à se demander comment assurer des ouvrages de qualité qui vont durer. Et c’est cela que permettrait une politique de l’architecture. »
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