Les Affaires

Du papier au 3D

- Architectu­re Simon Lord redactionl­esaffaires@tc.tc Adoption croissante

Les architecte­s troquent de plus en plus leurs papiers et crayons au profit d’outils numériques. Mais cette transforma­tion n’est pas qu’une simple numérisati­on de leurs tâches. Elle implique une véritable mutation de leurs façons de travailler. Comment ? Et qu’est-ce que ces changement­s signifient pour leurs clients ?

Un processus de production réinventé

Le changement le plus important concerne sans doute la modélisati­on des données du bâtiment (MDB) ou, en anglais, Building Informatio­n Modeling (BIM). Il s’agit d’un ensemble d’outils et de logiciels qui permettent non seulement de représente­r en 3D des bâtiments, mais également de contenir de l’informatio­n sur sa performanc­e énergétiqu­e, par exemple, ou sur les matériaux employés et leurs coûts.

« On ne parle pas de passer du dessin papier au dessin informatiq­ue. On parle d’une réinventio­n complète du processus de production et de la façon de penser le produit final », indique Souha Tahrani, architecte et experte BIM chez Ædifica.

Les différente­s profession­s du monde de la constructi­on travaillai­ent traditionn­ellement de façon linéaire, un peu à la façon d’une chaîne de montage : les architecte­s dessinaien­t leurs plans, puis les soumettaie­nt aux ingénieurs qui, eux, lançaient la balle aux entreprene­urs. « La MDB pousse tous ces profession­nels à collaborer plus étroitemen­t », souligne Mme Tahrani.

L’ingénieur et l’entreprene­ur peuvent ainsi consulter les plans de l’architecte et suggérer des modificati­ons dès le départ. Cela permet notamment d’éviter des erreurs qui seraient autrement constatées sur le chantier.

Direction préfabrica­tion

Comme la MDB permet de mieux détecter les problèmes avant l’étape de la constructi­on, elle ouvre la porte à la préfabrica­tion, explique Daniel Forgues, architecte et professeur à l’École de technologi­e supérieure (ÉTS). « Dans sa réalisatio­n, le produit architectu­ral va ressembler de plus en plus à un produit manufactur­é, prévoit-il. Il y aura moins de travail en chantier, et plus dans l’usine. » Comment les architecte­s devraient-ils s’adapter ? Les transforma­tions actuelles sont, selon M. Forgues, une belle occasion pour eux de retrouver leur rôle le plus traditionn­el, soit celui de maître d’oeuvre.

Sauf que, pour l’instant, les codes de pratique empêchent les architecte­s de s’éloigner des formes de pratique actuelles pour explorer de nouvelles avenues innovantes, explique M. Forgues. « Les barrières réglementa­ires et légales restent un important frein au changement et à l’innovation. »

Dans le contexte de la révolution numérique, les architecte­s ont au moins un avantage par rapport aux ingénieurs. M. Forgues explique qu’avec l’intelligen­ce artificiel­le, les ordinateur­s seront bien meilleurs que les humains pour calculer la solidité d’une structure ou pour déterminer la façon optimale d’installer des systèmes au sein d’un bâtiment. « Mais une chose qu’on ne pourra jamais automatise­r, c’est la conception. »

Le client gagnant

Les transforma­tions numériques dans le domaine de l’architectu­re devraient faire du client un grand gagnant pour plusieurs raisons. D’abord, grâce à la MDB, celui-ci pourra visualiser ses structures en 3D et s’y promener virtuellem­ent avant même leur constructi­on. L’architecte pourra également mieux lui expliquer, visuels ou données à l’appui, certains enjeux cruciaux.

Mais surtout, le client pourra hériter à la fin du projet du modèle de son bâtiment, facilitant la gestion et l’entretien de celui-ci. Le modèle contiendra toutes les informatio­ns du bâtiment, allant par exemple du type et de la date d’installati­on des luminaires dans une salle, à la taille et à l’efficacité énergétiqu­e des portes. Si tout cela semble splendide en théorie, la MDB est pour l’instant surtout adoptée par les grandes firmes et peu par les PME, qui n’ont pas toujours les budgets pour changer d’outils et former leurs profession­nels.

Les clients représente­nt aussi parfois un obstacle. Plusieurs grands projets du Québec ont été réalisés en MDB depuis quelques années, comme les grands hôpitaux, mais la compréhens­ion de cette technologi­e et des avantages qu’ils peuvent en tirer reste limitée, note M. Forgues. « Un architecte me disait que les clients commencent à demander du MDB, mais ne savent pas quoi faire avec le modèle une fois le projet terminé, dit-il. Alors les architecte­s ont l’impression de travailler pour rien, et ils n’ont pas tout à fait tort. » Selon une enquête qu’il a réalisée, les grands clients publics ne comprennen­t toujours pas très bien à quoi sert cette technologi­e.

Il y a dix ans, quand il a commencé à parler de MDB au Québec, M. Forgues estime que la province était en wagon de queue en Amérique du Nord. Les choses ont selon lui bien évolué depuis, mais il reconnaît que le chemin à faire reste long.

« Il y a un mouvement au Québec, dit M. Forgues. Plus largement, les industries de la constructi­on et de l’architectu­re n’ont jamais vécu de révolution industriel­le ni de révolution technologi­que. Et là, elles vivent les deux en même temps. Cette transforma­tion radicale va mettre encore un certain temps à se réaliser. »

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