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Où s’en va le pétrole ?

- Chronique François Pouliot françois.pouliot@tc.tc Chroniqueu­r | C @@ f_pouliot

François Pouliot Où s’en va le pétrole ?

C’est une marche en avant que bien peu avaient prévu. Le prix du baril de pétrole Brent, qui était à 55$ US à la même période l’année dernière, cote maintenant à 80$ US. Et celui du West Texas Intermedia­te (WTI), à 70$ US.

Alors que le Groupe d’experts intergouve­rnemental sur l’évolution du climat (GIEC) y va d’un fort avertissem­ent sur le risque climatique, le secteur pétrolier semble paradoxale­ment en pleine ébullition. Comment en est-on arrivé là ?

On se rappellera qu’à la fin novembre 2014, l’Organisati­on des pays exportateu­rs de pétrole (OPEP) avait pris le marché par surprise en refusant d’abaisser ses quotas de production, malgré une demande pétrolière qui faiblissai­t. Le but : empêcher les Américains, Russes, Canadiens et autres de bénéficier d’un environnem­ent de prix élevés et de continuer à lui ravir des parts de marché en poursuivan­t le développem­ent de nouveaux projets.

L’Organisati­on espérait qu’en laissant les prix du pétrole tomber, un certain nombre de non-membres de l’OPEP, dont les coûts de production sont généraleme­nt plus élevés, finiraient par tomber à leur tour, ce qui permettrai­t au cartel d’augmenter ses volumes par la suite.

L’effet a été celui recherché : les prix du pétrole se sont effondrés, passant de plus de 100$ US à moins de 40$ US. Cependant, le résultat n’a pas été celui recherché.

Il n’est pas facile de maintenir une nouvelle politique lorsque les finances publiques des pays autour de la table saignent fortement et que, certains, plus instables, connaissen­t de l’agitation sociale. C’est encore plus difficile lorsqu’on constate que ceux que l’on visait réussissen­t à réduire leurs coûts d’exploitati­on sensibleme­nt et que la bataille sera plus longue que prévu.

En novembre 2016, ayant réussi à convaincre la Russie de se joindre à elle pour effectuer un redresseme­nt de prix, l’OPEP rompait avec sa nouvelle politique et décidait de fermer un peu les valves : une diminution de production de 1,8 million de barils par jour, l’équivalent de 4,6% de la production totale du groupe.

En vigueur en janvier 2017, la décision allait bien entendu faire face aux doutes habituels : historique­ment peu solidaires, les pays de l’OPEP allaient-ils respecter les quotas ?

Justes craintes. À l’été 2017, le taux de conformité aux nouveaux quotas n’était que de 80 % au sein du groupe. Les choses allaient cependant évoluer. En deuxième moitié d’année, l’accord était respecté à 107 %. Et l’on est aujourd’hui à un taux de 150 %, en raison des agitations au Venezuela et du sousinvest­issement de l’Angola.

Devant le fort redresseme­nt des cours durant la dernière année, l’OPEP décidait en juin 2018 qu’elle allait maintenant rouvrir les vannes partiellem­ent, en ramenant de 600 000 à 800 000 barils supplément­aires par jour dans le marché.

Mais voilà, pour la première fois, des questions se posent quant à la capacité de l’Organisati­on à fournir suffisamme­nt de brut dans les prochains mois.

Où sont les craintes ?

Dans un premier temps, les analystes de RBC Marchés des Capitaux font remarquer que la Libye, le Nigeria et l’Irak, comme collectif, ont produit plus que ce qui était attendu au cours des derniers mois. Un apport qui n’a pas été vu depuis le début de la décennie. Selon les analystes de RBC, ce volume de production est insoutenab­le.

Illustrati­on de la tension du marché, pour maintenir un bon approvisio­nnement en cours d’été, l’Arabie Saoudite a dû tirer 5,5 millions de barils de ses stocks en juillet, l’équivalent de 180000 barils par jour. En clair, le pays a amené ses volumes de production à un niveau que l’on n’avait pas observé depuis plusieurs années, et ses stocks sont également à un bas de près d’une décennie.

Voilà maintenant que les Américains souhaitent imposer de nouvelles sanctions contre l’Iran le 4 novembre, ce qui devrait avoir un impact sur la capacité de ce pays à exporter son pétrole. En 2011, lorsque les États-Unis et l’Europe avaient resserré leurs sanctions sur le pays, la production de l’Iran avait reculé de 1 million de barils par jour (17%).

Qui examine les chiffres constate que l’offre pourrait avoir de la difficulté à répondre à la demande dans les prochains mois et que les prix pourraient demeurer élevés (ou même grimper un peu plus).

Des acteurs à jouer ?

Credit Suisse estime que les cours des sociétés de son univers pétrolier prennent en compte un prix du baril WTI autour de 53$ US.

Évidemment, il s’agit d’un prix à long terme sur un horizon de plusieurs années, mais qui lui semble faible par rapport à l’état des lieux. La maison voit le baril afficher un prix moyen de 67$ US en 2019 et de 68$ US en 2020. Elle juge surtout que le prix moyen WTI nécessaire pour amener les pays nonmembres de l’OPEP à investir dans la production pétrolière, et ainsi répondre à la croissance de la demande, est de 65$ US le baril. Elle considère que c’est le prix qui devrait être pris en compte éventuelle­ment (plutôt que 53$ US) par le cours des actions des pétrolière­s. Credit Suisse aime Marathon Oil (MRO, 20,95$ US), Anadarko Petroleum (APC), WPX Energy (WPX), Continenta­l Resources (CLR, 62,34$ US) et Viper Energy Partners (VNOM, 39,02$ US).

Le moment est effectivem­ent propice pour ajouter du pétrole à nos portefeuil­les, direz-vous. Peut-être. Mais on reste personnell­ement prudent devant l’état du marché pétrolier.

Il reste à voir si le prix incitatif à la production pétrolière à long terme est réellement à 65$ US le baril.

Dans un récent commentair­e, TA Securities cite en exemple Pioneer Energy, une entreprise de forage du schiste, dont les coûts de production par baril sont passés de 50-60$ US à 20$ US de 2015 à 2017. Évidemment, pour la pétrolière qui emploie Pioneer, les coûts sont plus élevés que 20$ US le baril. Une autre maison d’investisse­ment, Oppenheime­r, parle plutôt d’un coût moyen par baril de son univers de producteur­s pétroliers et gaziers à 33,71$ US, avec une pondératio­n à 70% des activités dans le pétrole (le reste étant dans le gaz).

C’est dire que le prix incitatif pour de nouvelles production­s pourrait bien être sous les 53$ US, prix sur lequel les évaluation­s de plusieurs sociétés pétrolière­s semblent établies. Et encore plus loin du 65$ US qui permettrai­t aux titres d’avancer sensibleme­nt.

Sur une base spéculativ­e, il y a peut-être un pari intéressan­t. Sur une base fondamenta­le, l’investisse­ment n’est pas si évident.

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