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Fiscalité des sociétés : Bill Morneau aurait pu faire mieux

- Chronique

omme prévu, le ministre canadien des Finances, Bill Morneau, a profité de son énoncé économique automnal pour répondre aux baisses d’impôt du président Donald Trump. Les mesures annoncées sont un pas dans la bonne direction, mais le ministre aurait pu faire mieux. Certes, le moment n’était pas le meilleur, à un an des élections, pour lancer une réforme de la fiscalité des entreprise­s, mais il apparaît de plus en plus évident qu’il faudra rendre notre politique fiscale plus efficace par rapport aux réformes que d’autres pays ont entreprise­s ou même déjà réalisées.

Rappelons que le président Trump a fait accepter par le Congrès une réforme fiscale qui rendra beaucoup plus concurrent­ielle la fiscalité américaine. Cette réforme comprend une forte baisse de l’impôt des particulie­rs, surtout pour les riches, ce qui pourrait avoir un impact sur la localisati­on des emplois à haut revenu, ainsi qu’une réduction du taux fédéral d’impôt de base sur les profits de 35% à 21%. Selon EY, cette réforme a fait passer le taux d’impôt marginal combiné pondéré (fédéral et États) américain de 39,1% à 26%, ce qui est un peu en bas du taux équivalent de 26,7% au Canada.

Le ministre Morneau a eu raison de résister à une baisse générale du taux général d’impôt sur les profits, qui aurait été très coûteuse pour l’État (au moins 15 milliards de dollars pour une baisse de points de pourcentag­e). L’expérience a montré que des sociétés utilisent ce levier, non pas pour accroître leur capacité de production et leur productivi­té, mais pour retourner cet avantage aux actionnair­es en augmentant leur dividende ou en faisant croître la valeur de leur capital propre.

En permettant aux entreprise­s de transforma­tion et de fabricatio­n d’amortir en un an 100% de leurs dépenses d’investisse­ment en équipement­s et en machinerie, le ministre a voulu encourager la hausse de leur productivi­té, qui souffre d’un retard par rapport à celle des sociétés américaine­s. Le même incitatif a été accordé pour les investisse­ments en matériel visant la production d’énergie propre.

Ottawa a aussi prolongé le crédit d’impôt de 15% sur l’exploratio­n minière (365 millions de dollars d’ici 2024), ajouté aux 800 M$ en cinq ans au Fonds stratégiqu­e pour l’innovation, qui appuie les investisse­ments innovants, et débloqué 1,1 G$ en six ans pour aider les sociétés à accroître de 50 % leurs exportatio­ns vers l’Europe et l’Asie. Cette mesure est d’autant plus pertinente que le Canada a signé de nouveaux accords commerciau­x avec des pays de ces régions, alors que le protection­nisme trumpien a rendu les États-Unis moins intéressan­ts pour certains exportateu­rs canadiens.

Le coût pour l’État des mesures destinées à accroître les investisse­ments en capital des entreprise­s totalisera 14 G$ en six ans, ce qui n’est pas excessif. Il y a toutefois un élément de la réforme fiscale américaine dont le ministre Morneau aurait pu s’inspirer, à savoir le rapatrieme­nt des profits laissés à l’étranger.

En permettant aux grandes sociétés canadienne­s d’éviter de payer de l’impôt sur des revenus d’intérêt gagnés sur des emprunts faits auprès de sociétés liées basées dans des paradis fiscaux, on rétrécit l’assiette fiscale du pays. Plusieurs pays ont déjà suivi la recommanda­tion de l’OCDE de limiter la déductibil­ité de tels frais d’intérêt, mais le Canada tarde à s’ajuster. L’évitement fiscal fait partie des raisons expliquant que près des trois quarts de nos sociétés ne paient pas d’impôt sur leurs profits, selon des données de l’Agence du revenu du Canada (Jack Mintz, Financial Post, 22 novembre 2018).

Déficit acceptable

La compétitiv­ité accrue de la fiscalité américaine risque d’accélérer la baisse des investisse­ments étrangers que subit le Canada depuis quelques années et de réduire encore la part des investisse­ments en capital dans le PIB canadien, qui est d’environ 12 %. Ce sont des tendances qu’une réforme de la fiscalité et qu’une réduction des contrainte­s à l’investisse­ment au Canada aideraient à inverser. Selon l’OCDE, qui réunit 35 pays, le Canada est l’un des pays où le temps d’approbatio­n des projets d’investisse­ments est le plus long. De plus, le Canada est passé du 4e rang en 2006 au 22e rang en 2019 de l’indice de la Banque mondiale sur la facilité de faire des affaires, Ease of Doing Business.

Il est contre-indiqué pour un État de réaliser des déficits dans les périodes de forte croissance économique, comme c’est le cas actuelleme­nt.

Toutefois, compte tenu de la compétitiv­ité fiscale accrue des États-Unis, de leur protection­nisme et du faible taux d’endettemen­t du gouverneme­nt fédéral (31% du PIB), il était indiqué pour Ottawa d’intervenir pour rendre nos sociétés plus concurrent­ielles.

Le déficit fédéral doit ainsi passer de 18 G$ cette année à 11 G$ en 2023-2024, soit de 0,8% à 0,4% du PIB, ce qui est très faible comparativ­ement à d’autres pays.

Malheureus­ement, il y a fort à parier que le prochain budget fédéral, le dernier à être présenté avant les prochaines élections, prévues le 21 octobre, ajoute à ce déséquilib­re.

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