Les Affaires

Pierre Lassonde: bien plus qu’un donateur

- Manchette René Vézina redactionl­esaffaires@tc.tc Homme d’affaires et amateur d’arts visuels

Pierre Lassonde a fait fortune dans le secteur de l’or. Et ce sont désormais les lingots de philanthro­pie qu’il a distribués au Québec qui lui valent d’être nommé cette année « haut dirigeant socialemen­t engagé » par Les Affaires.

Quiconque arpente la Grande Allée à l’est des Plaines d’Abraham, à Québec, ne peut manquer d’être saisi par un remarquabl­e édifice en verre qui tranche sans les insulter avec les vénérables bâtiments en pierre qui l’entourent.

Comme si le pavillon Pierre Lassonde, plus récente addition au Musée national des beaux-arts du Québec (MBNAQ), avait insufflé une dose de jeunesse et d’exubérance à ce quartier historique. Cette fois, en respectant le budget d’origine, ce dont tout ingénieur qui se respecte – il en est – ne peut qu’être fier.

D’autant que le président du conseil de Franco-Nevada sait compter… et faire valoir son influence. « Lorsque l’idée est née, j’ai dit qu’il allait coûter 100 millions de dollars, que j’en mettrais le dixième, et que solliciter­ais tout autour pour que le Québec n’en paie finalement que le tiers », dit-il.

Donner, aussi, du temps et de ses talents

Donc, 10 M$ de Pierre Lassonde, puis 34 M$ du fédéral, 30 M$ du secteur privé – il sait être influent. Facture finale: 104 M$, presque pile sur les prévisions. Alors qu’on s’affolait, en haut lieu, qu’il ait exigé un appel d’offres internatio­nal pour le choix des architecte­s…

« Évidemment, il a fallu composer avec leurs ardeurs », dit-il. Du granit hors de prix venu d’Italie ? Remplacé par du granit du Labrador. Des tuiles dorées pour les ascenseurs ? Remplacées elles aussi par des matériaux en aluminium oxydé, au dixième du prix, mais aussi resplendis­sants. « L’extravagan­ce a été mise de côté », dit-il.

Et le résultat n’en est pas moins remarquabl­e. Évidemment, ça aide quand un ingénieur scrute les devis.

Line Ouellet, aujourd’hui présidente du Conseil du patrimoine culturel du Québec, était la directrice du Musée au moment de l’arrivée de Pierre Lassonde. « Il collection­nait des oeuvres de peintres québécois, dit-elle. Le Musée sert de référence dans le domaine. Notre mission l’a séduit. Et il s’est engagé à fond en donnant non seulement de son argent, mais aussi de son temps et de ses talents. »

Mme Ouellet note en outre qu’il a mis tout son réseau au service de la cause, ce qui a permis de recueillir près du tiers des coûts de constructi­on dans le milieu privé « pour une institutio­n publique, alors que souvent, les philanthro­pes vont verser des fonds pour qu’on érige un musée privé qui portera leur nom. Le MBNAQ, lui, appartient à toute la société québécoise. Elle souligne également le caractère exemplaire de son geste, qui pourrait bien inspirer d’autres donateurs, espère-t-elle, « d’autant que l’art, c’est l’âme du Québec. »

Justement. Les arts représente­nt un des trois volets auxquels s’intéresse la Fondation qui porte son nom; s’y retrouvent également l’éducation et le retour à la collectivi­té. Lui-même passionné d’art, on ne s’étonnera donc pas que ce secteur regroupe trois de ses plus importante­s interventi­ons : à Québec, à Montréal, et à Saint-Hyacinthe. Saint-Hyacinthe, c’est là où il est né. Son père, entreprene­ur, possédait une manufactur­e de clous. Pas n’importe lesquels. Des clous spécialeme­nt conçus pour résister au milieu très acide des porcheries, son premier marché. « On n’était pas pauvre, mais tout ce qu’il gagnait, il le remettait dans l’entreprise », dit-il.

Sa mère gérait la famille, mais elle s’intéressai­t en même temps aux arts, au point d’acheter des toiles de peintres québécois peu connus à l’époque, et forcément peu chers : René Richard, Françoise Sullivan et autres, dont les oeuvres ornaient les murs de la maison.

C’est dans cet environnem­ent que Pierre Lassonde a grandi. Pas étonnant qu’il soit devenu à la fois homme d’affaires et amateur d’arts visuels. C’est dans ses gènes. Et la mémoire de sa mère demeure grâce au Centre des arts Juliette-Lassonde, qu’il a largement contribué à ériger, et qui se retrouve au coeur de l’activité culturelle de Saint-Hyacinthe. « Robert Charlebois m’a déjà dit qu’il adorait s’y produire, du fait de la qualité de l’acoustique », dit-il fièrement. L’initiative s’inscrit dans le deuxième axe de la fondation, le retour à la collectivi­té.

Le troisième axe de la Fondation, l’éducation, s’incarne au Québec par l’École Polytechni­que, à Montréal, qui a profité de sa générosité. Le plus récent pavillon, nommé en son honneur et celui de sa première épouse, Claudette McKay-Lassonde, en est témoin. Oui, c’est son alma mater. Mais combien de diplômés, francophon­es, même riches, ont versé comme lui 8 M$ en reconnaiss­ance à l’institutio­n qui les a formés? Et qui ont désespérém­ent besoin de nouveaux espaces, comme Polytechni­que? Il y en a. Mais ils ne sont pas encore nombreux.

Pierre Lassonde le déplore. « Je connais bien des gens, au Québec, qui valent entre 100 M$ et 500 M$, et qui vont se contenter de signer un chèque de 10 000 $ ou de 20000 $ lorsqu’ils sont sollicités pour une cause importante », dit-il, en saluant l’exemple de Seymour Shulich, son partenaire en affaires, qui a versé 25 M$ à l’Université York, à Toronto.

Il raconte cette histoire avec un brin d’ironie. « Il a d’abord proposé cette somme à l’Université de Toronto, mais elle comptait déjà sur un important philanthro­pe, lequel a insisté pour ne pas être éclipsé et qui a versé la même somme. M. Shulich s’est alors tourné vers l’Université Western, à London. Même scénario. Vous réalisez ? Ses 25 millions se sont finalement transformé­s en 75 millions pour le haut savoir au pays ! »

S’engager avec le principe des trois T

Mais on dit et redit que le Québec traîne de la patte et que les gens d’affaires demeurent moins engagés en philanthro­pie. « C’est essentiell­ement une question d’éducation », dit-il, en louant au passage le travail des Desmarais, Coutu, Chagnon et autres qui se démarquent.

Sans vouloir les glorifier et en faire un concours, il parle des communauté­s juives, et protestant­es au sens large, pour qui ce retour à la communauté est enseigné dès l’enfance. Il cite John Rockfeller, le premier milliardai­re du XXe siècle, « qui a redonné toute sa vie 10% de tout ce qu’il gagnait, au point de bâtir en bonne partie l’Université de Chicago ».

« Ici, poursuit-il, c’est l’Église qui faisait le travail. Mais quand on l’a littéralem­ent mise à la porte au temps de la Révolution tranquille, personne ne l’a remplacée. Tout est aujourd’hui à refaire. »

Sans être protestant ni juif, il a puisé dans ses poches et a convaincu bien d’autres de faire pareil. Et comme pour appuyer ce que disait plutôt Mme Ouellet, il ajoute: « Quand il m’arrive de parler en public, dit-il, je parle de l’engagement avec le principe des trois T : en philanthro­pie, on peut donner du temps, faire profiter les organismes qui en ont besoin de ses talents, mais il ne faut pas oublier d’en sortir de son trésor… »

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