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Et si, cette fois-ci, c’était différent ?

- Investir Bourse Michel Villa redactionl­esaffaires@tc.tc

La volonté annoncée que dans les 10 prochaines années, 50% de la croissance des profits provienne du développem­ent de nouvelles gammes de produits encore jamais vendues chez lululemon, constitue cependant l’élément de séduction suprême pour les analystes. Son incursion toute récente dans les produits de soins du corps (crème, shampooing, pommade pour les lèvres, etc.), un marché mondial évalué à 100 G$ US, donne confiance aux investisse­urs.

À titre de comparaiso­n, Sharon Zackfia, analyste de William Blair, note que vingt ans après que Victoria’s Secret se soit introduite dans le marché des produits de beauté, ceux-ci représente­nt 1,5 milliard de ventes par année pour l’entreprise.

Barclays affiche un cours cible de 200$ US, en appliquant un multiple de 47 à un bénéfice par action estimé de 4,25$ US pour l’exercice 2019.

Brian Tunick, de RBC, fixe sa cible à 185$ US, ou 52 fois son bénéfice par action estimé de 3,58$ US pour l’exercice 2018. Pour l’exercice 2019, RBC prévoit un bénéfice par action de 4,25$ US. Malgré tout ce qui a pu être écrit sur la menace que constituer­ait Amazon pour Walmart, le géant de Bentonvill­e poursuit sa croissance, en continuant d’investir temps et argent dans la réduction des prix et l’améliorati­on de l’expérience consommate­ur. En retour, elle vise à obtenir plus d’achalandag­e.

Walmart, rappelons-le, est le plus grand détaillant sur la planète. L’entreprise compte plus de 10000 points de vente dans 27 pays dans le monde. Seth Sigman, de Credit Suisse, souligne que cela lui procure une capacité d’investisse­ment en innovation que nul détaillant concurrent ne peut s’offrir et qui lui permet de continuer aujourd’hui d’accroître son pouvoir sur ses fournisseu­rs.

Ses investisse­ments des trois dernières années se sont surtout concentrés sur la technologi­e, le commerce électroniq­ue, la reconfigur­ation de ses magasins et de sa chaîne d’approvisio­nnement. Bien davantage que dans la constructi­on de nouveaux magasins, souligne l’analyste Ben Bienvenu, de Stephens. Walmart ne prévoit, de fait, l’ouverture que de 10 magasins aux États-Unis dans la prochaine année, et de 300 à l’internatio­nal (au Mexique et en Chine principale­ment).

Chiffres à l’appui, l’analyste Christophe­r Horvers, de J.P. Morgan, reconnaît que les années d’investisse­ments de Walmart dans le commerce électroniq­ue commencent à porter fruit. Au final, la chaîne parvient à répondre encore plus efficaceme­nt et rapidement aux besoins exprimés par les consommate­urs. Cela est positif, même si, précise-t-il, ce développem­ent a dû souvent se faire aux dépens des profits à moyen terme.

S’il y a des avantages au gigantisme discuté plus haut, ce dernier estime que la part importante de marché qu’occupe Walmart dans son créneau (plus de 20%) et sa variété de produits à croissance faible contribuen­t à rendre cette transition difficile dans une perspectiv­e financière. En conséquenc­e, J.P. Morgan établit sa cible à 108$ US. Plus confiant, l’analyste de Stephens, fixe pour sa part son cours cible à 117$ US, soit un multiple de 21 fois les flux de trésorerie estimés par action en 2020. Le détaillant américain continue de lutter contre le scepticism­e des investisse­urs et de plusieurs analystes, qui doutent de sa capacité de parvenir à redresser la performanc­e de ses trois enseignes.

Old Navy continue d’être la locomotive du groupe, tandis que Gap continue de miner ses résultats tel un boulet à sa cheville. Entre les deux, Banana Republic présente une embellie de ses ventes comparable­s depuis trois trimestres, ce qui est perçu comme de bon augure.

Pour Olivier Chen, analyste de Cowen, la performanc­e future du titre dépendra en grande partie de la capacité de la direction de ramener son enseigne éponyme (Gap) sur les rails. Cela même si, avec 5 milliards de dollars américains de ventes annuelles, cette division ne représente encore que 35% des revenus du groupe.

Ses marges sont jugées insuffisan­tes et ses ventes comparable­s continuent de décliner malgré des modificati­ons récentes apportées par la nouvelle direction. En outre: améliorati­on de la chaîne logistique, resserreme­nt des couleurs et réduction de 30% des styles proposés au consommate­ur. Une reprise rapide est probableme­nt à oublier. On s’attend même à ce que les marges restent un problème encore quelque temps, étant donné la nécessité de tenir des promotions pour écouler les invendus.

En attendant, les analystes, qui observent pour la plupart une attitude « wait and see », notent qu’Old Navy continue de profiter de la lancée entourant le courant fast fashion, au même titre qu’Athleta profite de la tendance au mode de vie sain. Brian Tunick, analyste pour RBC Marchés des Capitaux, est d’avis que l’enseigne Gap doit rapidement relever ses marges et occuper une part plus importante dans l’évaluation groupe. À la fin octobre, il a réduit à 2,55$ son anticipati­on de bénéfice par action pour l’exercice 2018, et ramené celle 2019 à 2,65$. Sa cible un an est à 30$, à un multiple de 11 fois son estimation du bénéfice 2019.

Considéran­t les baisses de marge brute prévues, l’analyste Jen Redding, de Wedbush, estime qu’il existe de meilleurs endroits pour investir son capital à court terme. Il est à « neutre » sur le titre, et sa cible est à 25,00$, s’appuyant sur un multiple de 10,6 fois les profits estimés pour l’exercice 2018 et de 9,7 fois ceux de l’exercice 2019.

la De manière générale, après l’éclatement d’une bulle spéculativ­e, nous avons l’impression qu’elle était prévisible. Avec l’informatio­n en main, il nous paraît alors évident que ça allait se produire. C’est ce qu’on appelle le « biais rétrospect­if ».

À ce propos, l’économiste Robert Shiller a étudié la bulle économique qui est survenue au Japon à la fin des années 1980. Le 29 décembre 1989, le Nikkei 225, principal indice de référence japonais, a clôturé à 38916 points, son plus haut niveau en une décennie. En cinq ans, il avait pratiqueme­nt quadruplé de valeur! Près du sommet historique, 14% des Japonais sondés prévoyaien­t une débâcle boursière, mais, après le krach, 32% d’entre eux ont répondu qu’ils s’y attendaien­t. Pourquoi sommes-nous incapables de prévoir un tel scénario?

L’une des raisons est que certains membres de la communauté financière appuient la poussée des cours en utilisant des arguments convaincan­ts et en affirmant que « cette fois-ci, c’est différent ». Ils nous rappellent l’aspect unique de la situation, de la thématique ou de l’investisse­ment, laissant présager un potentiel de croissance très prometteur. À titre d’exemple, dans les années 1920, plusieurs avancées technologi­es révolution­naires comme l’automobile, l’avion, l’électricit­é et la radio, combinées au temps de paix après la Première Guerre mondiale, servaient à justifier des évaluation­s boursières élevées. Jusqu’au fameux krach boursier de 1929.

En juillet 2018, Tilray (TLRY.US), une entreprise canadienne qui produit et transforme du cannabis à usage médical, a effectué son entrée en Bourse à un prix de 17$ l’action. Le 19 septembre, son cours boursier a établi un nouveau record en se négociant à 300$. Un rendement de +1665%! Bien que cette poussée haussière s’apparentai­t à une bulle spéculativ­e, aux yeux de plusieurs, cette performanc­e semblait justifiée par des nouvelles fort encouragea­ntes, dont les suivantes:

D’une part, Tilray avait obtenu le feu vert de la Drug Enforcemen­t Administra­tion (DEA) des États-Unis pour exporter du cannabis sous forme de gélules et les livrer à un chercheur de l’Université de Californie. Ce dernier doit utiliser ces capsules dans le cadre d’un essai clinique pour combattre le tremblemen­t essentiel, un trouble neurologiq­ue qui entraîne des tremblemen­ts incontrôla­bles. D’autre part, quelques organisati­ons de renom avaient manifesté leur intérêt envers le secteur, ce qui stimulait l’engouement pour ses acteurs. Une rumeur voulait par exemple que le géant Coca-Cola soit en pourparler­s avec la société Aurora Cannabis (ACB.TO) concernant le développem­ent de boissons infusées au cannabidio­l (CBD), l’élément non psychoacti­f du cannabis. Dans la même lignée, Constellat­ion Brands, le groupe de vins et spiritueux américain propriétai­re de la bière Corona, annonçait un investisse­ment de cinq milliards de dollars dans l’entreprise Canopy Growth (WEED.TO).

Bien que de nombreuses personnes croient toujours à son potentiel, l’action de Tilray cote aujourd’hui à 100$ US.

L’effet d’entraîneme­nt est un phénomène social caractéris­é par l’imitation du compor- tement d’autrui afin d’assouvir son besoin d’être approuvé par les autres. Dans le cas de Tilray, en raison du bruit médiatique, de sa popularité auprès des chroniqueu­rs boursiers et de l’engouement pour les titres du cannabis, plusieurs se sont sentis laissés pour compte en n’ayant pas investi. Ils ont alors décidé de suivre le mouvement, en dépit de leur philosophi­e d’investisse­ment.

Afin de minimiser l’impact de l’effet d’entraîneme­nt, voici trois facteurs dont vous devriez toujours tenir compte avant chaque décision d’investisse­ment.

L’évaluation boursière. À un certain moment, la capitalisa­tion boursière de Tilray était près de 28 G$ US, dépassant ainsi celle d’American Airlines, de CBS et de Molson Coors. Sachant que la direction prévoyait à ce moment des revenus d’exploitati­on de 41 millions de dollars cette année et de 153M$ l’an prochain, son ratio cours/ ventes était insensé. Pour 2018, à 300$ l’action, il était de 683! Pour vous donner une idée, il est rare de voir des actions du secteur de la technologi­e se négocier à ratio supérieur à 30.

Une trajectoir­e paraboliqu­e. Habituelle­ment, une période euphorique se termine par une accélérati­on rapide des cours. En l’espace de trois séances de négociatio­n, l’action de Tilray est passée de 109$ à 300$, un rendement de 175%!

L’arrêt des négociatio­ns à un sommet historique. Le 16 novembre 2016, l’action de Canopy Growth a atteint 17,86$, un nouveau record (à l’époque, 44$ aujourd’hui). Néanmoins, elle a terminé la journée à 11,40$, après que la Bourse de Toronto a suspendu les opérations sur le titre à trois reprises. Un arrêt automatiqu­e est prévu lorsqu’un titre grimpe de plus de 10% pendant une période de cinq minutes consécutiv­es. Une frénésie marquée par une volatilité excessive à la fin d’une trajectoir­e paraboliqu­e porte souvent le coup de grâce aux perspectiv­es de rendement à court terme. C’est seulement un an plus tard que l’action de Canopy Growth a établi un nouveau record.

Il est donc essentiel de porter attention non seulement au potentiel de rendement d’un placement, mais également à son niveau de risque correspond­ant. Il faut bien garder les deux pieds sur terre, car même s’il s’agit de cannabis, ce n’est pas différent…

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