Les Affaires

Établir les conditions pour réussir en Bourse avec un profession­nel de l’investisse­ment

- Bourse Stéphane Préfontain­e redactionl­esaffaires@tc.tc

Les gens se demandent souvent pourquoi la majorité des investisse­urs institutio­nnels ne réussissen­t pas à battre leur indice de référence. Bien sûr, des frais annuels de gestion élevés, souvent de 2% à 3% pour des fonds communs de placement, ou des frais de performanc­e élevés pour les fonds de couverture, rendent très difficile la possibilit­é de battre un indice approprié sur une période significat­ive, notamment sur un cycle boursier complet (disons 10 ans). Mais il y a plus.

Une partie de la réponse tient, à mon avis, dans la compréhens­ion des conditions dans lesquelles se trouve l’investisse­ur institutio­nnel (que ce soit un gestionnai­re de portefeuil­le, de fonds communs de placement, de fonds de

Risques d’intermédia­ires dans la gestion de fonds

La clé du succès en investisse­ment est la capacité d’être patient et de ne s’élancer que lorsque les chances sont nettement en notre faveur. Vous vous installez au marbre et vous avez le loisir de laisser passer des centaines de balles difficiles à frapper. Vous attendez que le lanceur soit fatigué ou distrait et qu’il vous lance une balle molle et facile; c’est à ce moment qu’il faut s’élancer de façon décisive pour un coup sûr (1). Les investisse­urs profession­nels n’ont pas toujours la chance de pouvoir être très patients, car ils ont des comptes à rendre à leurs patrons ou à leurs clients, souvent à intervalle­s fixes, des moments un peu artificiel­s qui n’ont rien à voir avec les occasions et les risques d’investisse­ment. Ils doivent ainsi composer avec la patience et la perception propres à leurs patrons et à leurs clients. Beaucoup réussissen­t à bien gérer cette relation, mais elle a tout de même le potentiel de créer des distorsion­s parfois appelées « risque d’intermédia­ire » ( agency risk).

Voici quelques exemples de « biais »/désavantag­es des gestionnai­res de fonds et des gestionnai­res de portefeuil­les généraleme­nt reconnus (2): Risque de carrière: il y a une tendance chez certains profession­nels à vouloir faire comme tous les autres gestionnai­res, car, sur le plan de la carrière, mieux vaut tomber en même temps que tout le monde lorsqu’on se trompe ou lorsqu’il y a une crise, plutôt que de sortir sa tête du lot avec une idée originale ou à contre-courant et ainsi risquer d’être le seul à se tromper; cela augmente les chances de perdre son emploi ou ses clients. Il y a un ratio « Risque de carrière/Probabilit­é de rendement supérieur » favorable à rester plus conservate­ur, à imiter les autres ou à se « coller » sur un indice, c’est-à-dire ne pas trop s’éloigner des titres qui composent son indice de référence; Gestion des liquidités d’un fonds commun d’actions: souvent, lorsqu’il y a une forte correction en Bourse et que les occasions d’achats deviennent plus nombreuses, les clients paniquent et retirent leur argent, forçant le gestionnai­re du fonds à vendre pour créer de la liquidité alors qu’il devrait acheter, ce qui désavantag­e le gestionnai­re de fonds; Tendance à vouloir conserver les apparences (par exemple, faire des transactio­ns qui paraissent bien dans un rapport de fin de mois, comme acheter des titres populaires dont le prix a déjà beaucoup monté ou vendre un titre qui a fortement chuté), indépendam­ment des perspectiv­es ( window dressing); Optimisme excessif et excès de confiance en soi; Propension naturelle à vouloir grossir la taille de l’actif sous gestion: passé un certain point, plus un fonds grossit, plus il est difficile de bien performer, car plus limitées sont ses options d’investisse­ment à fort potentiel. Ainsi, certains des meilleurs gestionnai­res ferment leur fonds aux nouveaux clients pour en limiter la taille.

S’inspirer du Buffett Partnershi­p

Les investisse­urs institutio­nnels rendent un service important et utile, mais il faut être conscient des risques des intermédia­ires et prendre des mesures pour pallier la situation. Cela requiert du profession­nel une très bonne communicat­ion avec ses clients. Dans le cas de la gestion privée de portefeuil­le, il est nécessaire, à mon avis, qu’il y ait une entente initiale claire avec les clients sur la philosophi­e de gestion et sur les conditions et les mesures du succès. Warren Buffett, dans ses jeunes années à la tête du Buffett Partnershi­p (1956-1969), remettait à ses clients les sept « Ground Rules » ou règles fondamenta­les (3), qui énoncent les grandes lignes de sa philosophi­e de placement et comment il voulait être jugé. J’invite le lecteur à les consulter.

Chaque profession­nel devrait établir ses propres règles fondamenta­les. Par exemple, chez Préfontain­e Capital, nous nous entendons avec nos clients sur la nécessité fondamenta­le d’investir comme propriétai­re à long terme dans des entreprise­s et non de jouer à la Bourse dans un effort futile d’essayer de prédire ses mouvements à court terme. Nous diminuons une certaine partialité en étant nous-mêmes investis dans les mêmes titres que nos clients. Nous nous entendons sur le fait que la quantité de transactio­ns ne reflète pas la quantité de travail accompli pour un client et que certains titres pourront demeurer de très nombreuses années dans un portefeuil­le. C’est la qualité du jugement et non la quantité d’activité qui donnera un bon résultat. Les clients doivent aussi accepter qu’il y aura des périodes où notre style de gestion sera en défaveur, notamment lors des excès d’euphorie boursière, et où nous sous-performero­ns. Ils doivent s’attendre à ce que certains achats d’actions d’entreprise­s puissent sembler à première vue peu évidents ou même inconforta­bles. Accepter que nous ne pourrons pas et n’essayerons pas de prédire les crises ou les krachs boursiers, mais que nous nous concentrer­ons sur la qualité des entreprise­s dans lesquelles nous investisso­ns. Nous nous entendons également sur les objectifs du client, comment les atteindre, et sur la façon d’évaluer le succès du portefeuil­le et le travail du gestionnai­re, de façon à lui permettre d’être patient.

la (1) Sur ce sujet, je recommande la lecture du livre du professeur William N. Thorndike: The Outsiders, Harvard Business Review Press, 2012, qui décrit la remarquabl­e carrière de huit PDG et comment leur grande patience leur a permis de générer des rendements hors norme sur de longues périodes. (2) Voir, par exemple, Financial Behavior: Players: Services, Products, and Markets, H. Kent Baker, Greg Filbeck et Victor Ricciardi, Oxford University Press, 2017. (3) Warren Buffett’s Ground Rules, Jeremy C. Miller, Harper Collins, 2016.

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