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COMMENT LA CAMPAGNE POLLUE LA VILLE !

- Olivier Schmouker olivier.schmouker@tc.tc Chroniqueu­r | C @OSchmouker

L’autre jour, je travers ais Saint- Paulin, en Mauricie, et j’ai aperçu du coin de l’oeil un supermarch­é, ce qui m’a réjoui parce que j’avais besoin de me ravitaille­r. Mais quand je suis sorti de la voiture, je me suis figé d’un coup: l’air empestait.

Ça sentait plus que la traditionn­elle odeur de fumier lorsqu’il est épandu dans les champs. Il y avait quelque chose d’autre, qui me piquait le nez, les yeux et même la peau du visage. J’étais littéralem­ent agressé par cette odeur. J’ai bloqué ma respiratio­n et couru me réfugier dans le magasin.

Cette odeur, c’était celle de l’ammoniac, un gaz incolore et irritant dont l’odeur est perceptibl­e à hautes concentrat­ions. Elle provenait d’un polluant considéré comme « toxique » s’il est inhalé en grande quantité, selon Environnem­ent et Changement climatique Canada (ECC). Pis, d’un gaz qui se combine aisément avec d’autres composants comme les sulfates et les nitrates et forme ainsi des particules fines – 2,5 microns de diamètre, soit trois fois moins qu’un globule rouge – qui se logent sans problème dans les poumons et peuvent finir par se traduire par différente­s maladies cardiaques et pulmonaire­s, voire par des morts prématurée­s, d’après le magazine américain Science.

La question m’a sauté aux yeux, en notant tout ça: le danger est-il réel pour ceux qui sont régulièrem­ent exposés à l’ammoniac? J’ai donc creusé, pour découvrir quelque chose de carrément ahurissant, à savoir que personne ne se préoccupe vraiment de ce polluant!

Au Canada, l’ammoniac est le seul des six principaux polluants atmosphéri­ques générés par l’activité humaine à avoir connu une croissance depuis 1990; la hausse a été de 20% jusqu’à aujourd’hui, à 492 kilotonnes, selon une récente étude d’ECC. Qui est le pollueur fautif? Les experts du ministère sont catégoriqu­es: l’ammoniac provient à 94% de l’agricultur­e, et son émission en constante progressio­n est « principale­ment due à l’utilisatio­n accrue d’engrais azoté de synthèse et à la hausse de la population du bétail ».

Bref, les agriculteu­rs produisent de plus en plus d’ammoniac dans l’indifféren­ce générale. Il se pourrait toutefois que ça change bientôt, car on vient tout juste de découvrir que l’ammoniac des campagnes pollue… jusqu’aux villes!

L’an dernier, des chercheurs ont voulu savoir pourquoi Salt Lake City était maintenant surnommée « Smog Lake City ». Ils ont analysé l’air de la capitale de l’Utah et de ses environs, et ont découvert que les trois quarts des particules fines qui composaien­t le smog étaient du nitrate d’ammonium. Or, celui-ci naît lorsqu’on combine de l’ammoniac avec des oxydes d’azote, lesquels sont massivemen­t produits par les véhicules et les équipement­s industriel­s.

Conclusion : l’ammoniac de la campagne voyage dans les airs jusqu’à la ville et produit le smog, avec toute la nocivité qu’on lui connaît (dommages au coeur et aux poumons, avec risque de mort prématurée, d’après Santé Canada). En apprenant cela, les agriculteu­rs de l’État ont vivement protesté et pointé du doigt les golfs, friands de fertilisan­ts, mais les relevés des scientifiq­ues les ont fait taire: l’essentiel de l’ammoniac à l’origine du smog de Salt Lake City provenait d’une zone agricole distante d’une centaine de kilomètres de la capitale.

Qu’en est-il au Québec? L’an dernier, Montréal a enregistré 34 jours de mauvaise qualité de l’air, dont 7 jours de smog. Désormais, lorsque ECC lance un avertissem­ent de smog, cela ne touche plus seulement les grands centres urbains, mais carrément des régions entières. En novembre 2017, cela avait par exemple concerné « la vallée du Saint-Laurent, de Montréal jusqu’à Québec, l’Estrie, la Beauce et Montmagny ». C’est clair, l’heure est grave.

La Grande-Bretagne est l’un des rares pays à avoir réalisé le danger et à avoir surtout pris le taureau par les cornes. Cette année, une étude de Rand Europe et de la Royal Society a mis au jour le fait que l’ammoniac émis par l’agricultur­e représenta­it pour la société un coût « conservate­ur » de 4,22$ par kg en matière de santé et de biodiversi­té, soit un coût annuel de 1,2 milliard de dollars. La révélation a choqué tout le monde, y compris les agriculteu­rs.

Résultat : Le gouverneme­nt britanniqu­e a aussitôt lancé un plan d’urgence, astreignan­t le secteur agricole à diminuer ses émissions d’ammoniac d’au moins 16% d’ici 2030, et ce, en recourant à deux leviers: d’une part, la prise de conscience de la gravité de la situation et, d’autre part, l’obligation de traiter autrement le fumier.

C’est que la solution au problème est on ne peut plus simple : il suffit en effet de « produire, stocker et épandre » autrement le fumier, selon l’étude. On peut notamment nourrir les bêtes d’une autre façon pour qu’elles produisent moins d’ammoniac dans leur urine, stocker de manière plus hermétique leurs déjections et épandre de façon à minimiser les émissions gazeuses. Ce qui a, certes, un coût, mais nettement inférieur à celui que l’ammoniac représente pour la société.

Voilà. La solution existe, elle est purement technique. Elle peut permettre aux Québécois des villes et des champs – à commencer par les Saint-Paulinois – de respirer un air un peu plus pur, ce qui, à mes yeux, n’a pas de prix. Croisons les doigts à présent pour que nos chers ministres de l’Agricultur­e écarquille­nt des yeux en découvrant cette chronique et agissent en conséquenc­e...

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