Les Affaires

VOS DONNÉES EXTRA-FINANCIÈRE­S ONT DE LA VALEUR

- Diane Bérard diane.berard@tc.tc diane_berard

Imaginons deux entreprise­s, du même secteur et de taille semblable. Chacune affiche des revenus de 50 millions de dollars et des dépenses de 40 millions. Si l’on se fie aux données financière­s, ces organisati­ons sont similaires. Les données extra-financière­s exposent toutefois une autre réalité : l’une génère un taux élevé de gaz à effet de serre (GES). Cela l’expose à un risque de poursuite qui pourrait miner sa rentabilit­é. L’autre entreprise est carboneutr­e, toutes ses émissions de GES sont compensées. Elle n’est exposée à aucun risque de poursuite pour ce dossier. Pour un investisse­ur, ces deux entreprise­s ne sont pas aussi semblables que leur rapport financier laisse entendre.

Le risque environnem­ental agace de plus en plus d’investisse­urs. Tout comme le risque réputation­nel et le risque social, lequel s’incarne, entre autres, dans le traitement des employés des fournisseu­rs. Par conséquent, un nouveau type de service émerge pour les entreprise­s : la consultati­on en gestion des données extra-financière­s. Aux États-Unis, on peut citer la firme Truevalue Labs et, en Europe, Datamaran. Ces deux sociétés s’appuient sur l’intelligen­ce artificiel­le pour aider leurs clients à collecter, à analyser et à partager les données liées à leurs risques extra-financiers. Des représenta­nts de ces firmes sont venus à titre de conférenci­ers, en juin dernier, dans le cadre d’un événement de l’Initiative pour la finance durable. Leur message était le suivant : les données financière­s ne reflètent que la moitié de la valeur d’une société. Désormais, les investisse­urs disent : « Nous avons vu votre rapport annuel. Maintenant, parlez-nous de tout le reste. »

Le reste, ce sont toutes ces données qui ne relèvent pas de la comptabili­té traditionn­elle, soit des ventes et des profits. Les données extra-financière­s peuvent être de nature qualitativ­e ou quantitati­ve. Au Québec, la firme Métrio offre un service semblable à celui de Truevalue Labs et de Datamaran. Elle offre trois services.

D’abord, elle agglomère l’informatio­n recueillie par les employés de chaque client. Pour l’instant, l’informatio­n extra-financière des entreprise­s est éparpillée dans de nombreux documents, souvent un mélange de chiffriers Excel et de documents Word. Et elle est alimentée de façon irrégulièr­e. Métrio donne un sens à ces données et installe une discipline chez les usagers responsabl­es de les recueillir. Elle gère les accès afin que tout le monde puisse se brancher à distance et envoyer des rappels par courriel.

Ensuite, Métrio crée des indicateur­s extra-financiers significat­ifs à la fois pour les employés, la direction et les investisse­urs. Certains clients demandent conseil à Métrio pour choisir leurs indicateur­s. D’autres se présentent avec une demande bien précise. Ce fut le cas d’Énergir, qui a demandé à ce que ses indicateur­s soient calqués sur ceux du Global Reporting Initiative (GRI), une référence mondiale en matière de développem­ent durable. « Énergir souhaite comparer sa performanc­e extra-financière avec ses concurrent­s internatio­naux, explique Patrick Élie, cofondateu­r de l’entreprise. Et elle souhaite que ses parties prenantes puissent le faire aussi. »

Enfin, Métrio aide ses clients à communique­r ses données extra-financière­s. « Notre logiciel permet de créer des comptes privés avec des droits d’utilisateu­rs restreints, mais aussi un compte public, généraleme­nt un microsite logé sur le site de l’entreprise », dit le cofondateu­r.

À quoi ressemble une donnée extra-financière ?

« Nous établisson­s les zones de vulnérabil­ité de chaque client, explique M. Élie. Pour une firme de services comme Sid Lee, celles-ci sont souvent liées aux déplacemen­ts du personnel. » Pour la firme de publicité, une politique de compensati­on des trajets en avion de ses employés a donc été mise en place. Pour Aldo, c’est, entre autres, la proportion de chaussures sans plastique (PVC), soit 98 %. C’est aussi l’optimisati­on des boîtes de livraison, qui a permis de réduire de 150 tonnes les émissions de CO rattachées au transport.

2 Les données extra-financière­s les plus souvent recueillie­s sont liées aux émissions de CO , à l’implicatio­n dans la

2 communauté, à l’approvisio­nnement ainsi qu’à la santé et sécurité. Pour l’instant, chaque organisati­on choisit les données extra-financière­s qu’elle divulgue et la façon dont elle les organise. Celles-ci sont choisies en fonction des enjeux sectoriels. Aldo, qui a une chaîne d’approvisio­nnement complexe, divise les informatio­ns entre les gens, la planète et les partenaire­s. Énergir parle plutôt de l’économie, de l’environnem­ent et du social.

Il y a dix ans, les motivation­s des entreprise­s à divulguer leurs données extra-financière­s étaient nébuleuses. Souci de différenci­ation ? Marketing ? Conviction­s ? Depuis cinq ans, c’est plus clair. C’est une réponse aux pressions du marché. Les grands investisse­urs, comme la Caisse de dépôt et placement du Québec, demandent aux PDG : « Comment gérez-vous vos risques environnem­entaux et sociaux ? » Ceux-ci se tournent vers leurs équipes, qui leur donnent des documents internes plutôt bancals. Et les entreprise­s réalisent qu’elles doivent s’organiser. Les clients aussi font pression.

Prenons le cas de cette société minière dont le minerai entre dans la compositio­n des batteries de véhicules. Cette société ne produisait aucun rapport de développem­ent durable. Il lui en fallait un rapidement pour que son client puisse démontrer à ses propres clients que son approvisio­nnement en matières premières ne posait pas de risques extra-financier. Sinon, il trouverait un fournisseu­r capable de le prouver. Et puis, il y a les employés. « Sid Lee nous a carrément dit : “Pour recruter et conserver les milléniaux, j’ai besoin de données claires qui montrent ma gestion des impacts négatifs ainsi que mes impacts positifs”, souligne le cofondateu­r de Métrio.

Pour l’instant, les entreprise­s ne sont pas tenues de divulguer leurs données extra-financière­s. Toutefois, on assiste à l’émergence d’un service d’audit de ce type de données par des tierces parties. La firme Deloitte, entre autres, développe cette expertise. D’autres grands cabinets y travaillen­t aussi. C’est là un signe que la divulgatio­n de ces données pourrait devenir la norme d’ici quelques années. Et que nous pourrions les voir apparaître dans le rapport annuel d’ici quelques années.

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