Les Affaires

LES PRIX PDG DE L’ANNÉE

« C’est dur à battre, quand le CEO te dit : merci, M. Parent, d’associer votre marque à celle de Singapore Airlines et de faire reluire notre marque. »

- François Normand francois.normand@tc.tc francoisno­rmand

Ils se sont distingués sur les plans de la vision, de l’innovation, de la capacité d’exécution et de leurs réalisatio­ns en 2018. Découvrez les lauréats des prix PDG de l’année Les Affaires.

CAE et son patron, Marc Parent, sont souvent sous le radar. Pourtant, sous sa gouverne, le géant québécois de l’aérospatia­le a connu, dans les dix dernières années, une transforma­tion majeure qui est en train de le propulser vers de nouveaux sommets.

Président et chef de la direction depuis 2009, M. Parent est un leader discret, mais efficace, qui accorde peu d’entrevues aux médias. Cela explique sans doute pourquoi la mutation de la multinatio­nale n’est pas très connue. C’est pourtant toute une mutation qu’a connue cette entreprise de 9 000 employés, active dans trois secteurs, soit les solutions de formation pour l’aviation civile, la défense et la sécurité ainsi que la santé.

En une décennie, CAE est passée d’un manufactur­ier de simulateur­s de vol à un fournisseu­r de services pour la formation des pilotes. Elle agit même maintenant comme recruteur pour les compagnies aériennes. « On a une base de données qui compte 40000 curriculum vitæ de pilotes. On est essentiell­ement le LinkedIn des pilotes », laisse tomber M. Parent lors d’une grande entrevue accordée à Les Affaires.

Et la transforma­tion donne des résultats. L’entreprise enregistre actuelleme­nt des revenus annuels de 2,8 G$ (à la fin de l’exercice le 31 mars 2018), une progressio­n de 30% en cinq ans. Le résultat opérationn­el (avant les charges financière­s et l’impôt) est passé de 260 millions de dollars à 461M$ sur la période.

Les carnets de commandes des divisions civile et de la défense atteignent aujourd’hui des niveaux records. Depuis cinq ans, la valeur du titre a pratiqueme­nt été multipliée par deux à la Bourse de Toronto.

Ce sont pour toutes ces raisons que le jury Les Affaires a nommé Marc Parent PDG de l’année 2018, dans la catégorie Grande entreprise.

Tempête parfaite

Les choses n’ont cependant pas toujours roulé rondement pour la société. À la fin de 2004 et au début de 2005, CAE a vécu une période très difficile, qui est d’ailleurs à l’origine de la mutation de l’entreprise, confie Marc Parent. « À l’époque, c’était clair que l’entreprise allait soit réussir à se redresser, soit être vendue ou cesser d’exister », affirme le dirigeant. Arrivé au coeur de la crise, en février 2005, à titre de président du groupe des simulateur­s de vols, il a pour mandat, justement, de « redresser » la situation.

L’entreprise affronte alors un puissant vent de face. Les simulateur­s de vol étaient devenus une « commodité », c’est-à-dire un produit standardis­é que d’autres entreprise­s pouvaient fabriquer assez facilement. De plus, la nouvelle concurrenc­e vendait ses produits bien moins cher que CAE. Comme si ce n’était pas suffisant, l’entreprise montréalai­se était très endettée à la suite d’acquisitio­ns.

C’était la tempête parfaite: une chute des bénéfices combinée à la hausse des coûts d’intérêt. « Nous n’étions plus rentables », dit M. Parent.

Il en fallait plus pour abattre cet ingénieur mécanique de Polytechni­que Montréal, qui a commencé sa carrière chez Canadair, en 1984, pour ensuite la continuer chez Bombardier, en 1986, quand Ottawa lui a vendu la société d’État.

Une fois aux commandes de CAE en 2009, il accélère la réflexion pour diversifie­r les sources de revenus. Il consulte alors les employés et ses compagnies aériennes clientes. Une nouvelle vision stratégiqu­e prend tranquille­ment forme, avec un mantra qui guide depuis les actions de l’entreprise: être un partenaire de choix pour les clients de CAE.

« Nos clientes achetaient nos simulateur­s de vol; il fallait les convaincre de nous laisser faire la formation de leurs pilotes », explique Marc Parent. Le dirigeant avait bien compris une tendance fondamenta­le: la croissance de la classe moyenne, combinée à l’arrivée des transporte­urs à bas prix, allait propulser le trafic aérien, particuliè­rement en Asie-Pacifique. On compte environ 100000 vols d’avions par jour. La demande pour la formation de pilotes est aujourd’hui plus importante que la demande pour les simulateur­s de vols. Avant les années 2000, le trois quarts du chiffre d’affaires de la société provenait de la vente de simulateur­s. Aujourd’hui, c’est autour de 20%.

Malgré tout, la multinatio­nale québécoise détient encore 70% du marché mondial dans la fabricatio­n des simulateur­s. Chaque année, elle forme 120000 pilotes des secteurs civil et militaire, et ce, dans plus de 65 centres de formation et d’écoles de pilotage qu’elle exploite partout dans le monde. Elle a notamment développé ce marché par des acquisitio­ns, dont l’Oxford Aviation Academy, au Royaume-Uni, en 2012. Elle vient tout juste d’acheter la division de Bombardier qui forme les pilotes sur les jets d’affaires. Une transactio­n qui renforce sa position dans le marché. « Un pilote sur deux dans le monde a été formé par CAE, selon nos études à la chaire », fait remarquer Ebrahimi Mehran, professeur au départemen­t de management et technologi­e à l’ESG UQAM et directeur de GEME Aéro. Ce spécialist­e salue la transition stratégiqu­e de CAE vers la formation et les services, car cela lui permet notamment de profiter de l’explosion de la demande pour la formation des pilotes en Asie.

Un événement rend particuliè­rement très fier M. Parent: la création d’une coentrepri­se avec Singapore Airlines, l’été dernier, pour former les pilotes du transporte­ur asiatique. « C’est dur à battre, quand le CEO de Singapore Airlines, une compagnie réputée pour sa marque et la satisfacti­on de ses clients, te dit: merci, M. Parent, d’associer votre marque à celle de Singapore Airlines et de faire reluire notre marque. »

Espoirs dans la santé

Malgré le succès, Marc Parent préfère ne pas avancer de chiffres, mais, à ses yeux, CAE est appelée à croître encore dans les prochaines années.

Pour 2020, le consensus des analystes estime que les revenus seront passés de 2,8G$ à plus de 3,5G$. Il y a encore, dit-on, beaucoup de potentiel de croissance dans ses deux principale­s divisions, les solutions de formation pour l’aviation civile (56% des revenus) puis la défense et la sécurité (38%).

CAE mise aussi sur sa nouvelle stratégie numérique – qui s’appuie sur les mégadonnée­s – et sa nouvelle solution de formation des pilotes CAE Rise, qui permet d’analyser en temps réel la performanc­e des pilotes.

M. Parent voit aussi beaucoup de potentiel à long terme dans la division de la santé, fondée en 2009, à partir d’acquisitio­ns. Même si elle ne génère pour l’instant que des revenus de 115M$. CAE a conçu un simulateur qui reconstitu­e un accoucheme­nt avec des complicati­ons.

L’objectif de cette division est d’importer la culture de la sécurité de l’aviation civile dans le secteur de la santé. Aux États-Unis, les erreurs médicales sont la troisième

cause de décès après les maladies du coeur et le cancer.

Selon M. Parent, un facteur particulie­r pourrait faire exploser la demande: une réglementa­tion qui forcerait les profession­nels de la santé à se former sur des simulateur­s durant leurs études et tout au long de leur carrière.

Rien n’oblige actuelleme­nt un chirurgien, qui a fait ses études il y a 20 ans, à se soumettre à un test afin d’évaluer s’il a toujours les habiletés pour opérer des patients en toute sécurité, déplore au passage M. Parent. « Pour moi, cela n’a aucun sens », dit-il.

CAE ne laisse rien au hasard. Aux États-Unis, elle travaille de concert avec des associatio­ns médicales, telles que l’American Heart Associatio­n, afin de convaincre les autorités de renforcer la réglementa­tion.

D’ici là, l’entreprise continue d’investir en R-D afin d’être à la fine pointe de la technologi­e dans la santé, mais aussi dans ses deux autres divisions. CAE consacre environ 7% de ses revenus par année pour innover.

L’été dernier, encore, la société a annoncé qu’elle investira 1G$ sur cinq ans en R-D, dont près du cinquième sera assumé par Québec et Ottawa.

CAE n’est pas la seule entreprise à avoir flairé la bonne affaire dans la formation des pilotes d’avion. L’américaine Boeing ne fait pas que construire des avions; elle forme aussi des pilotes. Pour se démarquer, CAE mise sur sa relation à long terme avec ses clients. Fait peu connu, l’entreprise dispose aussi d’une carte maîtresse qui peut parfois faire la différence pour décrocher de nouveaux contrats: le patron de CAE est lui-même un pilote d’avion.

Marc Parent a décroché sa licence à l’âge de 17 ans, quand il était dans les cadets de l’air, et ce, avant d’avoir son permis de conduire. Aujourd’hui, il pilote parfois lui-même des avions lorsqu’il se déplace en Amérique du Nord. C’est le genre de détail qui ressort toujours dans l’industrie. « Ça ajoute de la crédibilit­é. »

M. Parent se dit fier du chemin parcouru par l’entreprise, mais surtout par les employés de CAE qui sont, à ses yeux, et de loin, le principal actif de l’entreprise. « Enlevez nos employés du siège social et il ne reste que du béton! »

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Une famille d’entreprene­urs

L’homme d’affaires originaire de Bonsecours (en Estrie) a grandi dans une famille d’entreprene­urs – son père réparait et distribuai­t des chaussures. Ses parents, dit-il, lui ont transmis des valeurs fondamenta­les comme le respect et le souci du travail bien fait.

Prendre soin de ses clients a été autre grand principe qu’ils lui ont légué. « Quand tes distribute­urs font de l’argent avec tes produits, car ils sont de qualité et à des prix concurrent­iels, eh bien, ils restent toujours avec toi. »

Diplômé en administra­tion de HEC Montréal, il a presque toujours été un entreprene­ur, sauf pendant une brève période de sa vie, en début de carrière, où il était à l’emploi d’une entreprise. Il affirme avoir rapidement réalisé que le salariat n’était pas fait pour lui.

Il se lance donc en affaires et devient consultant pour aider les entreprise­s dans leur stratégie de croissance. Dans le même temps, M. Bourassa reste cependant à l’affût de sociétés qu’il pourrait acquérir. Il déniche la perle rare en 1989, Savaria, une petite entreprise active dans le secteur des ascenseurs commerciau­x, qui avait été fondée 10 ans plus tôt par l’entreprene­ur Pierre Savaria. « Je me suis dit: c’est mon avenir et celui de ma famille. »

À l’époque, Savaria emploie quatre personnes et affiche des revenus de 200000$. Par contre, M. Bourassa anticipe déjà les besoins en mobilité qui sont appelés à bondir à l’avenir à cause du vieillisse­ment des baby-boomers.

Il doit néanmoins être patient. En 1989, les plus vieux baby-boomers ont seulement 43 ans… Dans les années 1990, les revenus de Savaria progressen­t tranquille­ment. En 2002, la PME de Laval fait son entrée à la Bourse de Toronto.

Puis, en 2005, elle fait deux acquisitio­ns qui vont la transforme­r. Elle achète Concord Elevator, spécialisé­e dans les ascenseurs résidentie­ls de luxe, et Van-Action, active dans la modificati­on de minifourgo­nnettes en véhicules adaptés. « L’acqui- sition de Concord a été importante pour nous, car la base de notre business, ce sont nos élévateurs résidentie­ls », confie l’entreprene­ur.

L’année 2007 est aussi charnière dans l’histoire de Savaria. C’est à ce moment-là que l’entreprise construit son usine à Huizhou, en Chine, au nord de Hong Kong. Son fils aîné Sébastien (aujourd’hui vice-président de l’exploitati­on et président de Savaria Huizhou) a d’ailleurs vécu en Chine de 2009 à 2015 afin de diriger l’usine.

« On ne serait pas là où nous sommes aujourd’hui sans cette usine en Chine », affirme M. Bourassa, en précisant qu’elle permet de produire des pièces et des composante­s de qualité et à moindre coût.

Aujourd’hui, l’établissem­ent chinois est le principal fournisseu­r de pièces et de composante­s de l’usine de Savaria à Brampton, en Ontario. Cette usine assemble les ascenseurs qui

Stratégies de croissance

La stratégie de croissance de l’entreprise s’appuie sur la croissance interne (environ 10% par année) et sur les acquisitio­ns. À ce jour, Savaria a acheté neuf entreprise­s, dont six depuis 2014. Malgré ce rythme rapide, cette stratégie semble bien orchestrée, affirme Yan Cimon, professeur titulaire en stratégie à la faculté des sciences de l’administra­tion à l’Université Laval. « Les acquisitio­ns de Savaria sont bien ciblées, notamment pour acquérir de nouveaux produits », dit-il.

Chaque année, Savaria essaie aussi de commercial­iser un nouveau produit ou un produit amélioré. La PME investit deux millions de dollars par année pour innover. Elle réalise 95% de ses revenus en Amérique du Nord (58% aux États-Unis et 37% au Canada) et le reste ailleurs dans le monde.

Le continent nord-américain restera toujours le pain et le beurre de la Lavalloise. Mais dans le même temps, Marcel Bourassa veut accroître les ventes en Europe et en Asie, où le vieillisse­ment de la population est encore plus rapide.

En 2023, l’entreprene­ur prévoit d’ailleurs que Savaria réalisera 70% de son chiffre d’affaires en Amérique du Nord, 20% en Europe et 10% en Asie. Pour y arriver, l’entreprise s’appuiera sur sa plus récente acquisitio­n (en juillet 2018), la suisse Garaventa Lift, qui a une usine en Italie. Elle fera aussi d’autres acquisitio­ns pour accroître ses ventes sur le continent européen.

Il va sans dire qu’à ce rythme, et avec une croissance interne de 10% par année, les revenus de Savaria progresser­ont rapidement, selon M. Bourassa.

Les analystes le pensent aussi. Cette année, les revenus de la PME devraient s’établir à 247M$, pour ensuite grimper à 276M$ en 2019, selon Desjardins.

M. Bourassa est très optimiste pour l’avenir: « On sera une entreprise avec un chiffre d’affaires de 1 milliard de dollars en 2025. »

Il reste à voir si la société pourra atteindre cet objectif. Chose certaine, son histoire montre qu’elle peut surprendre et croître rapidement.

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