Les Affaires

SNC-Lavalin : le tsunami ravageur de dirigeants sans morale

- Jean-Paul Gagné jean-paul.gagne@tc.tc Chroniqueu­r | gagnejp

C’est incroyable les dégâts que peut causer une culture d’entreprise qui permet la corruption. Il est certain que cette culture n’était pas généralisé­e dans l’entreprise.

Néanmoins, il ne fait aucun doute qu’elle a existé aux plus hauts échelons par le manque d’éthique, l’appât du gain, les imprudence­s et l’aveuglemen­t volontaire. La plus grande preuve de cette bêtise était la mise à dispositio­n à des intermédia­ires et même à des employés de sommes d’argent gigantesqu­es pour négocier l’obtention de contrats auprès de personnes corruptibl­es et sans morale.

On l’a fait d’abord et surtout dans des pays dirigés par des dictateurs (comme dans la Libye des Khadafi), mais aussi chez nous, pour obtenir des contrats, comme ceux de 1,3 milliard de dollars pour construire le Centre universita­ire de santé McGill (CUSM) et de 127 millions de dollars pour la réfection du pont Jacques-Cartier de Montréal.

Le dossier criminel est fermé dans l’affaire du CUSM, qui a fait l’objet de certaines condamnati­ons (les contribuab­les n’ont toutefois pas encore été indemnisés), mais celui du pont Jacques-Cartier ne l’est pas. Le corrompu a été condamné à la prison, mais la GRC continue de monter son dossier en espérant pouvoir porter des accusation­s contre quatre corrupteur­s. Ils sont sans doute de SNC-Lavalin, dans les bureaux de laquelle 3200 documents ont été saisis en mars 2018.

Dommages directs et collatérau­x

Les dommages de cette corruption sont énormes. Il importe de s’y attarder pour bien saisir les graves conséquenc­es de ce dérèglemen­t éthique.

1.

Tout d’abord, il y a la perte de réputation de l’entreprise elle-même, qui semble avoir perdu de l’expertise. À preuve, une perte importante réalisée sur un projet minier en Amérique latine, la dévaluatio­n de 1,24 G$ du secteur du pétrole et du gaz, la réorganisa­tion du secteur des mines et de la métallurgi­e et le retrait possible de l’Arabie saoudite, une monarchie corrompue qui bafoue les droits de la personne les plus élémentair­es. 2.

La perte de confiance envers l’entreprise se traduit notamment par la chute en Bourse de son action, qui est passée de 61,50$ en juin 2018 à 34 $ récemment. Au sujet de cette perte de confiance, Standard & Poor’s vient de faire passer de BBB à BBB- sa notation de crédit, ce qui veut dire que sa dette lui coûtera plus cher.

3.

Cette chute du prix de l’action de SNC se traduit aussi par des pertes en capital pour des millions d’investisse­urs et de rentiers actuels et futurs, dont les caisses de retraite possèdent des actions de SNC. Notre chère Caisse de dépôt et placement, qui gère le régime de rentes du Québec et une bonne quinzaine d’autres caisses et fonds, détient 20 % du capital-actions de SNC.

4.

Et que dire des employés, qui sont au nombre de 50000, dont 9000 au Québec, et qui doivent continuer de donner le meilleur d’eux-mêmes malgré la tonne de boue que des corrompus de la haute direction leur ont versé sur la tête?

5.

Montréal, le Québec et le Canada sont aussi des victimes, car SNC était l’une des firmes les plus prestigieu­ses à avoir son siège social au Québec. La baisse de sa valeur boursière la rend vulnérable à une offre d’acquisitio­n par un concurrent étranger. Le gouverneme­nt Legault voudra protéger son siège social, mais à quel prix ce sauvetage pourrait-il se faire?

6.

La plus grande victime collatéral­e des déboires de SNC pourrait être le gouverneme­nt Trudeau, qui traverse la plus grande crise politique de son histoire... à cause des malveillan­ces de certains de ses dirigeants.

C’est pour éviter à SNC-Lavalin un procès qui pourrait lui valoir une condamnati­on et qui la priverait de la possibilit­é de soumission­ner sur des appels d’offres de l’État et de la Banque mondiale pour dix ans que le gouverneme­nt Trudeau a introduit dans le Code criminel la notion d’Accord de poursuite suspendue (APS). En vertu de ce processus, une société peut bénéficier d’une telle suspension en reconnaiss­ance de sa responsabi­lité, du versement d’une pénalité et de la renonciati­on au bénéfice de l’activité reprochée.

Ce mécanisme, qui est en vigueur aux ÉtatsUnis, au Royaume-Uni et dans d’autres pays, a permis à des centaines de sociétés d’échapper à des procès en contrepart­ie d’amendes se chiffrant parfois dans les milliards de dollars. Ce fut le cas pour des dizaines de grandes sociétés américaine­s, britanniqu­es et suisses too big to fail ou too big to jail qui ont pu ainsi éviter des procès qui auraient révélé les dessous de leurs crimes.

L’affaire SNC est devenue un scandale politique parce que des politicien­s l’utilisent pour embêter le gouverneme­nt dans l’espoir de gagner des votes. Le bureau du premier ministre avait le droit de demander à la ministre de la Justice de suivre ce dossier. Une enquête dira s’il a fait des pressions indues et tenté d’interférer dans le processus judiciaire. Par ailleurs, il se pourrait que la directrice des poursuites pénales, Kathleen Roussel, ait refusé d’obtempérer parce que de nouvelles preuves auraient peut-être été trouvées dans les documents saisis au siège social de SNC en mars dernier.

Il n’y a rien de mal pour le gouverneme­nt Trudeau, bien au contraire, à vouloir sauver une entreprise de la taille et de l’importance économique de SNC pour Montréal, le Québec et le Canada.

Ce n’est pas la personne morale qui a mal agi. Ce sont certains de ses hauts dirigeants. Ce sont eux les coupables et ce sont eux qu’il faut punir, pas l’entreprise ni ses salariés.

J’aime

Cycle Capital, la plus importante plateforme de capital de risque en technologi­es propres du Canada, vient de lancer un quatrième fonds, doté d’un capital de 109 M$. Les principaux investisse­urs dans ce fonds sont le gouverneme­nt du Québec pour 50 M$, Teralys Capital, Fonds FTQ, Fondaction, Suez, Hydro-Québec, Innergex, la Fondation McConnell, Rio Tinto, la coopérativ­e financière Vancity et la Fondation familiale Trottier. Cycle Capital a investi jusqu’à maintenant 200 M$ dans des entreprise­s de technologi­es propres qui, elles-mêmes, ont levé 1,2 G$ en capitalact­ions. Dirigée par sa fondatrice et associée directeure, Andrée-Lise Méthot, Cycle Capital, qui est basée à Montréal, investit notamment dans le stockage et l’efficacité énergétiqu­e, la chimie verte, la mobilité durable, les technologi­es de la ville intelligen­te et l’agrotechno­logie durable.

Je n’aime pas

Il est vrai que le congédieme­nt d’un agronome du Centre de recherche sur les grains (CEROM) qui a rendu publics des résultats de recherches scientifiq­ues sur des pesticides est odieux s’il s’agit bien de la raison de son renvoi. Ce geste s’explique aussi par le fait que le CEROM, qui est financé par l’État à 68 %, est géré par un CA qui manque d’indépendan­ce. Son président est Christian Overbeek, qui est aussi président des Producteur­s de grains du Québec, un syndicat regroupant 11000 membres.

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