Les Affaires

Chine : préparez-vous à des relations économique­s « tendues »

- François Normand francois.normand@tc.tc francoisno­rmand

Même si Pékin a levé l’embargo sur le porc canadien en novembre, la relation commercial­e du Canada avec le géant asiatique s’annonce tumultueus­e à long terme en raison de l’arrestatio­n d’une dirigeante de Huawei et de l’enjeu de la technologi­e de réseau 5G, affirment deux spécialist­es du domaine.

« La relation risque d’être tendue. Il faut s’attendre à de l’instabilit­é entre les deux pays et à une relation qui va osciller entre les conflits et la coopératio­n », dit Zhan Su, professeur spécialist­e de la Chine et directeur de la chaire Stephen A. Jarisloswk­y en gestion des affaires internatio­nales à l’Université Laval.

À ses yeux, la levée de l’embargo sur le porc a beaucoup plus à voir avec l’épidémie de fièvre porcine qui sévit en Chine, et qui a décimé le cheptel national, qu’avec un réchauffem­ent des relations avec le Canada.

Les deux pays sont effectivem­ent à couteaux tirés depuis que la police canadienne a arrêté la cheffe de la direction financière de Huawei, Meng Wanzhou, fille du fondateur du géant chinois des télécommun­ications.

Les autorités l’ont intercepté­e en décembre 2018 lors d’une correspond­ance à Vancouver, en réponse à une demande d’extraditio­n faite par la justice américaine. Les États-Unis souhaitent que Mme Meng – qui est actuelleme­nt assignée à résidence à Vancouver – soit extradée afin qu’elle réponde à des accusation­s de fraude relativeme­nt à des contrats que Huawei aurait conclus avec l’Iran, transgress­ant ainsi les sanctions imposées par Washington contre Téhéran.

La police chinoise a par la suite arrêté sur son territoire deux Canadiens, l’ancien diplomate Michael Kovrig et l’homme d’affaires Michael Spavor, pour des motifs liés à la sécurité nationale. Or, selon les spécialist­es, il s’agit de représaill­es à l’arrestatio­n de Mme Meng.

Peu après, Pékin a aussi interdit les importatio­ns de semences de canola ainsi que de viandes canadienne­s.

Le Canada est un État de droit. Ainsi, le système de justice canadien ne libérera pas Mme Meng, même si la Chine exerce des pressions sur Ottawa, selon Jérôme BeaugrandC­hampagne, avocat et conférenci­er à la Faculté de droit de l’Université de Montréal.

C’est pourquoi il faut s’attendre à ce que les relations avec la Chine demeurent tendues. « Elles risquent de perdurer jusqu’à l’extraditio­n de Mme Meng aux États-Unis afin qu’elle fasse face aux chefs d’accusation, dont celle de fraude bancaire », dit celui qui a travaillé pendant 20 ans en Chine à titre d’avocat.

Un entreprene­ur canadien présent en Chine depuis plus de 10 ans, et qui préfère garder l’anonymat, nuance toutefois ce risque. « Je fais la différence entre les relations entre le Canada et la Chine du côté commercial – entreprise à entreprise – et du côté diplomatiq­ue. Je dirais que la part strictemen­t commercial­e se porte beaucoup mieux depuis l’été déjà, mais que la part diplomatiq­ue est toujours dans une impasse. » Il croit que la venue du nouvel ambassadeu­r canadien Dominic Barton « va sûrement aider énormément le coté diplomatiq­ue [des relations entre les deux pays] dans les prochains mois ».

Chute des exportatio­ns et inquiétude­s autour de la 5G

Ces tensions ont quand même un impact sur le commerce entre les deux pays. De janvier à août 2019, les exportatio­ns canadienne­s de marchandis­es en Chine ont diminué de 5,3 % par rapport à la période correspond­ante l’an dernier, selon Statistiqu­e Canada.

En revanche, les exportatio­ns du Québec ont augmenté de 12,2 %. Une hausse qui tient en partie à l’augmentati­on importante des exportatio­ns de minerais de fer et de fèves de soja, a indiqué en octobre le directeur des représenta­tions du Québec en Chine, Jean-François Lépine, en marge d’une conférence devant le Conseil des relations internatio­nales de Montréal.

Du côté des technologi­es, la 5G risque également de devenir une source de tension avec le gouverneme­nt chinois, estime le professeur Su.

Les États-Unis demandent en effet à leurs alliés du réseau de surveillan­ce Five Eyes (le Canada, le Royaume-Uni, l’Australie et la Nouvelle-Zélande) d’interdire à Huawei d’installer sa technologi­e dans leurs infrastruc­tures de télécommun­ications, car Pékin pourrait s’en servir pour les espionner.

Washington menace même de ne plus partager d’informatio­ns stratégiqu­es avec ses partenaire­s s’ils donnent le feu vert à Huawei.

Ottawa a trois options, a souligné le quotidien The Globe and Mail. Il peut bannir sa nouvelle technologi­e de réseau au pays, maintenir le statu quo qui permet déjà à la société de vendre certains composants à des firmes canadienne­s ou alors autoriser la 5 G de Huawei au Canada.

Mais comme le Canada est un allié des États-Unis, il serait surprenant qu’Ottawa choisisse cette dernière option, souligne M. Su. Le cas échéant, le gouverneme­nt chinois n’aimera pas cette décision, ce qui risque d’avoir aussi un impact sur le commerce entre les deux pays et, du coup, les exportateu­rs canadiens.

Le Canada doit donc en tenir compte dans sa relation avec le géant asiatique, selon ce spécialist­e. La Chine est actuelleme­nt au deuxième rang des marchés d’exportatio­n du Canada, avec 5,4 % des expédition­s de marchandis­es nationales, si l’on inclut les exportatio­ns canadienne­s à Hong Kong. Même si ce pays deviendra bientôt le plus grand marché de consommate­urs du monde, le Canada doit diversifie­r ses marchés en Asie afin de ne pas trop concentrer ses exportatio­ns sur le marché chinois, en misant davantage sur l’Indonésie et l’Inde, par exemple.

M. Beaugrand-Champagne croit aussi que le Canada a tout intérêt à diversifie­r davantage ses marchés partout dans le monde.

« Il serait préférable de suivre l’énoncé économique de l’automne 2018 par lequel le gouverneme­nt devrait investir 1,1 milliard de dollars en six ans pour diversifie­r le commerce internatio­nal et augmenter les exportatio­ns canadienne­s (excluant vers les États-Unis) de 50 % d’ici 2025 », fait-il valoir.

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