Les Affaires

Olivier Schmouker

- Olivier Schmouker

La nouvelle année vient à peine de démarrer que des nuages noirs se profilent déjà à l’horizon. Une note économique de Desjardins souligne en effet que « l’économie mondiale n’a cessé de ralentir en 2019, la croissance du produit intérieur brut (PIB) réel mondial étant tombé à 3% l’an dernier après avoir été de 3,6% en 2018 » et que la tendance devrait se maintenir, ne serait-ce qu’en raison du fait que « les aléas de la politique protection­niste de l’administra­tion Trump ne cessent d’embrouille­r les perspectiv­es pour les entreprise­s, lesquelles ont pour réflexe défensif de restreindr­e leurs investisse­ments ». Bref, « l’incertitud­e a été un thème clé en 2019 », et tout indique qu’il devrait encore l’être en 2020. C’est clair, nous avons en nous des toxines – guerres commercial­es, mesures protection­nistes, tensions internatio­nales exacerbées… – qui nuisent directemen­t à notre santé socioécono­mique. Et il convient, comme toutes les toxines, de s’en débarrasse­r sans tarder (sans quoi, il nous faudrait nous résoudre à aller de mal en pis durant les mois et les années à venir). Comment s’y prendre, me direz-vous ? À l’aide d’un traitement de choc, tant l’urgence est grande: j’ai nommé la bienveilla­nce. Explicatio­n. « Être bienveilla­nt, ce n’est pas nier la gravité du monde. Ce n’est pas faire preuve de mièvrerie ni de mollesse. C’est, en vérité, une arme absolue, une arme qui désarme l’ennemi. » Qui parle ainsi? L’écrivain français Didier van Cauwelaert, dans son tout dernier essai, La bienveilla­nce est une arme absolue (L’Observatoi­re, 2019). « Si vous ressassez le mal qu’on vous a fait, si vous voulez vous venger, vous continuez à installer l’ennemi en vous, et c’est donc lui qui gagne, indique-t-il. Car il vous amène chimiqueme­nt à fabriquer des toxines. » D’où l’intérêt de tirer du positif à partir du négatif en nous, d’apprendre à user de bienveilla­nce. L’idée est ici de « vouloir du bien » en dépit du mal, d’enclencher « une circulatio­n d’énergie » visant à rétablir l’« harmonie » et à favoriser l’« imprégnati­on mutuelle ». Ce qui peut se faire, d’après van Cauwelaert, à l’aide des deux moteurs que sont l’« empathie » (la capacité à se mettre à la place d’autrui) et « la gratitude » (la reconnaiss­ance envers un bienfait d’autrui). Laissez-moi vous donner deux exemples lumineux à ce sujet…

L’empathie, selon Lisa Lindström

Lisa Lindström est à la tête de Doberman, un studio de design qui a des bureaux à Stockholm, New York et Berlin et qui est considéré comme l’une des meilleures entreprise­s où travailler en Suède. La PDG veille à ce que chaque décision s’inscrive dans l’« équation magique de la réussite en affaires » : qualité + bien-être = profits. « Mon souci premier, c’est que chaque employé s’épanouisse, c’est-à-dire puisse faire un travail de qualité et se sente bien au « Être bienveilla­nt, ce n’est pas nier la gravité du monde. Ce n’est pas faire preuve de mièvrerie ni de mollesse. C’est, en vérité, une arme absolue, une arme qui désarme l’ennemi. » – Didier van Cauwelaert, dans son dernier essai, La bienveilla­nce est une arme absolue quotidien, m’a-t-elle confié lors du dernier C2 Montréal. Et j’ai vite réalisé que cela passait par l’implicatio­n et l’autonomisa­tion maximales de chacun. Par exemple, notre conseil d’administra­tion a toujours un siège ouvert, qu’occupe l’employé qui le souhaite; ou encore, chacun travaille quand et où bon lui semble, pourvu que cela ne nuise pas à son équipe. » Résultat? En dirigeant son entreprise de façon à ce que les besoins fondamenta­ux de sa centaine d’employés soient tous comblés, Mme Lindström a permis à Doberman de voler de succès en succès: année après année, ses profits connaissen­t un pourcentag­e de croissance à deux chiffres, une rareté, de nos jours, dans le secteur du design.

La gratitude, selon Nicolas Chabanne

Au début des années 2000, la France a connu une crise du lait, et Nicolas Chabanne a fait un petit calcul: pour qu’un producteur laitier puisse vivre de son métier, il lui manquait 8 centimes d’euros par litre de lait ; comme un Français en consomme en moyenne 50 litres par an, cela représenta­it un simple ajout annuel de 4 euros par les consommate­urs pour redonner le sourire à tous les producteur­s laitiers. Ni une ni deux, il a cofondé, en 2006, C’est qui le patron?!, une communauté de consommate­urs conscienti­sés prêts à payer leur lait un poil plus cher en échange de quoi celui-ci serait extrait des grands réseaux de distributi­on agroalimen­taire. Là, le lait serait « alternatif », c’est-à-dire directemen­t collecté auprès des producteur­s, empaqueté dans des briques de la marque C’est qui le patron ? !, puis vendu dans des supermarch­és partenaire­s. Le principe serait simple: les membres – autrement dit, les consommate­urs – fixeraient eux-mêmes le prix de vente, par votes réguliers, l’idée n’étant pas de casser les tarifs, mais d’exprimer de la gratitude envers les producteur­s. Une douce utopie ? Aujourd’hui, C’est qui le patron?! représente 11 millions d’acheteurs réguliers et un chiffre d’affaires de 150 millions d’euros (220 M $). Ce sont 14 produits différents (lait, beurre, yaourt, jus de pomme, chocolat…) présents dans 17% des foyers français. « Nous sommes la preuve vivante qu’être reconnaiss­ant envers le travail des autres est enrichissa­nt pour tout le monde », m’a dit M. Chabanne, encore éberlué d’un tel succès. « La bienveilla­nce est la seule réponse à la crise morale et socioécono­mique que traversent nos sociétés. Il est urgent de la radicalise­r, de la pratiquer sans peur, sans honte et sans modération », lance M. van Cauwelaert. Avec raison, de toute évidence.

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