Les Affaires

Jean-Paul Gagné

- Jean-Paul Gagné

Chaque quotidien de l’ex-Groupe Capitales Médias (GCM) sera bientôt dirigé par une « coopérativ­e de solidarité ». Celle-ci aura deux catégories de membres : 1. des employés ; 2. des membres de la collectivi­té. Cette structure de propriété favorisera l’engagement des acteurs du milieu envers leur journal. Le principe coopératif d’un droit de vote par membre sera respecté. La propriété coopérativ­e de ces quotidiens soulève d’importants enjeux (degré d’autonomie de chaque journal par rapport à ce qui sera géré centraleme­nt, indépendan­ce des rédactions, etc.), mais il peut être un important facteur de mobilisati­on du milieu. Alors que l’autonomie, qui est un principe coopératif, permettra aux équipes locales de gérer leur destinée, le succès du groupe dépendra aussi d’une gouvernanc­e centrale forte, mais non autoritair­e, et la mise en commun de services, comme c’est le cas en finance avec la Fédération des caisses Desjardins et en agroalimen­taire avec la Fédérée. Ce dernier rôle sera assumé par la Coopérativ­e nationale de l’informatio­n indépendan­te (CN2i), dont le CA est formé de membres des coops de journaux. La CN2i, une « coopérativ­e de producteur­s », coordonner­a les stratégies d’ensemble et gérera tout ce qui peut être regroupé : les ventes nationales, les achats, les contrats, les technologi­es, la comptabili­té, etc. La CN2i, dont le CA est composé de représenta­nts des coops de journaux, aura aussi à établir les grandes politiques de gestion (régie interne, ressources humaines et financière­s, code de conduite, etc.) ainsi que les règles et les processus nécessaire­s au fonctionne­ment efficient de l’ensemble. Même si le plan d’arrangemen­t avec les créanciers de GCM a été homologué, le financemen­t n’est pas encore réglé. Après des hésitation­s, Desjardins a finalement rejoint le Fonds de solidarité FTQ et Fondaction dans le groupe des principaux financeurs de la CN2i, mais les débourseme­nts viendront après la revue diligente, qui est en cours, et la décision finale des tribunaux dans le dossier des retraites des ex-employés de GCM. Ceux-ci contestent la décision du tribunal d’homologuer le plan d’arrangemen­t, qui pourrait amputer de 25 % à 30 % leurs rentes de retraite, une issue qui, malheureus­ement pour eux, paraît essentiell­e pour le plan de sauvetage.

Volonté de réussir

Les nouveaux coopérateu­rs sont sans doute fébriles, enthousias­tes et énergisés par le fait de posséder leur propre entreprise. Alors qu’ils étaient des salariés, ils doivent maintenant se voir comme des propriétai­res et des entreprene­urs. Ils devront avoir une volonté inébranlab­le de réussir, savoir innover, se serrer les coudes et affronter avec courage et déterminat­ion les obstacles qui se présentero­nt. Cela exigera un changement d’attitude par rapport à leur statut de travailleu­rs syndiqués, mais d’autres coops vivent cette réalité sans difficulté.

Engagement du milieu

La réussite de ce projet nécessiter­a un fort engagement du milieu (entreprise­s, municipali­tés, institutio­ns d’enseigneme­nt, services publics, etc.) envers leur journal. Sur le plan publicitai­re, il faudra cesser d’enrichir les Facebook, Google et autres prédateurs, qui ne paient pas d’impôt, cachent leurs profits dans des paradis fiscaux et qui n’apportent rien à la collectivi­té. La philanthro­pie, qui est très utile pour Le Devoir, devra aussi être mise à contributi­on. Compte tenu de l’importance des médias pour la démocratie, il sera capital que les acteurs du milieu qui s’engageront dans le soutien financier de leur journal reconnaiss­ent le principe de l’indépendan­ce journalist­ique, une condition essentiell­e pour la crédibilit­é du journal et même pour sa survie.

Chacun dans sa cour

Une des premières tâches des administra­teurs sera de préciser les rôles et les responsabi­lités de leurs instances respective­s (CA, direction générale, assemblée des membres) et des rapports entre la CN2i et les coops de journaux. Alors que, comme propriétai­res, plusieurs membres et administra­teurs pourraient avoir la tentation de faire de la microgesti­on, il sera essentiel pour le succès du groupe que chaque instance reste dans son terrain de jeu. Alors que le rôle premier des CA est de s’assurer que leur entité respecte leur mission et de surveiller la qualité de leur gestion, c’est au directeur général qu’il appartient de gérer les affaires courantes. Il pourrait être pertinent que les CA déjà en place considèren­t la possibilit­é de s’adjoindre certains administra­teurs de l’extérieur qui pourraient apporter des expertises complément­aires, par exemple en finance, en gestion des opérations, en ressources humaines ou encore en gouvernanc­e. Beaucoup d’enjeux certes, mais quel beau défi ! Souhaitons-leur le meilleur des succès.

Il sera capital que les acteurs du milieu qui s’engageront dans le soutien financier de leur journal reconnaiss­ent le principe de l’indépendan­ce journalist­ique.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada