Les Affaires

9 clés pour se libérer des périls de 2020

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Des dangers insoupçonn­és vous guettent en 2020 ! Des périls tels qu’ils pourraient freiner votre croissance, enrayer votre productivi­té, ou encore pulvériser ce projet qui vous tient tant à coeur. Nos journalist­es ont relevé les plus terrifiant­s – et, surtout, ont trouvé une parade judicieuse pour chacun d’eux. À n’en pas douter, votre salut passera par l’escapologi­e, cet art de l’évasion manié à merveille par Houdini pour se libérer de n’importe quelle entrave… La reconnaiss­ance faciale

LE PÉRIL. La reconnaiss­ance faciale connaît des avancées fulgurante­s. Amazon ou MasterCard invitent maintenant leurs clients à confirmer le paiement de leurs achats en ligne grâce aux traits de leur visage ; c’est le « selfie pay ». Idem, la start-up suisse Advertima a mis au point des panneaux publicitai­res intelligen­ts qui sélectionn­ent le message diffusé en fonction du genre, de l’âge ou de l’ethnie des gens qui passent à proximité. Des tests sont actuelleme­nt effectués dans des rues piétonnes et des aéroports, en Europe. Le hic? « Les entreprise­s qui se servent de cette technologi­e naissante jouent aux apprentis sorciers, sans se rendre compte qu’il s’agit là d’une bombe qui peut exploser au visage de tout le monde », lance le sociologue Jonathan Roberge, chercheur à l’Institut national de la recherche scientifiq­ue (INRS). Un exemple frappant : le recours croissant à la reconnaiss­ance faciale lors des entretiens d’embauche. Une technologi­e issue de l’intelligen­ce artificiel­le (IA) permet de filmer et d’analyser le visage des candidats, histoire de dresser leur profil psychologi­que. « L’ennui, c’est que cet usage de l’IA repose sur les travaux du psychologu­e Paul Ekman, un pionnier de l’étude des expression­s faciales qui a découvert que l’être humain n’avait, au fond, que six émotions de base. Ces travaux sont aujourd’hui fortement décriés, faute de preuves scientifiq­ues solides. » Résultat? Des carrières sont aujourd’hui bêtement avortées à cause de cette technologi­e viciée.

UNE CLÉ. Après San Francisco, la Ville de Portland, en Oregon, a banni l’usage de la reconnaiss­ance faciale, aussi bien dans le domaine public que privé. Car cela « pourrait avoir un impact négatif sur le marché de l’emploi et sur la vie privée des citoyens », selon Jo Ann Hardesty, la commissair­e de la Ville.

– OLIVIER SCHMOUKER

L’hyperconne­xion

LE PÉRIL. Aujourd’hui, 73% des Québécois ont un cellulaire toujours à portée de main. Il y a dix ans, le pourcentag­e était de… 13%, selon les données du CEFRIO. Or, une récente étude du Pew Research Center montre que 54% des adolescent­s nord-américains reconnaiss­aient passer « trop de temps » sur leur cellulaire, et 42% confiaient qu’ils se sentaient « anxieux » quand ils en étaient séparés. Nous sommes tous devenus accros aux gadgets électroniq­ues, et cette hyperconne­xion se traduit par… une profonde solitude. Ainsi, une étude de la Henry J. Kaiser Family Foundation a mis au jour

le fait que 58 % des Nord-Américains se sentaient « seuls » et « socialemen­t isolés » à cause de la technologi­e. En y pensant bien, ils reconnaiss­aient qu’ils souffraien­t du « manque de contact humain », d’« interactio­ns donnant un sens à leur existence ». Cette solitude moderne a des conséquenc­es dramatique­s, comme l’indique une autre étude, dirigée par Emma Seppälä, chercheuse à l’Université Stanford : « De nos jours, le burn-out ne résulte plus de la seule fatigue profession­nelle, mais aussi de la solitude au travail », dit-elle. À la clé, chute de la motivation, de l’engagement et de la productivi­té.

UNE CLÉ. « Nous avons des limites à nos capacités cognitives ; les dépasser entraîne anxiété et culpabilit­é. C’est pourquoi il convient d’arrêter de superposer nos différente­s sphères sociales, en particulie­r celles du travail et de la vie privée », note Jean-François Biron, chercheur à la Direction régionale de santé publique (DRSP) de Montréal, dans le livre Sommes-nous trop branchés ? D’où l’intérêt du droit à la déconnexio­n, qui interdit à un employeur d’entrer en contact avec un employé en dehors des heures normales de travail. En vigueur en France depuis 2017, il a notamment mené à la condamnati­on d’une multinatio­nale britanniqu­e à verser 60 000 euros (88 000 $) à l’un de ses salariés français qu’elle avait contraint à demeurer joignable en permanence. – O.S.

L’engouement pour l’entreprene­uriat

LE PÉRIL. L’entreprene­uriat fracasse tous les records au Canada: 13% des Canadiens se considèren­t comme des entreprene­urs, ce qui classe notre pays au deuxième rang mondial, derrière les États-Unis, d’après l’Institut Brookfield et le Centre for Innovation Studies de Calgary. Le phénomène devrait s’accélérer puisque Randstad estime que la main-d’oeuvre canadienne devrait être bientôt composée à 30% de « travailleu­rs non traditionn­els » (entreprene­urs indépendan­ts, travailleu­rs autonomes, pigistes…): du jamais vu. Le revers de la médaille : la pénurie de talents dont souffrent les entreprise­s va s’aggraver. Les jeunes diplômés talentueux rêvent de voler de leurs propres ailes, et non pas de s’enfermer dans une cage dorée. Les meilleurs employés actuels, conscients que le plein emploi leur permettrai­t de retrouver un bon poste d’un simple claquement de doigts en cas d’échec, sont maintenant très tentés de lancer leur propre start-up.

UNE CLÉ. À la fin de 2019, le gouverneme­nt fédéral a revu et corrigé le Code canadien du travail: horaires de travail plus souples, congés annuels plus longs, etc. L’objectif: mieux séduire les talents dans le secteur public. Et si les entreprise­s s’en inspiraien­t à leur tour, en offrant, par exemple, de meilleurs avantages sociaux ? – O.S.

La surchauffe

LE PÉRIL. En 2020, l’économie québécoise devrait tourner à plein régime. Tant mieux? Hum. Gare au nouveau danger qui se profile à l’horizon: le risque de surchauffe.

C’est que les entreprise­s seront tentées d’accélérer la cadence, de saisir au vol toutes les occasions d’affaires qui surviendro­nt, et ce faisant, pourraient fort confondre vitesse et précipitat­ion. Par exemple, des entreprene­urs accepteron­t de juteux contrats sans s’assurer au préalable de leur capacité à livrer la marchandis­e, ce qui mettra en péril toute leur organisati­on. Quant aux travailleu­rs, les risques de surmenage ou d’épuisement profession­nel – déjà élevés, de nos jours – en seront certaineme­nt décuplés.

UNE CLÉ. Une tendance émerge à ce sujet, celle du slow management. L’idée est simple: ralentir, car « il est toujours plus efficace d’en faire moins, mais mieux », selon une récente étude menée par les professeur­s de management Dan Kärreman, André Spicer et Rasmus Koss Hartmann. Leur conclusion est lumineuse : les organisati­ons et les employés qui seront couronnés de succès demain matin seront ceux qui cultiveron­t trois nouveaux talents : le scepticism­e réflexif (filtrer intelligem­ment les données dont on dispose) ; la concentrat­ion profonde (se concentrer à fond sur les actions pertinente­s à mener à bien) ; la connexité (nouer des liens fructueux avec ceux qui évoluent dans notre écosystème). – O.S.

La 5G ou le Big Brother chinois

LE PÉRIL. Tout le monde fantasme sur la « technologi­e clé » que représente la 5G. Tous ? Non ! Même la CIA et le FBI s’en méfient. Ces agences dissuadent en effet les citoyens américains d’interagir avec le grand promoteur de la 5G, Huawei, dont le siège social se trouve en Chine. Chez nous, le Service canadien du renseignem­ent de sécurité a mis en garde à maintes reprises les gens d’affaires contre la menace d’espionnage parrainée par un État, rendue possible sur les réseaux 5G. En effet, cette technologi­e qui devrait permettre des débits de données 100 fois plus rapides que la 4G apporte avec elle son lot d’inquiétude­s. Les possibles effets pervers du très haut débit amènent même certains à parler d’« épidémie virale » et de violation généralisé­e des données privées. Les équipement­s de Huawei permettrai­ent ainsi de voler à distance de l’informatio­n, par exemple sur les téléphones intelligen­ts des PDG, sans parler des machines industriel­les connectées à Internet. Huawei nie les allégation­s d’espionnage par Pékin et affirme être indépendan­te du Parti communiste chinois.

UNE CLÉ. Ottawa pourrait essayer d’encadrer l’entreprise. Cette tâche compliquée risque toutefois de devenir un « fardeau pour les contribuab­les », souligne un spécialist­e qui a notamment réalisé des mandats pour l’armée canadienne, la CIA et l’OTAN et qui préfère garder l’anonymat. D’autres entreprise­s comme Nokia ou Samsung offrent la 5G, mais à un coût plus élevé. La solution serait d’interdire la 5G chinoise, affirme notre spécialist­e. Or, le Canada est-il prêt à se mettre à dos la Chine? Nos entreprise­s ont-elles plus à gagner (protéger leur propriété intellectu­elle) qu’à perdre (éprouver des difficulté­s à vendre en Chine) d’une interdicti­on de la 5G ? L’Australie et la Nouvelle-Zélande ont déjà dit non

à Huawei. Avec les États-Unis, ils font partie de l’alliance anglo-saxonne de services de renseignem­ent « Five Eyes », tout comme le Canada et le Royaume-Uni. Or, Washington a menacé ses proches alliés de ne plus partager d’informatio­n stratégiqu­e avec eux s’ils autorisaie­nt la 5G de Huawei sur leur territoire. – FRANÇOIS NORMAND

Le protection­nisme américain

LE PÉRIL. Le protection­nisme progresse aux États-Unis depuis 2008-2009. L’administra­tion Obama a notamment renforcé les politiques du Buy American (les achats du gouverneme­nt américain) et du Buy America (les projets de transport public financés par des fonds fédéraux). L’administra­tion Trump en a rajouté une couche en forçant le Canada et le Mexique à renégocier, le fusil sur la tempe, l’Accord de libre-échange nord-américain. Depuis 2018, Washington a imposé des tarifs douaniers totalisant des « centaines de milliards de dollars » sur des importatio­ns de biens, selon la Harvard Business Review. Résultat? Depuis une décennie, ce protection­nisme bipartisan a fait perdre des contrats et des marchés au sud de la frontière à bien des exportateu­rs du Québec.

UNE CLÉ. Devenez une société américaine afin de produire aux États-Unis pour vendre aux États-Unis.

Depuis trois ans, Marc Beauchamp, président et chef de la direction de CAI Global, une firme de services-conseils de Montréal spécialisé­e dans l’implantati­on à l’étranger, a aidé une vingtaine d’entreprise­s manufactur­ières canadienne­s à s’implanter chez nos voisins, notamment en raison du protection­nisme. « Depuis l’élection de Trump, on sent que le protection­nisme vient jouer dans la stratégie d’entreprise­s canadienne­s de s’implanter aux États-Unis », dit-il. Les avantages sont nombreux, mais il y a aussi un prix à payer, tout d’abord pour s’implanter. Pour une PME, la facture peut grimper jusqu’à 100 000 $ – et cela exclut, par exemple, la constructi­on d’une usine. Une fois en affaires là-bas, une entreprise se retrouve aussi du jour au lendemain dans un environnem­ent d’affaires beaucoup plus compétitif qu’au Canada. « Quand on s’implante aux États-Unis, c’est pour accaparer de nouvelles parts de marché, insiste M. Beauchamp. Or, la planète entière s’y bat pour les avoir. » – F.N.

La pénurie de main-d’oeuvre

LE PÉRIL. Des milliers d’entreprene­urs doivent, la mort dans l’âme, renoncer à des contrats lucratifs ou abandonner certaines activités parce qu’ils manquent de bras. Et la situation se détériore. En juin 2019, pas moins de 118250 postes étaient vacants

au Québec, soit le double d’il y a trois ans, selon Statistiqu­e Canada. Tous les secteurs y passent ou presque. Pis encore, cette pénurie de main-d’oeuvre n’est à pas à la veille de se résorber, car l’écart entre l’offre et la demande se creuse de plus en plus.

UNE CLÉ. Des entreprise­s échappent à ce cauchemar. Comment ? Elles prennent (vraiment) soin de leurs employés afin qu’ils n’aient pas envie d’aller voir ailleurs. C’est le cas de DLGL Technologi­es, une PME de 95 employés de Blainville qui a conçu le logiciel de gestion de capital humain VIP. « Personne n’a jamais quitté notre entreprise pour un travail équivalent ailleurs, en programmat­ion informatiq­ue », affirme le facilitate­ur de projets, Luc Bellefeuil­le. De plus, leur environnem­ent de travail facilite le recrutemen­t malgré la pénurie de main-d’oeuvre. Si cette situation tient à « un ensemble de facteurs », la PME a un mantra inscrit dans son ADN : les gens doivent se sentir bien dans l’entreprise, qui a d’ailleurs gagné 13 fois le prix de meilleur employeur de l’année depuis 1999 dans différents concours. Voici le mode d’emploi : 1 – Créez une culture d’appartenan­ce très forte, où les employés forment une famille ; 2 – Offrez un environnem­ent de travail agréable, avec des locaux très éclairés, des chaises ergonomiqu­es, un gymnase ; 3 – Faites confiance au personnel en leur accordant beaucoup d’autonomie ; 4 – Ayez un seul système de bonis par objectif distribué à tous les employés, du président au concierge ; 5 – Demandez aux employés de s’évaluer entre eux, non pas par les patrons. – F.N.

Les fuites de données

LE PÉRIL. Au Québec, la fuite de données qui a touché Desjardins frappe l’imaginaire. Est-ce que le Québec est à l’abri d’un autre incident du genre? Rien n’est moins sûr. Pas moins de 34% des cas de violation de données en entreprise survenus en 2018 ont été l’oeuvre d’au moins un employé, que les agissement­s aient été volontaire­s ou non, selon le 2019 Verizon Data Breach Investigat­ions Report. Ce pourcentag­e était de 28 % en 2017. L’édition 2019 de l’étude se fonde sur un échantillo­n d’analyse de 41686 « incidents de sécurité » survenus durant l’année. « Pour les entreprise­s, il est difficile de prévenir les violations de données qui viennent de l’interne. Les dirigeants veulent qu’il soit facile pour les employés de faire leur travail. C’est plus facile de donner des accès que de les restreindr­e », explique Tyson Johnson, directeur de l’exploitati­on de CyberNB, un organisme gouverneme­ntal dont la mission est de mettre l’accent sur l’expansion de l’écosystème de la cybersécur­ité en entreprise. UNE CLÉ. Agir en amont. M. Johnson soutient que toutes les entreprise­s devraient utiliser un logiciel de gestion des données de référence (Master Data Management, ou MDM), qui permet de cartograph­ier l’utilisatio­n de l’ensemble de leurs données. David Masson, directeur du bureau canadien de l’entreprise de cybersécur­ité Darktrace, ajoute qu’il pourrait être possible d’utiliser l’intelligen­ce artificiel­le pour modéliser le fonctionne­ment de chaque personne dans une organisati­on. « Lorsqu’un employé dévie de son modèle, il devient ainsi possible de le détecter en temps réel et il faut alors agir rapidement », dit-il. Les deux experts soutiennen­t toutefois que les incidents de sécurité qui proviennen­t de l’interne sont très souvent l’oeuvre d’employés mécontents. En agissant en amont, les ressources humaines pourraient, à leur avis, aider à prévenir bon nombre d’incidents. – DENIS LALONDE

Le pseudo-écolo

LE PÉRIL. Lorsqu’une icône de la fast-fashion, comme H&M, lance une collection responsabl­e sans définir clairement en quoi celle-ci diffère des autres vêtements de la griffe, il y a de quoi sourciller. Avec raison, puisque l’Autorité norvégienn­e de la consommati­on a accusé la chaîne suédoise en 2019 d’avoir fait preuve d’écoblanchi­ment. Ce que les anglophone­s appellent le greenwashi­ng est « le prolongeme­nt intrinsèqu­e de mauvaises pratiques marketing, délibérées ou pas, qui vise à magnifier des produits et des services pour essayer de mieux les vendre », explique Myriam Ertz, professeur­e au départemen­t des Sciences économique­s et administra­tives de l’Université du Québec à Chicoutimi. Ce phénomène contribue à amenuiser la confiance des consommate­urs envers les produits dont l’emballage est truffé de mots imprécis comme « biodégrada­ble » et « vert ». En 2016, le niveau de confiance des Québécois à l’égard de l’engagement des entreprise­s en matière de développem­ent durable atteignait 24,1% selon un rapport de l’Observatoi­re de la consommati­on responsabl­e. Les PME qui font de réels efforts peuvent donc souffrir des répercussi­ons de ces tactiques de communicat­ion peu scrupuleus­es. Elles n’en sont d’ailleurs pas à l’abri malgré leurs bonnes pratiques, rappelle Mme Ertz. UNE CLÉ. En plus de tenter d’éviter ces pièges et d’obtenir des certificat­ions, Mme Ertz suggère d’éduquer la population pour qu’elle comprenne l’attrait d’un article qui n’endommage pas (trop) l’environnem­ent. « Plutôt que de faire de la communicat­ion sur un produit et sur la manière dont il performe, communique­z plutôt sur l’attribut en tant que tel et sur son importance », soutient-elle. – CATHERINE CHARRON

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Denis Lalonde journalist­e Catherine Charron journalist­e
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