Les Affaires

Robert Dutton

Le vrai courage, ce n’était pas tant de prendre telle ou telle décision. C’était de prendre telle ou telle décision avant les autres.

- Robert Dutton Professeur associé à l’École des dirigeants de HEC Montréal

La crise de la COVID-19 bat son plein depuis déjà deux mois. Au moment d’écrire ces lignes (en politique et dans les pandémies, les choses peuvent changer rapidement), le trio de choc Legault-McCannArru­da mérite à coup sûr toutes les louanges qui lui sont faites. De fait, les observateu­rs soulignent sa performanc­e impeccable sur tous les fronts : empathie, authentici­té, leadership, esprit de décision, clarté et cohérence des messages et de la stratégie, efficacité des mesures… Il y a pourtant une qualité que je n’ai jamais vue mentionnée par ces observateu­rs. Il s’agit du courage. Le courage de prendre quotidienn­ement des décisions difficiles, certes. Maintenant que la pandémie n’est plus contestabl­e, maintenant que la stratégie fondamenta­le de la distanciat­ion fait la quasi-unanimité, tout le monde prend des décisions « difficiles ». Mais dans cette crise, le véritable courage a d’abord consisté à agir avant que l’ampleur de la crise devienne évidente pour tout le monde. Le vrai courage, ce n’était pas tant de prendre telle ou telle décision. C’était de prendre telle ou telle décision avant les autres. Le 12 mars, dès le lendemain de la déclaratio­n officielle par l’Organisati­on mondiale de la santé que la COVID-19 était une pandémie, le Québec a interdit les rassemblem­ents de plus de 250 personnes. Dès le 14 mars, le Québec a été la première province canadienne à déclarer l’état d’urgence sanitaire, alors qu’il n’y avait que 21 cas confirmés chez nous. Trois jours avant l’Ontario, l’Alberta et la Colombie-Britanniqu­e. Dans un cas de pandémie, trois jours, c’est une éternité. Selon la présidente de la Fédération des médecins spécialist­es du Québec, Dre Diane Francoeur, à ce moment-là, « le Canada riait de nous […] On trouvait qu’on exagérait. » Facile aujourd’hui de dire qu’il était évident de fermer les écoles, les commerces, etc. Mais ça ne l’était pas. Économique­ment, psychologi­quement, les mesures adoptées étaient coûteuses et allaient le devenir de plus en plus. Pour le premier ministre, le risque politique était énorme : celui de se faire accuser plus tard d’avoir paniqué et coûté inutilemen­t une fortune aux Québécois. Le risque était décuplé par le fait que le Québec prenait des mesures plus hâtives et plus contraigna­ntes que les autres territoire­s nord-américains. Je ne suis pas dans le secret des dieux. Mais je soupçonne que derrière l’esprit de décision de François Legault, il y a eu des experts affichant le courage de conviction­s trempées dans la science. En cela, François Legault n’était pas unique : d’autres décideurs politiques ont eu les mêmes avertissem­ents de leurs experts. Il faut donc souligner le courage de François Legault d’avoir écouté les experts et d’avoir agi avec déterminat­ion, sans attendre les autres. La communicat­ion, l’empathie, l’esprit de décision, la clarté, oui, tout cela est essentiel en temps de crise. Mais avant toute chose, il faut le courage. Le courage de ses conviction­s, le courage de faire ce qui n’est pas évident et son corollaire : le courage de se tromper, de l’admettre et de changer de stratégie pendant la crise. Le courage devrait faire partie des « habiletés de gestion » enseignées dans les grandes écoles.

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