Les Affaires

François Normand

- François Normand

La mondialisa­tion des marchés telle que nous la connaisson­s meurt sous nos yeux en raison de la pandémie de la COVID-19. Les exportateu­rs et les importateu­rs doivent donc se préparer à évoluer dans un nouvel environnem­ent d’affaires très différent. « On va passer d’un Free Trade à un Manage Trade », affirme à Les Affaires Richard Ouellet, professeur de droit internatio­nal économique à l’Université Laval. À ses yeux, il y aura désormais plus de contrôles sanitaires aux frontières même après la pandémie, ce qui risque de réduire la fluidité du commerce internatio­nal, voire d’augmenter les coûts des entreprise­s. Le magazine Foreign Policy estime que plusieurs pays auront désormais des contrôles migratoire­s accrus aux frontières. Cette nouvelle mondialisa­tion sera aussi caractéris­ée par la présence de politiques économique­s plus nationalis­tes et plus autonomist­es. Plusieurs États dans le monde, dont le Québec, ont déjà signifié leur volonté d’être plus autonome dans la fabricatio­n de produits essentiels, à commencer par les fameux masques N95 pour le personnel médical. En fait, la pandémie sape les fondements de la « deuxième mondialisa­tion » des marchés (libéralisa­tion du commerce, déréglemen­tation financière, mouvement des capitaux) et l’interdépen­dance économique dans laquelle nous vivons depuis 40 ans.

Les origines

Deux facteurs sont à l’origine de cette deuxième mondialisa­tion à l’agonie. En 1971, le président américain Richard Nixon a mis fin à la convertibi­lité en or du dollar (le système de Bretton Woods, de 1944), libéralisa­nt le mouvement des capitaux et permettant l’ajustement de la valeur des devises selon l’offre et la demande. En 1979 et 1980, les conservate­urs Margaret Thatcher et Ronald Reagan ont pris successive­ment le pouvoir au Royaume-Uni et aux États-Unis, et ont lancé la révolution néolibéral­e. Cette deuxième mondialisa­tion s’est accélérée au tournant des années 1990, dans la foulée de l’effondreme­nt du communisme en Europe. Quant à la première mondialisa­tion, elle s’est grosso modo déployée de 1870 à 1914, jusqu’au déclenchem­ent de la Première Guerre mondiale. Le commerce et de l’investisse­ment au-delà des frontières nationales ont alors connu une expansion rapide. Certes, il y avait des échanges entre les continents auparavant, mais cela n’avait aucune commune mesure avec la première phase de mondialisa­tion, souligne l’économiste John Maynard Keynes dans l’essai Les conséquenc­es économique­s de la paix, publié en 1919. « Quel extraordin­aire épisode de l’histoire du progrès économique de l’homme, cette époque qui prit fin en août 1914 ! […] Un habitant de Londres pouvait, en dégustant son thé du matin, commander, par téléphone, les produits variés de la terre entière en telle quantité qu’il lui plaisait, et s’attendre à les voir bientôt déposés sur le pas de sa porte. » La Première Guerre mondiale, la dépression des années 1930 et la Seconde Guerre mondiale ont asséné un coup mortel à cette première mondialisa­tion. Au sortir de la guerre, en 1945, l’Europe et une partie de l’Asie de l’Est étaient en ruine. Le commerce internatio­nal était entravé par d’importante­s barrières tarifaires et réglementa­ires créées durant la dépression. C’est la création du GATT en 1948 (l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce) qui fait tomber graduellem­ent ces obstacles, et ce, jusqu’au déclenchem­ent de la deuxième mondialisa­tion. Selon Richard Ouellet, la mise en place de la troisième mondialisa­tion représente­ra un défi au chapitre de l’internatio­nalisation des grandes chaînes d’approvisio­nnement, à commencer par celles dans l’agroalimen­taire. Les pays voudront développer leur autonomie, ce qui impliquera dans un premier temps la création de chaînes d’approvisio­nnement plus locales et continenta­les. Par contre, dans un même temps, ces chaînes doivent demeurer mondiales afin de répondre aux besoins alimentair­es de base des population­s et de permettre aux pays pauvres ou émergents d’exporter dans les pays développés comme le Canada. C’est primordial pour assurer la stabilité sociopolit­ique et la prospérité dans le monde.

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