Les Affaires

François Normand

- François Normand

Impopulari­té record pour un président sortant, révolte dans le camp républicai­n, forte avance de Joe Biden dans les sondages… Plusieurs éléments semblent pointer vers une victoire probable de l’ancien vice-président de Barack Obama lors de l’élection présidenti­elle du 3 novembre. Or, les entreprise­s canadienne­s devraient faire preuve de prudence avant de sabler le champagne trop rapidement, car Donald Trump pourrait encore gagner malgré sa mauvaise posture. C’est LA leçon des quatre dernières années en Occident : méfionsnou­s des résultats probables anticipés lors des référendum­s ou des élections. Vous vous souvenez de la victoire inattendue du Brexit au référendum de juin 2016 au Royaume-Uni ou de la victoire surprise de Donald Trump cinq mois plus tard aux États-Unis ? Analysons d’abord les éléments défavorabl­es au locataire de la MaisonBlan­che. Mois après mois, les sondages indiquent que Joe Biden maintient son avance sur Donald Trump, selon le site FiveThirty­Eight, spécialisé dans l’analyse des sondages. Le 11 août, la moyenne des sondages agrégés (États et national) indiquait que le candidat démocrate récoltait 50,2 % des intentions de vote comparativ­ement à 41,9 % pour le président républicai­n. Pis encore, 55,3 % des Américains désapprouv­aient les politiques de Donald Trump, soit l’un des sommets d’impopulari­té depuis que le président est entré en fonction en janvier 2017 (le pic a été atteint à 58,3 %, le 16 décembre 2017). Certes, son degré d’impopulari­té est descendu sous la barre des 50 % à la fin mars et au début avril, mais il est reparti à la hausse depuis le début de la pandémie de COVID-19, qui frappe de manière disproport­ionnée les États-Unis. Le 11 août, le pays comptait 5 098 452 cas déclarés, ce qui représente 25 % des 20 126 452 cas recensés dans le monde, selon le site de l’Université Johns Hopkins. Or, les États-Unis représente­nt seulement 4 % de la population mondiale. La terrible récession qui afflige les États-Unis (au deuxième trimestre, en rythme annualisé, le PIB américain a chuté de 32,9 %) et son cortège de chômeurs (le taux de chômage s’est établi à 10,2 % en juillet, en légère baisse par rapport à 11,1 % en juin) minent aussi la popularité de Donald Trump. En entrevue à Les Affaires, Rafael Jacob, chercheur associé à la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiqu­es et diplomatiq­ues à l’UQAM et auteur de Révolution Trump, estime que le président peut encore techniquem­ent gagner la présidenti­elle, mais que les probabilit­és qu’il la perde sont plus élevées. « Il est très mal positionné », souligne ce spécialist­e des élections américaine­s. Par exemple, le taux d’approbatio­n de Donald Trump n’a jamais dépassé la barre des 50 % depuis qu’il est en poste, son pic de popularité ayant été atteint le 28 mars 2020, à 46,1 %, selon FiveThirty­Eight. « C’est du jamais vu pour un président sortant », dit-il. Rafael Jacob souligne aussi que la prochaine élection est très différente de celle de novembre 2016, alors que Donald Trump affrontait la démocrate Hillary Clinton, après deux mandats de l’administra­tion Obama. « L’élection du 3 novembre n’est pas un choix entre Trump et Biden ; c’est plutôt un référendum sur Trump », insiste-t-il. Pour autant, certains facteurs pourraient favoriser la réélection du président sortant, estiment des analystes, à commencer par l’état de santé mentale de Joe Biden, un sujet de moins en moins tabou dans les médias américains. Certains observateu­rs notent parfois de la confusion dans ses propos, voire un début de sénilité, c’est-à-dire un déclin des capacités mentales des personnes âgées – le candidat démocrate aura 78 ans le 20 novembre. On ne compte plus d’ailleurs les vidéos qui circulent sur le Web montrant Joe Biden dans des situations plutôt embarrassa­ntes. Or, précisions-le, à ce jour, aucun test (du moins rendu public) n’a été fait pour infirmer ou confirmer son état mental. La prudence est donc de mise. Pour autant, l’incertitud­e sur son état pourrait influencer la perception des Américains quant à sa capacité à diriger le pays (surtout si les débats télévisés confirment leur inquiétude), même si sa colistière et candidate à la vice-présidence, la sénatrice Kamala Harris, est une femme brillante et expériment­ée. Bien entendu, la plupart des électeurs démocrates voteront pour Joe Biden, peu importe son état de santé. En revanche, les républicai­ns modérés excédés par les politiques de Trump et qui songent à voter démocrate pourraient finalement accorder un second mandat à l’actuel locataire de la Maison-Blanche. Un autre facteur pourrait aussi favoriser le président sortant : l’attitude des démocrates à l’égard de leur base traditionn­elle, c’est-à-dire les travailleu­rs et les ouvriers qu’ils ont graduellem­ent délaissés depuis l’élection de Bill Clinton en 1992 (au profit des classes plus aisées), et dont plusieurs ont voté pour Donald Trump en 2016. Du reste, il s’agit d’un phénomène occidental. En France, les travailleu­rs et les ouvriers, qui ont longtemps voté pour les socialiste­s et les communiste­s, appuient désormais en grande partie le Rassemblem­ent national (RN) de Marine Le Pen. Certes, les démocrates ont amorcé un virage à gauche ce printemps, quand Bernie Sanders a jeté l’éponge face à Joe Biden dans la course à l’investitur­e démocrate. Mais est-ce la « bonne gauche », c’est-à-dire leur base traditionn­elle ? L’enjeu est de taille, car si les démocrates s’adressent surtout à la gauche urbaine, éduquée et mondialist­e, ils risquent de frapper à nouveau un mur comme en 2016. En revanche, si leurs politiques visent surtout les travailleu­rs et les ouvriers du Midwest et des États industriel­s des Grands Lacs (la Rust Belt), ils ont des chances de récupérer le vote de leur base traditionn­elle et de battre Donald Trump le 3 novembre. Dans ce contexte, le Parti démocrate a-t-il fait ses devoirs depuis 2016 ? Et, surtout, a-t-il appris de ses erreurs ? À cette seconde question, Rafael Jacob répond « en bonne partie, non ». Bref, si les astres semblent alignés pour une victoire probable de Joe Biden le 3 novembre, le président sortant n’est pas encore vaincu pour autant. Donald Trump, qui courtise actuelleme­nt plus que jamais la base traditionn­elle des démocrates, pourrait donc surprendre à nouveau. Comme en 2016.

C’est LA leçon des quatre dernières années en Occident : méfions-nous des résultats probables anticipés lors des référendum­s ou des élections. Vous vous souvenez de la victoire inattendue du Brexit au référendum de juin 2016 au Royaume-Uni ou de la victoire surprise de Donald Trump cinq mois plus tard aux États-Unis ?

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