Métro Montréal

Une existence pimentée

Musique. Après trois décennies dans un groupe de rock, quand on en a vécu, et vu, et revécu et revu, on se sent comment? Anthony Kiedis, lui, répondrait pas mal bien.

- NATALIA WYSOCKA natalia.wysocka@journalmet­ro.com

Il a une voix posée et un air calme qui coïncident avec son souhait d’être toujours «nerveux, mais détendu» avant de monter sur une scène.

Quand on le rencontre, Anthony Kiedis s’apprête à monter sur celle du Centre Bell, où il a joué avec son groupe il y a cinq ans. Chapeau melon, veste imprimée de palmiers et de couleurs de plage, il respire le cool californie­n. Et quelque chose comme la sérénité.

Il y a 10 ans, le chanteur, parolier et membre fondateur des Red Hot Chili Peppers a quitté le centre de L.A., lieu emblématiq­ue, pour une maison près de l’océan. «Je ne pourrais jamais m’imaginer habiter ailleurs. Ce n’est plus en moi. Il y a tant de beaux endroits où aller, des villes, des montagnes, des rivières... Mais moi, j’ai besoin d’y être. De m’y réveiller. Quand la brise de l’océan traverse la fenêtre, je me sens chez moi.» Et puis, «être près de l’eau est inspirant. Peu importe que ce soit une rivière, un lac, un océan. Un bain.»

Pour leur 11e disque, The Getaway, Anthony et comparses ont plongé dans une certaine nouveauté. Sans échapper à la petite douche froide du départ. Après plus de 25 années de collaborat­ion avec le renommé Rick Rubin, ils se sont tournés vers Brian Burton, alias Danger Mouse. Un réalisateu­r respecté qui a, notamment, travaillé avec les Black Keys. Et avec qui le guitariste des Red Hot, Josh Klinghoffe­r, avait joué dans la formation Gnarls Barkley. Ce que ce changement a apporté? Grands yeux qui ont l’air de dire «tout», puis : «C’était vraiment, vraiment différent. D’abord, nous avons eu la triste tâche d’annoncer notre décision à Rick, qui est un si bon ami. Ensuite, nous avons dû apprendre à connaître Brian profession­nellement. Il y avait tous ces facteurs inconnus de chimie, de communicat­ion et de on-fitte-tu ensemble?»

La réponse a été «oui». Même si, à 54 ans, et l’air de pas mal moins, Anthony a dû apprivoise­r une «façon différente de créer des chansons». «Quand on est arrivés en studio, on en avait 25. Brian nous a dit : “Il y en a 15 dont je me fous complèteme­nt.”» Il a fallu laisser aller. Même si la réaction initiale a été : «Eeeeh, je les aimais bien, moi, ces morceaux.»

De ceux qui ont été graciés, notons la pièce titre, The Getaway. Sa préférée. Celle à laquelle il est le plus émotionnel­lement attaché. Qui a «rocké son âme». «Brian, lui, adore Dark Necessitie­s, qui est, effectivem­ent, la meilleure compo du disque. Tandis que notre étiquette et nos managers avaient une préférence marquée pour Go Robot. Une jolie petite toune.»

Une jolie petite toune teintée d’une référence à Alice Cooper, ou plutôt, à son maquillage qui coule. Contexte : Anthony parle d’une fille en pleurs, au visage si barbouillé de mascara qu’elle en vient à évoquer le vétéran scandant School’s Out. «Alice Cooper fait partie de mon histoire, rappelle le chanteur. Mon père a travaillé pour lui quand j’étais petit garçon. Je me suis déjà introduit dans un de ses spectacles à Los Angeles.»

Cette enfance, il l’a racontée dans Scar Tissue, autobiogra­phie à coeur ouvert, écrite en collaborat­ion avec l’auteur Larry Sloman.

Dans ce bouquin paru en 2004, il parlait de son père, qui vivait à mille à l’heure. Un charismati­que acteur, vendeur de drogue, ami d’une myriade de réalisateu­rs, de scénariste­s, de rockeurs. À 12 ans, Anthony l’accompagna­it dans ses soirées, se réveillait à 6 h 45 le matin pour aller à l’école dans une maison remplie d’invités encore défoncés, couchés partout. «Fffffiou. C’était intense. Vraiment intense, remarque avec sagesse le frontman. D’un côté, c’était juste trop. Émotionnel­lement, les enfants ne sont pas faits pour affronter le monde des adultes et naviguer dans leur réalité. En même temps, il y avait beaucoup de magie là-dedans. Poussé dans une telle situation, on n’a pas le choix. Il faut grandir.»

Il a grandi entouré, entre autres, de Sonny Bono, de Cher. Et du regretté et mythique batteur des Who, Keith Moon. «Un homme adorable, rempli de compassion.»

«Je n’avais pas assez d’expérience, de connaissan­ces, pour avoir de l’admiration excessive à leur endroit. C’était juste d’autres adultes, se souvient-il. Et c’est d’ailleurs ce que j’aime lorsque je parle avec des enfants. Ils n’ont aucune idée préconçue. Ils vous prennent pour qui vous êtes, dans un moment précis.»

Même s’il s’exprime en termes songés, Anthony Kiedis confie qu’il n’aime pas s’analyser. Pas plus qu’il n’aime décortique­r ses textes. «Ce n’est pas mon truc. Comme dit Nick Cave, il ne faut pas toucher à la muse, l’effrayer, l’évoquer.»

Trouve-t-il que par les temps qui courent, tout est analysé davantage? Oh oui. «Tout est placé sous un microscope. Il y a 10 millions de critiques sur l’autoroute de l’informatio­n. C’est un autre monde.»

Il cite le guitariste des Eagles, Joe Walsh, qui croit qu’il «est désormais impossible d’être cool». «Le rock and roll avait un élément de cool intégré. Mais il est disparu. L’internet l’a volé. Avant il fallait le cultiver, l’entretenir, le vivre. Maintenant, vous pouvez appuyer sur un bouton et dire : “Je vais être ceci aujourd’hui.”»

Lui ne semble pas trop changer. Les plus gros chamboulem­ents sont peut-être amenés par son fils, Everly Bear, 9 ans. Qu’il adore, et avec qui il a récemment chanté quelques fois sur scène. «Ça m’a réchauffé le coeur, confie le papa dans un grand sourire. J’étais inquiet pour lui, je n’arrêtais pas de lui demander : “Es-tu sûr? As-tu pratiqué assez?” Mais, calme et naturel, il m’a dit : “Dad. Je sais comment ça marche.”»

Après toutes ces années, Anthony aussi sait exactement comment ça marche. Il sait qu’à la classique question : «De quel morceau ou album du répertoire des Red Hot êtes-vous particuliè­rement fier?» il incombe de répondre : «Je les aime tous également. Ce sont comme mes enfants.» Quoique, ih, il inclut une petite variante : «J’aime considérer notre travail comme un tout. Parfois, j’entends une de nos pièces, je relis les paroles, et je fais : “Woooo, à quoi on pensait? Ce n’est pas notre meilleur boulot!” Mais parfois, je me dis : “Fuck! On a écrit ÇA! C’est vraiment pas mal!” Et ça, c’est un bon sentiment.»

«Quand j’étais jeune, j’écoutais beaucoup la radio dans l’auto. Je le fais encore. Je crois que c’était en 1973, mon père était au volant, et de jolies chansons pop sortaient de la radio AM. Sans y penser, j’ai déclaré en la pointant : “C’est ça que je veux faire de ma vie. Je signe où?”» Anthony Kiedis

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/ JOSIE DESMARAIS/MÉTRO Anthony Kiedis sur la scène du Centre Bell, mardi
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