Prestige

• Histoire

- CHRONIQUE DE JEAN-MARIE LEBEL, historien

Il y a 50 ans, en 1966, un incendie détruisit la belle résidence du Boisde-Coulonge. Ce château dominait majestueus­ement de grands jardins et le fleuve, et c’était le plus beau de la grande région de Québec. Cet incendie marqua d’autant plus les esprits qu’un drame horrible s’y était produit : le lieutenant­gouverneur Paul Comtois avait péri dans les flammes.

D’une maison de ferme à un château

C’est en 1961 que Paul Comtois, son épouse, Irène Gill, et la cadette de leurs filles, Mireille, vinrent s’installer dans le château du Bois-de-Coulonge, la prestigieu­se résidence officielle des lieutenant­s-gouverneur­s de la province de Québec depuis 1870. En cette année 1961, Paul Comtois avait 66 ans et aspirait à la retraite lorsque, dans l’avion qui le menait d’Ottawa à Québec pour les funéraille­s du lieutenant-gouverneur Onésime Gagnon, il avait appris du premier ministre John Diefenbake­r que c’est lui qui succéderai­t à Gagnon. Ce qui s’avérait un honneur n’en avait pas moins des conséquenc­es pour un homme qui rêvait de terminer ses jours sur sa ferme familiale. C’est qu’en plus de devoir quitter ses fonctions de député fédéral de Nicolet-Yamaska et de ministre des Mines et des Relevés techniques, il se voyait forcé d’abandonner ses fonctions de maire de Pierrevill­e et de président de la caisse populaire de cette petite municipali­té située entre Sorel et Nicolet.

D’abord et avant tout, Paul Comtois était un agronome, fier d’être diplômé de l’Institut agricole d’Oka. Il avait mis en valeur la belle grande ferme familiale. Pour les Comtois, ce fut un choc de laisser leur maison de ferme de Pierrevill­e pour se retrouver soudaineme­nt dans la vaste résidence du Bois-de-Coulonge, entourés de domestique­s, de cuisiniers, d’un surintenda­nt, de jardiniers, d’hommes d’entretien, d’un chauffeur ainsi que d’un chapelain pour célébrer la messe. Vie de château, certes, mais aussi vie exigeante. Les Comtois devaient accueillir dans leur résidence beaucoup de dignitaire­s et tenir bien des réceptions. La visite du shah d’Iran et de son impératric­e Farah en 1965 ne manquera pas de les impression­ner.

Des arbres centenaire­s dans un domaine séculaire

Les mondanités n’enlevèrent toutefois point à Paul Comtois ses réflexes d’agronome. Pour garder la forme, il marchait dans les boisés de son vaste domaine du Bois-de-Coulonge, admirant et inventoria­nt les 4 000 arbres : beaucoup d’érables à sucre que l’on entaillait au printemps, mais aussi de puissants chênes, de magnifique­s ormes, des pins, des épinettes… Comtois trouvait que les boisés avaient été négligés par les lieutenant­s-gouverneur­s précédents. Il numérota les arbres qui en valaient la peine et fit faire du ménage. Avec du bois récolté, il fit même construire une cabane à sucre (elle existe toujours et sera encore utilisée en ce printemps 2016). Et Comtois ne négligea pas le beau verger de 125 pommiers.

À la belle saison, les Comtois n’étaient pas peu fiers de faire découvrir à leurs visiteurs les beaux aménagemen­ts floraux de leur domaine. Il y a sur les lieux une longue tradition d’horticultu­re qui remonte au temps où le négociant Henry Atkinson était propriétai­re du domaine. Il y avait fait faire dans les années 1840 d’importants travaux de terrasseme­nt et d’aménagemen­ts paysagers.

Le Bois-de-Coulonge a une très longue histoire. Il faut en effet remonter aussi loin que 1649 pour y retrouver le premier résident des lieux. Et il était nul autre que le noble Louis d’Ailleboust de Coulonge qui venait de quitter ses fonctions de gouverneur général de la NouvelleFr­ance. Il y avait fait construire une maison bien imposante pour l’époque. En 1670, sa veuve, qui terminera ses jours à l’Hôtel-Dieu, céda le domaine aux Augustines. Et celles-ci le vendirent en 1677 aux prêtres du Séminaire qui, eux, en seront très longtemps les propriétai­res. Après la Conquête, le brigadier général Henry W. Powell s’y fit construire une belle villa en 1798. Devenu propriétai­re des lieux en 1811, Michael H. Perceval donna le nom de « Spencer Wood » au domaine en l’honneur de son oncle Spencer Perceval, premier ministre de Grande-Bretagne. Dans les années 1840, la villa est agrandie par le propriétai­re Henry Atkinson. Devenue résidence des gouverneur­s généraux à compter de 1850, la villa fut la proie des flammes le 28 février 1860. En 1862, on reconstrui­sit la résidence qui allait devenir plus tard le château des lieutenant­s-gouverneur­s, où s’établirent les Comtois qui en célébrèren­t d’ailleurs le centenaire en 1962.

La nuit fatidique

Les Comtois vécurent plus de quatre années au Bois-de-Coulonge, y écoulant des jours heureux jusqu’à la tragique nuit du 20 au 21 février 1966. En soirée, Paul Comtois et son épouse, Irène, avaient assisté à une réception au Château Frontenac. À leur retour, avec un couple invité, ils montèrent à leurs chambres. Vers minuit, Mireille, la fille du lieutenant­gouverneur, lisait tranquille­ment dans sa chambre du rez-de-chaussée lorsqu’elle entendit une explosion. Se précipitan­t pour voir ce qui se passait, elle aperçut un grand trou au pied du grand escalier. Des flammes en sortaient et se propageaie­nt rapidement. L’alerte fut donnée. Au second étage, Paul Comtois criait aux occupants de sauter par les fenêtres. Le gardien Conrad Soucy sortit madame Comtois en la portant dans ses bras. Les visiteurs et les domestique­s eurent le temps d’échapper aux flammes. Mireille aperçut son père près de la suite royale. Il lui ordonna de sortir de l’édifice. Elle sauta par une fenêtre, se retrouvant pieds nus dans la neige.

Prévenus, les pompiers de Sillery arrivèrent enfin de leur caserne de l’avenue Maguire. Dans cette nuit où il faisait un froid sibérien, ils virent les gens s’inquiéter du sort du lieutenant­gouverneur, qui n’était toujours pas sorti de l’édifice en flammes. Mais le brasier avait pris une telle ampleur que les pompiers ne pouvaient point entrer dans l’édifice. Le cadavre calciné fut retrouvé le lendemain dans les décombres et fut inhumé au cimetière de Pierrevill­e. Selon le chapelain, c’est en voulant sauver les saintes espèces dans la chapelle que Paul Comtois aurait perdu la vie.

D’un domaine privé à un grand parc public

Le gouverneme­nt de Jean Lesage annonça, dès le 1er mars 1966, qu’il allait reconstrui­re la résidence du Bois-deCoulonge, mais il fut battu lors des élections générales de la même année et le projet fut abandonné. Toutefois, Paul Comtois aurait été fier de voir son cher domaine devenir un grand parc public à compter de 1967. Devenu propriété de la Commission de la capitale nationale du Québec en 1995, le parc a retrouvé tout son charme de jadis et son histoire y est racontée dans un nouveau centre d’interpréta­tion. Sur le campus de l’Université Laval, un portrait de Paul Comtois orne le hall d’entrée du pavillon qui porte son nom et qui abrite la Faculté des sciences de l’agricultur­e et de l’alimentati­on, ainsi que l’Université du 3e âge de Québec. Affable et modeste, Paul Comtois se plaisait à dire qu’il avait des adversaire­s, mais pas d’ennemis.

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Le château du Bois-de-Coulonge en 1962.
 ??  ?? Paul Comtois dans la bibliothèq­ue du Bois-de-Coulonge, 1962.
Paul Comtois dans la bibliothèq­ue du Bois-de-Coulonge, 1962.
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