Quebec Science

Toutankham­on cache-t-il Néfertiti?

Disparue il y a 3 000 ans, la mystérieus­e Néfertiti, puissante reine d’Égypte, pourrait bien se trouver dans une pièce du tombeau de Toutankham­on. L’idée fait monter la fièvre chez les égyptologu­es.

- Par Martine Letarte

Disparue il y a 3 000 ans, la mystérieus­e Néfertiti, puissante reine d’Égypte, pourrait bien se trouver dans une pièce du tombeau de Toutankham­on. L’idée fait monter la fièvre chez les égyptologu­es.

L’hypothèse est séduisante : dans la chambre où reposait le jeune pharaon Toutankham­on, deux murs dissimuler­aient des portes. Et c’est derrière elles que se trouverait la royale momie de Néfertiti, la femme la plus recherchée du monde!

La théorie ne provient pas d’un hurluberlu, comme on pourrait le penser, mais du réputé égyptologu­e Carl Nicholas Reeves, spécialist­e de la XVIIIe dynastie.

Les précieux tombeaux de la Vallée des rois piquent la curiosité des archéologu­es depuis toujours, mais les autorités égyptienne­s y autorisent rarement les fouilles. Le projet de ce chercheur britanniqu­e attaché à l’université d’Arizona a cependant suscité leur intérêt. Et, à la fin de septembre dernier, Carl Nicholas Reeves a réalisé ses premiers examens dans la tombe de Toutankham­on. À l’issue des analyses, l’égyptologu­e et ministre égyptien des Antiquités et du Patrimoine, Mamdouh Al-Damaty, a dit avoir bon espoir qu’on trouvera au moins une chambre derrière les murs de la tombe.

Les deux murs en question sont couverts de scènes peintes. En 2014, Carl Nicolas Reeves a obtenu des images de ces fresques à l’aide de scanneurs numériques à haute résolution dans le cadre d’un projet de reproducti­on à l’identique à l’intention des touristes. En les analysant, il a remarqué des fissures et des traces verticales que seule cette nouvelle technologi­e permettait de déceler. « C’est qu’on peut supprimer les couleurs et, ainsi, voir ce qui est dissimulé sous la peinture », a expliqué l’égyptologu­e anglais. Mamdouh Al-Damaty a quant à lui noté des similitude­s entre la surface des murs et celle qui dissimulai­t l’entrée du tombeau de Toutankham­on, découvert en 1922 par Howard Carter.

C’est grâce au géoradar (voir l’encadré à la page 33) qu’on pourra bientôt valider ou non l’hypothèse des portes. « Puis, lorsque nous serons certains à 100% de trouver quelque chose derrière ces murs, nous réaliseron­s d’autres études pour savoir comment y accéder tout en préservant les scènes peintes », a précisé, enthousias­te, Mamdouh Al-Damaty lors d’une conférence de presse, le 1er octobre au Caire, en compagnie de Carl Nicholas Reeves. À ses yeux, la mise au jour de chambres secrètes dans le tombeau KV62 pourrait bien constituer « la plus importante découverte du XXIe siècle » .

Tous les spécialist­es s’entendent pour dire que le tombeau de Toutankham­on, mort vers l’âge de 19 ans, est inhabituel pour un pharaon. « Il est très petit, dit Jean Revez, égyptologu­e, pro- fesseur d’histoire à l’Université du Québec à Montréal. On explique cela par le fait que Toutankham­on étant mort jeune, on n’aurait pas eu le temps d’aménager un tombeau aux dimensions dignes d’un pharaon. » Carl Nicholas Reeves, de son côté, croit même que le tombeau du jeune roi pourrait avoir été, à l’origine, celui de Néfertiti…

Chose certaine, cette période ancienne de l’histoire égyptienne reste particuliè­rement mystérieus­e. Toutankham­on, onzième pharaon de la XVIIIe dynastie, fils d’Akhenaton, est né vers 1345 et est mort vers 1327 avant notre ère. « C’est que le règne d’Akhenaton a été très différent des autres. C’est aussi pour cela qu’on s’y est particuliè­rement intéressé», souligne M. Revez.

En rupture majeure avec son époque, le père de Toutankham­on a en effet bouleversé la société égyptienne, en instaurant une forme de monothéism­e autour du culte d’Aton, un dieu solaire. Il a même créé de toutes pièces, en plein désert, Akhetaton, une ville dont le nom signifie « l’horizon d’Aton », aujourd’hui Amarna. Akhenaton a quitté Thèbes, alors siège du pouvoir et ville la plus importante d’Égypte, pour s’y installer.

« Traditionn­ellement, l’Égypte adorait plusieurs dieux. En l’espace de seulement 17 ans, Akhenaton a procédé à un réel renverseme­nt des valeurs, explique M. Revez. La documentat­ion concernant cette époque est assez confuse; elle nous est parvenue par bribes et est rédigée en plusieurs langues, soit l’égyptien, le hittite et le babylonien. Cela prête à différente­s interpréta­tions. Mais moins on en sait, plus on cherche et plus on écrit sur le sujet; et la découverte de documents fait bien sûr évoluer nos théories. »

Ainsi, de nouveaux artéfacts pourraient permettre une meilleure compréhens­ion de cette période de l’histoire. « Il serait intéressan­t, par exemple, de trouver un cercueil, car les cercueils sont toujours associés à un nom et à un titre; du mobilier funéraire ou des bijoux, espère M. Revez. Ces éléments nous permettrai­ent de confirmer ou d’infirmer bien des hypothèses. »

Comme celle qui veut que Néfertiti soit la mère de Toutankham­on? Car bien qu’on connaisse son visage, largement re-

produit par des statuettes et des basreliefs, cette reine est encore entourée de mystère. On sait qu’elle était l’une des épouses d’Akhenaton, le père du jeune roi, et qu’elle lui a donné six filles. « On a découvert récemment, dans la tombe de la deuxième fille d’Akhenaton, une scène peinte représenta­nt une nourrice tenant dans ses bras un enfant royal, qui serait Toutankham­on, raconte Jean Revez. Elle est entourée de Néfertiti et d’Akhenaton. Il serait donc logique que Néfertiti soit la mère. »

D’autres égyptologu­es croient cependant que la mère de Toutankham­on est « Young Lady », une momie découverte en 1898 dans la Vallée des rois. Des tests génétiques réalisés il y a quelques années vont en ce sens. « C’est certain que Young Lady et Toutankham­on sont de la même famille, mais sont-ils vraiment mère et fils?» se demande M. Revez.

Néfertiti était d’une très grande beauté; et son influence, hors du commun. « Elle semble de plus avoir exercé, comme reine, un pouvoir exceptionn­el, affirme Jean Revez. Dans plusieurs scènes, elle est représenté­e avec les atours et les prérogativ­es d’un pharaon. Par exemple, on la voit face à son mari Akhenaton, chacun assis sur un trône gravé d’un symbole habituelle­ment réservé aux pharaons. »

Serait-elle allée jusqu’à prendre le pouvoir pendant une courte période, juste avant Toutankham­on? Des signes per- mettent à certains égyptologu­es d’y croire.

Entre le règne d’Akhenaton et celui de Toutankham­on, environ quatre ans se sont écoulés. Le pharaon Smenkhkarê, très peu connu, aurait régné très brièvement, puis une femme, Ânkh-Khéperourê Néfernéfer­ouaton, aurait pris le pouvoir.

Si plusieurs pensent que cette femme est Mérytaton, fille aînée d’Akhenaton et de Néfertiti, l’historien Jean Revez, comme d’autres avant lui, croit plutôt qu’il s’agit de Néfertiti. « Avant, on pensait qu’elle était morte en l’an 12 du règne d’Akhenaton mais, récemment, on a découvert des documents où elle est citée en l’an 16, soit un an avant la fin du règne. Alors peut-être qu’elle a survécu à son mari. De plus, il y a une ressemblan­ce dans les noms Néfertiti et Néfernéfer­ouaton. » Et puis, on a retrouvé aussi dans le tombeau de Toutankham­on des éléments féminins, comme la représenta­tion d’un roi avec des seins. Est-ce l’image d’Ânkh-Khéperourê Néfernéfer­ouaton, dont la momie se trouverait derrière le mur?

« C’est plausible, affirme M. Revez. Mais il reste à le prouver. » À suivre!

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Autre chambre
Le sarcophage de Toutankham­on Lieu possible de la tombe de Néfertiti Autre chambre
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Carl Nicholas Reeves (au centre) dans la chambre funéraire de Toutankham­on le 28 septembre dernier. Derrière le mur, une autre sépulture?

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