IL Y A 3,8 MILLIARDS D’ANNÉES LA GRANDE OXYDATION
Si l’on ne sait pas exactement comment la vie est apparue sur Terre, une chose est sûre, c’est le « domptage » de la lumière qui a permis aux organismes primitifs de conquérir la planète et de rendre l’atmosphère respirable.
L a Terre, jadis, était peu propice à la vie. « La couche d’ozone n’existait pas et les premières bactéries devaient donc résister aux ultraviolets qui bombardaient la Terre », explique Philippe
Juneau, professeur au département des sciences biologiques de l’UQAM.
Quant au taux d’oxygène dans l’atmosphère, il équivaut alors à 0,001% du taux actuel. La planète bleue est irrespirable ! Un peu plus de 1 milliard d’années plus tard, pourtant, tout change. C’est la « Grande Oxydation » qui correspond à une augmentation brutale de la concentration d’oxygène dans l’air.
Que s’est-il passé ? Cette bouffée d’oxygène, c’est majoritairement aux cyanobactéries qu’on la doit. « Ce sont les bactéries qu’on appelle à tort des algues bleu vert. Elles font partie des premiers organismes apparus sur Terre », précise le biologiste.
Leur coup de génie, c’est d’avoir « inventé » la photosynthèse, cette capacité à exploiter la lumière du soleil pour produire de l’énergie en libérant de l’oxygène. Une innovation qui permettra à la vie de quitter les fonds océaniques et de conquérir progressivement toute la planète. Car sous l’effet du rayonnement UV, l’apparition d’oxygène a permis l’accumulation d’ozone dans les couches supérieures de l’atmosphère, créant ainsi un milieu plus clément et permettant l’émergence de formes de vie plus complexes.
Aujourd’hui encore, la photosynthèse est à la base de la chaîne du vivant, permettant la prolifération du phytoplancton. C’est le seul mécanisme capable d’assurer le renouvellement constant de l’oxygène.
« La photosynthèse est le coeur de la vie sur Terre, reprend le chercheur. Il y a plusieurs hypothèses quant à la date d’apparition des premières réactions photosynthétiques, mais nous savons que c’est survenu très tôt dans l’histoire de notre planète. »
En se nourrissant de lumière pour créer de la matière carbonée, les premières cyanobactéries ont ouvert la voie de la photosynthèse à tous les végétaux, apparus des millions d’années plus tard. En effet, les chloroplastes, ces petits organites qui réalisent la photosynthèse chez les plantes, sont très probablement issus d’une cyanobactérie « absorbée » par une autre cellule – un phénomène appelé endosymbiose.
Ces bactéries ancestrales n’ont pas disparu. Elles constituent la majorité du phytoplancton, et
C’est en se nourrissant de lumière pour créer la matière carbonée que les premières cyanobactéries ont ouvert la voie de la photosynthèse à tous les végétaux.
on les trouve absolument partout sur le globe, que ce soit dans l’eau douce ou salée, dans la glace ou les déserts, dans les eaux thermales brûlantes ou même sur les rochers, où elles vivent en symbiose avec un champignon pour former du lichen. À quoi doivent-elles leur succès ? « Elles possèdent des pigments qui leur permettent d’exploiter la majeure partie du spectre de la lumière », précise Philippe Juneau, spécialiste de ces micro-organismes. Il faut savoir que, afin de capter la lumière, les organismes photosynthétiques font appel à plusieurs pigments, le plus connu et le plus abondant étant la chlorophylle. Au contact des photons, les électrons de ces pigments s’excitent – sont « énergisés » – et sont transférés de molécules en molécules. Grâce à ces réactions en chaîne, les cellules parviennent à produire de l’énergie chimique à partir d’eau ; cela leur permet, dans un second temps, de fabriquer des glucides à partir du dioxyde de carbone de l’air.
Pour exploiter au mieux la matière première lumineuse, les pigments doivent pouvoir capter le plus de longueurs d’onde possible – c’est-à-dire, le plus de couleurs du spectre possible. La chlorophylle, à elle seule, est loin du compte. « Elle n’absorbe pas dans le vert, c’est pourquoi les plantes apparaissent vertes. D’autres pigments, les caroténoïdes, sont aussi omniprésents chez les plantes, mais les cyanobactéries possèdent en plus des phycocyanines et des phycoérythrines qui absorbent la lumière là où la chlorophylle n’est pas efficace », ajoute Philippe Juneau. Résultat, elles profitent au maximum des photons du soleil. Certaines études ont même démontré que les cyanobactéries pouvaient changer leur pigmen-
tation en quelques jours lorsqu’on les expose à une lumière d’une certaine longueur d’onde, histoire de capter plus efficacement cette couleur dominante.
« En laboratoire, les cyanobactéries sont utilisées comme des organismes modèles pour étudier la photosynthèse », indique le biologiste. Hélas, les « algues bleu vert » ont aujourd’hui mauvaise presse. Avec leur forte capacité d’adaptation, elles ont une fâcheuse tendance à envahir les lacs, libérant des substances toxiques. « Le problème, aujourd’hui, ce sont les variations dans l’état de notre environnement qui engendrent dans certains cas un déséquilibre entre les algues et les cyanobactéries, et favorisent leur prolifération », déplore Philippe Juneau, qui étudie le phénomène. Ce qui ne devrait pas nous faire oublier les fiers services qu’elles ont rendus au monde du vivant.