LA LUMIÈRE MISE EN BOÎTE
Les lasers sont partout : dans l’industrie, dans la vie quotidienne et dans les laboratoires de recherche. Mais il a fallu des décennies avant que les scientifiques parviennent ainsi à domestiquer la lumière.
Q uand le physicien états-unien Theodore Maiman met au point le premier laser en 1960, la communauté scientifique est loin de se douter qu’une révolution est en marche. La découverte intrigue, mais elle est qualifiée de « solution dont on cherche encore le problème »… Aujourd’hui, les lasers sont partout. Ils permettent de générer et de stocker de l’information (fibres optiques, CD, etc.), de pratiquer des interventions chirurgicales, de découper des matériaux, de décaper des bâtiments, d’analyser la matière, de faire de la microscopie ou de l’astronomie, ou encore de guider des missiles. « Je ne fais plus vraiment le compte, mais au-delà de50 prix Nobel, que ce soit en chimie, en physique ou en médecine, sont liés à l’utilisation des lasers », aime à rappeler Sylvain Cloutier, professeur au département de génie électrique de l’École de technologie supérieure (ÉTS).
Il faut dire que la lumière émise par les lasers n’a rien de banal. Elle est même radicalement différente de la lumière naturelle. Alors que cette dernière est constituée d’ondes qui se déplacent dans toutes les directions, le faisceau laser, lui, est très directionnel et se propage sans diverger, ou très peu. Alors que la lumière du jour est composée de toutes les couleurs (ou longueurs d’onde) de l’arc-en-ciel, la lumière laser est soit faite d’une seule longueur d’onde, lorsque le rayonnement est continu – comme dans les pointeurs laser –, ou de plusieurs longueurs d’onde très proches les unes des autres, lorsque le laser émet plutôt des flashs de lumière (impulsions) de durée définie. Enfin, dans la lumière « classique », les différentes ondes sont chaotiques et indépendantes les unes des autres. « Dans un flash laser, les différentes ondes sont “en phase”. On force toutes les ondes à se déplacer dans la même direction pour qu’elles puissent communiquer (interférer) ensemble et créer ce qu’on appelle l’impulsion », explique François Légaré, spécialiste des lasers au Centre Énergie Matériaux Télécommunications de l’Institut national de la recherche scientifique (INRS) à Varennes.
Pour domestiquer ainsi la lumière, il a fallu des décennies de travail théorique, initié par Einstein en 1905. Derrière le mot « laser » se cache d’ailleurs un acronyme complexe, issu de la langue anglaise, signifiant « amplification de lumière par émission stimulée de rayonnement ». Comme son nom l’indique – de façon assez obscure, convenons-en ! – le laser consiste donc à amplifier la lumière et à l’ordonner. Il se compose d’un milieu amplificateur (il peut s’agir d’un gaz, d’un liquide ou d’un solide), d’une cavité composée de deux miroirs qui « emprisonne » la lumière et d’une source externe d’énergie pour exciter le milieu amplificateur.
On est aujourd’hui capable de générer des impulsions laser ultracourtes, de moins de 1 millionième de milliardième de seconde.
Pour comprendre, un rappel s’impose : lorsqu’un atome reçoit un photon, il l’absorbe et atteint un niveau d’énergie supérieur. On dit qu’il est excité, c’est un état qui ne dure pas. En repassant à un niveau plus bas d’énergie, il émet à nouveau un photon, dans une direction aléatoire. Cependant, Albert Einstein a découvert que, lorsqu’un atome déjà excité reçoit un photon, il en émet deux dans la même direction, c’est l’émission stimulée. Ce qui permet d’obtenir une lumière homogène (on dit « cohérente »).
Dans le laser, en excitant le milieu amplificateur (ce qu’on appelle le « pompage optique », à l’aide de décharges électriques ou d’un autre laser), on transmet donc de l’énergie aux atomes pour les faire passer dans un état excité. Les atomes émettent alors un photon chacun, lequel rencontre un autre atome qui va l’absorber, et qui va émettre deux photons de façon « stimulée », et ainsi de suite. L’effet de cascade permet d’amplifier rapidement le rayonnement, d’autant que les photons rebondissent sur les miroirs de la cavité laser et traversent plusieurs fois le milieu actif. Finalement, l’un des miroirs partiellement réfléchissants laisse s’échapper de la lumière : c’est le faisceau laser.
Si le premier laser a fonctionné avec un cristal de rubis, l’arsenal optique des chercheurs s’est beaucoup diversifié depuis. Et on est aujourd’hui capable de générer des impulsions laser ultracourtes, de moins de 1 millionième de milliardième de seconde. François Légaré, qui est directeur du Laboratoire de sources femtosecondes ( LSF) de l’INRS, s’intéresse justement à ces outils. « Ce sont les lasers basés sur des cristaux de titane-saphir comme milieu amplificateur qui sont les plus utilisés pour cela, mais ils ont leurs limites. En les faisant interagir avec un gaz, on peut par contre convertir leur longueur d’onde vers une longueur d’onde plus courte, ce qui permet de générer des impulsions attosecondes (10 -18 seconde, soit 1 milliardième de milliardième de seconde) plutôt que femtosecondes (10 -15 seconde) », explique le spécialiste.
Le but ? « Observer les dynamiques d’électrons, qui sont des éléments de base des atomes, et qui, lorsqu’ils sont échangés entre différents atomes, permettent de créer des liaisons chimiques, donc des molécules », dit-il. Par exemple, les atomes dans une molécule vibrent à l’échelle de la femto‑ seconde, et un électron fait le tour d’un atome d’hydrogène en 152 attosecondes. « Quand on veut photographier une Formule 1 qui met une minute à faire le tour du circuit, il faut un appareil photo rapide. C’est pareil pour les électrons : il faut faire des flashs de lumière plus courts que 152 attosecondes ! » ajoute le scientifique qui vient de recevoir la médaille Herzberg de l’Association canadienne des physiciens et physiciennes pour sa contribution dans le domaine de l’imagerie... ultrarapide.