LES LASERS POUR «VOIR » LA MATIÈRE
La lumière sait faire parler les matériaux, et peut révéler leurs propriétés cachées. L’interaction « laser-matière » est au centre de nombreux domaines de recherche.
O n les trouve dans les lecteurs de codebarres ou de DVD, dans l’industrie pour la découpe métallique ou l’impression 3D, dans les photocopieuses ou les imprimantes, ou encore au bloc opératoire d’un hôpital. Les lasers sont partout. Y compris, bien sûr, dans les laboratoires, où ils constituent un outil précieux pour étudier les matériaux ou les tissus vivants. « Comme le laser focalise énormément d’énergie sur une petite surface, il peut faire vibrer les matériaux, les exciter. De notre côté, en regardant comment le matériau réagit, on peut obtenir des informations précises sur ses propriétés fondamentales et électroniques », explique Sylvain Cloutier, professeur au département de génie électrique de l’ÉTS.
L’étude des interactions laser-matière est désormais au coeur de l’innovation, dans tous les domaines, qu’il s’agisse de l’aéronautique ou des nano‑ technologies. Le chercheur a même, par le passé, travaillé en collaboration avec des restaurateurs d’oeuvres d’art aux États-Unis, qui cherchaient à caractériser le type de peinture utilisée sur un tableau. « Leur crainte était que, en restaurant la couleur avec un autre pigment, il y ait des réactions chimiques inattendues. Grâce au laser, on peut découvrir la “signature moléculaire” des peintures utilisées et éviter les mauvaises surprises », explique-t-il.
À l’ÉTS, Sylvain Cloutier a troqué les toiles de maître contre des semi-conducteurs. « Le coeur de ma recherche, c’est de développer de nouveaux matériaux avec des propriétés uniques. On a par exemple découvert qu’en perçant des nano-trous dans le silicium, on pouvait modifier ses propriétés », poursuit-il.
De quoi inventer des revêtements de surface uniques pour l’aérospatiale ou encore créer des cellules photovoltaïques imprimables capables de se plier. « L’idée, c’est de développer des matériaux un peu moins performants que ce qui se fait actuellement, mais à un coût de production environ 1 % de ce qu’il est présentement. Par exemple, plutôt que d’utiliser un bloc entier de semi-conducteur, dont la synthèse est très onéreuse, on utilise des nanoparticules de silicium qui s’accrochent l’une à l’autre grâce à une molécule “velcro”. Les nanobilles s’assemblent couche par couche. Bien que la performance soit un peu diminuée par rapport au silicium pur, cela coûte tout de même beaucoup moins cher. En changeant la molécule velcro utilisée, on pourrait encore modifier les propriétés du matériau », observe l’ingénieur.
Si les lasers permettent d’en savoir plus sur les matériaux composites de demain, à l’INRS, au Laboratoire de sources femtosecondes LSF), Jean
Claude Kieffer les emploie pour en savoir plus sur… la matière vivante. « Notre installation est unique au Canada et est dotée de lasers ultracourts qui génèrent des impulsions de 20 à 30 femtosecondes (10 -15 seconde) », explique-t-il. Inventés il y a 25 ans, ces lasers femtosecondes ne prennent réellement leur essor que depuis une dizaine d’années. En concentrant l’énergie des impulsions en un temps très court, de l’ordre du millionième de milliardième de seconde, ils permettent d’atteindre une puissance énorme, d’environ 200 térawatts (1012 watts) (à comparer à la puissance de production électrique de la planète Terre d’environ 4 térawatts !).
« Ces lasers permettent de voir les réactions chimiques se produire en temps réel, car toutes les réactions à l’échelle de l’atome ou des molécules se produisent sur des échelles de temps extrêmement brèves », précise le chercheur. Tel un stroboscope, le laser femtoseconde bombarde donc la matière vivante pour prendre des clichés instantanés des molécules.
« Actuellement, le laser “tire” environ 10 coups par seconde, mais la prochaine génération pourrait aller jusqu’à 1 000 coups par seconde. Le but est de visualiser de façon dynamique les molécules complexes, comme la myoglobine. Cette enzyme change de configuration pour transporter et relâcher l’oxygène au niveau des muscles, en une fraction de seconde. En la martelant avec un laser, on peut induire ce changement de structure et le visualiser », ajoute-t-il. Il devient donc possible de suivre les mouvements des atomes qui se séparent ou se rapprochent au sein d’une molécule, et même de détecter les transferts d’électrons entre atomes. En 2014, l’équipe du professeur François
Légaré a ainsi réussi à faire un « film moléculaire » révélant la transformation d’une molécule naturelle, l’acétylène, en vinylidène, une molécule présente dans le plastique. « Nous avons réussi à suivre le déplacement d’un proton, qui saute d’un côté à l’autre de la molécule lors de ce réarrangement. Obtenir des images dynamiques des systèmes chimiques, c’est l’avenir de l’imagerie », explique François Légaré dont l’exploit a été publié dans la revue Nature
Communications et s’avère prometteur pour la recherche en chimie, biologie ou pharmacologie.
Et ce n’est pas tout ! Les lasers peuvent aussi constituer des sources de rayonnement utiles en imagerie médicale. « Lorsqu’on fait interagir le laser avec un solide, on peut focaliser l’énergie sur une toute petite surface, de quelques micromètres carrés, ce qui fait chauffer la matière et entraîne l’émission de rayons X », reprend Jean-Claude Kieffer. Ces sources de rayons X sont 50 à 100 fois plus faibles que les sources conventionnelles utilisées en médecine : « Cela nous permet d’avoir des images à très haut contraste et de bien meilleure résolution, poursuit-il. Ces sources pourraient être utilisées en médecine d’ici trois ans, et elles pourraient constituer des outils puissants pour la détection de tumeurs précoces. »