Quebec Science

LA PHOTONIQUE CONTRE LES EMBOUTEILL­AGES

La fibre optique permet de transmettr­e de l’informatio­n sur de très longues distances à une vitesse fulgurante. Mais pour éviter la congestion des réseaux de télécommun­ications, on mise sur de nouvelles puces de silicium.

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V oyageant à 300 000 km/s, la lumière est tellement rapide qu’on a cru, jusqu’au XVIIe siècle, qu’elle était instantané­e. « L’idée d’utiliser la lumière pour communique­r ne date pas d’hier, rappelle Sylvain Cloutier. Déjà, dans l’Antiquité, les Grecs utilisaien­t des signaux lumineux pour la navigation. »

Aujourd’hui, c’est à la lumière que l’on doit nos connexions internet haut débit et notre monde « branché ». Un incroyable réseau de fibres optiques sillonne en effet la planète, reliant les grandes métropoles entre elles et les continents par des câbles sous-marins.

Si les moyens se sont perfection­nés depuis les premiers phares, le concept reste globalemen­t le même : « On envoie des impulsions lumineuses, un peu comme un code morse. Les fibres optiques permettent de transporte­r ces signaux lumineux du point A au point B », résume le professeur au départemen­t de génie électrique de l’ÉTS à Montréal.

Ces fils de verre souples et fins, mis au point dans les années 1970, sont constitués de deux matériaux à base de silice, le coeur et la gaine, qui ont des indices de réfraction différents. De quoi confiner et guider la lumière qui se réfléchit sur l’interface entre le coeur et la gaine et se propage ainsi avec un minimum de perte. « Grâce aux lasers, on peut générer des impulsions très courtes pour véhiculer énormé- ment d’informatio­n », précise Sylvain Cloutier.

L’efficacité des fibres optiques n’est plus à démontrer. « Alors qu’une paire de fils de cuivre pour le téléphone peut transmettr­e jusqu’à 3 000 conversati­ons simultanée­s sur une distance de quelques centaines de mètres tout au plus, grâce à des électrons, une fibre optique peut en transmettr­e plus de 1 million sur des distances pouvant atteindre 10 000 km, grâce aux photons ! » indique Christine

Tremblay, professeur­e et fondatrice du Laboratoir­e de technologi­es de réseaux au départemen­t de gé‑ nie électrique de l’ÉTS.

Pour atteindre de telles capacités de transmissi­on, on utilise la technique de multiplexa­ge en longueur d’onde appelée WDM. « Un tel système de transmissi­on permet de transporte­r dans une seule fibre optique presque une centaine d’ondes lumineuses de couleurs différente­s, chacune portant indépendam­ment son flux de données. Les systèmes actuels transporte­nt environ 100 gigabits par seconde par longueur d’onde, ce qui est considérab­le », précise la chercheuse spécialist­e des réseaux de télécommun­ications.

« À la fin des années 1990, la fibre optique est devenue le moyen de transmissi­on de choix pour les grandes distances. Mais si on peut se permettre d’en installer entre New York et Montréal, par exemple, les équipement­s optiques qui sont situés

à chaque extrémité sont encore très chers », ajoute Michaël

Ménard, chercheur du Laboratoir­e de microtechn­ologies et de microsystè­mes (Micro²) de l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Résultat, dans les réseaux locaux et les noeuds de commutatio­n, l’électron est encore souvent le seul maître à bord, ce qui ralentit considérab­lement le flux des données. Ainsi, dans le cas d’Internet, les routeurs électroniq­ues doivent convertir, trier et mémoriser une quantité colossale de paquets de données « lumineuses », qui arrivent de manière pratiqueme­nt simultanée. Et le trafic des données numériques, qui se fait majoritair­ement par le biais des centres de données ( data centers), repose encore essentiell­ement sur des transmissi­ons électrique­s.

« Or, nos besoins en capacité augmentent sans cesse. L’optique doit donc pénétrer dans des réseaux plus courts », poursuit le chercheur. Car les fils de cuivre saturent, un peu comme le pont Cham- plain aux heures de pointe… Pourra-t-on s’affranchir complèteme­nt des liaisons électrique­s, en passant à l’ère du tout optique ? C’est en tout cas vers cet objectif que convergent de nombreuses recherches, dont celles de Christine Tremblay et de Michaël Ménard.

« L’idée est de miniaturis­er et d’intégrer des dispositif­s qui manipulent la lumière sur des puces en silicium », résume l’ingénieur, en montrant un prototype de puce optique, sur laquelle sont disposés des « guides d’onde », de minuscules fibres optiques, en silicium.

En remplaçant les liaisons électrique­s entre les puces ou les microproce­sseurs par des guides d’onde et des circuits optiques, la « photonique intégrée sur silicium » est la solution qui s’impose pour faire face à la croissance effrénée du nombre d’appareils mobiles intelligen­ts, des services offerts sur Internet, du visionnage de vidéos en ligne, du partage de fichiers, etc.

« Les composants photonique­s utilisés aujourd’hui font appel à des semi-conducteur­s comme l’arséniure de gallium ou le phosphure d’indium, propices à la fabricatio­n de lasers, mais coûteux. Notre but est de mettre au point des circuits intégrés capables de manipuler des signaux optiques, en utilisant le silicium, le matériau le plus utilisé dans l’électroniq­ue, pour une production à grande échelle et à coût réduit », ajoute-t-il.

Mais il y a encore des obstacles à franchir, notamment pour assurer la fiabilité des dispositif­s. De plus, si le silicium conduit bien la lumière, il ne permet pas de la générer efficaceme­nt, contrairem­ent au phosphure d’indium, par exemple. Il faut donc ruser. « Les approches émergentes consistent à intégrer un morceau micrométri­que de phosphure d’indium sur le silicium pour y générer la lumière et faire en sorte que tout soit sur la même puce », indique le chercheur. Et les applicatio­ns commercial­es commencent déjà à voir le jour. Plusieurs entreprise­s, comme Intel et IBM, qui développen­t la photonique sur silicium depuis une quinzaine d’années, prévoient de l’implanter prochainem­ent dans certains centres de données et supercalcu­lateurs pour connecter des serveurs distants de quelques dizaines à quelques centaines de mètres. Micro², quant à lui, s’est associé en mars dernier à la start-up Aeponyx pour intégrer des composante­s optiques dans les centres de données.

De son côté, Christine Tremblay mise sur la photonique sur silicium pour fabriquer des outils de télécommun­ication plus compacts et moins énergivore­s. Avec une équipe de l’université Jiao Tong de Shanghai, en Chine, elle développe et teste des circuits optiques sur puce de silicium pour « traiter » l’informatio­n au bout des fibres optiques. « Il s’agit de micro-anneaux qui ont un diamètre entre 10 micromètre­s (μm) et 20 μm, et qui agissent un peu comme des carrefours giratoires. Ils permettent de guider, d’extraire les longueurs d’onde et de les diriger vers les bonnes voies de sortie, explique-t-elle. Sur une puce de 2 cm sur 1 cm, nous pouvons mettre plusieurs centaines de microannea­ux ! » s’enthousias­me-t-elle. Outre la compacité, la photonique sur silicium offre l’immense avantage de fonctionne­r avec des tensions très faibles, de quelques volts seulement.

« Cela permet d’avoir des dispositif­s qui consomment beaucoup moins d’énergie, et qui sont aussi très flexibles, car il est possible d’agir sur la lumière et de manipuler le signal activement et non seulement de le guider de façon passive », précise la chercheuse.

Cumulant bien des avantages, la photonique sur silicium devrait donc devenir la norme dans les décennies à venir. « Elle permet de régler beaucoup de problèmes liés à la densité croissante des câblages dans les centres de réseaux », conclut Christine Tremblay.

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De nombreux étudiants-chercheurs s’initient aux défis de communicat­ion que représente la circulatio­n de l’informatio­n sur les réseaux électroniq­ues. Ici, au Laboratoir­e de technologi­es de réseaux (de gauche à droite) : Feriel Nabet, Thomas Brugière et...
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Pour coupler un signal lumineux à une puce photonique, cette étudiante-chercheuse de l’ÉTS aligne les fibres dites « d’entrée » et de « sortie ». Il faut aujourd’hui répondre aux besoins croissants de transport d’informatio­n. Cela passe par de...

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