Quebec Science

L’ÂGE DES CRISTAUX

Faire parler les sédiments avec la lumière, c’est ce à quoi s’applique le géologue Michel Lamothe.

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L ’entrée du laboratoir­e dirigé par Michel Lamothe, au départemen­t des sciences de la Terre et de l’atmosphère de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), ressemble à un antre de magicien. Deux étudiants poussent une porte en forme de demi-cylindre noir qu’ils font pivoter avant de disparaîtr­e. De l’autre côté de ce sas, l’obscurité est presque totale. Seules quelques lampes recouverte­s de filtres rouge foncé permettent de distinguer les paillasses sur lesquelles s’entassent des échantillo­ns de roches et de sable provenant de partout dans le monde. Ces vieilles pierres attendent de révéler leurs secrets.

« En éclairant les échantillo­ns avec des faisceaux lumineux, on peut savoir à quel moment ces roches ont été enfouies. C’est une méthode de datation qui permet de remonter jusqu’à 500 000 ans en arrière, soit 10 fois plus loin que les autres méthodes de datation », explique le chercheur.

Ainsi, la luminescen­ce stimulée optiquemen­t – c’est le nom de la technique – permet de faire parler les sédiments pour, par exemple, reconstitu­er l’histoire des glaciation­s ou encore déterminer le moment où des céramiques ancestrale­s ont été enfouies dans le sol. Michel Lamothe revient d’ailleurs d’Alaska, où il a analysé des échantillo­ns provenant de glaciers – son premier centre d’intérêt –, mais aussi de sites archéologi­ques datant de 13 000 à 14 000 ans. « Des chercheurs de partout m’appellent pour des projets de datation. Notamment, en archéologi­e, il nous est par exemple possible de dire en quelques minutes si une roche a été chauffée, et donc si elle provient d’un foyer préhistori­que », précise le géologue.

La luminescen­ce n’a pourtant rien de magique. Les roches enfouies, irradiées au fil des ans par la radioactiv­ité naturelle, ont la propriété d’émettre de la lumière lorsqu’elles sont soumises à une stimulatio­n thermique (c’est la thermolumi­nescence) ou lumineuse (c’est la luminescen­ce stimulée optiquemen­t ou OSL). La quantité de lumière qu’elles émettent est alors proportion­nelle à leur âge, ou plutôt à la durée de leur enfouissem­ent dans le sol.

« Il faut savoir que les cristaux, dans les roches, sont imparfaits. Il existe, çà et là, des “trous”, appelés “vacances”. C’est principale­ment le cas dans les cristaux de quartz et de feldspath, des minéraux que l’on retrouve dans tous les sédiments et toutes les céramiques », explique Michel Lamothe. Au fil des ans, la radioactiv­ité de l’environnem­ent contribue à dégrader ces cristaux et à éjecter des électrons des atomes. Ces électrons errants sont susceptibl­es de venir se nicher dans les trous, au sein des défauts cristallin­s.

« Ils se retrouvent piégés, mais restent ins‑ tables. Si on envoie de l’énergie, en chauffant le cristal ou en l’éclairant avec un faisceau de lumière, on peut les déloger », précise-t-il. Ce faisant, ils libèrent des photons. « On parle en réalité de millions de milliards d’électrons et de photons », ajoute ce spécialist­e mondial de la luminescen­ce, tout en plaçant un échantillo­n-test dans une machine d’OSL. En quelques secondes, l’échantillo­n, de la taille d’une pièce de 10 ¢, devient littéralem­ent phosphores­cent, émettant une jolie lumière bleutée dans la pénombre du laboratoir­e. « Le nombre d’électrons piégés dépend de la quantité totale de radiations auxquelles le cristal a été exposé au fil du temps. En mesurant la lumière émise et la radioactiv­ité environnan­te, dont le débit est constant dans le temps, on peut savoir depuis quand le sédiment était enfoui », résume Michel Lamothe.

On comprend que les échantillo­ns doivent être protégés contre toute lumière, jusqu’au moment de leur datation. « On doit utiliser un faisceau ayant une longueur d’onde différente de celle que renverra la roche pour réaliser la mesure », poursuit le géologue. Bien que la marge d’erreur soit actuelleme­nt entre 5 % et 8 %, cette méthode est prometteus­e. « Elle a un gros potentiel d’applicatio­n, que ce soit en archéologi­e ou en paléoclima­tologie, que ce soit pour connaître la variation historique des niveaux marins, et même pour authentifi­er des oeuvres d’art », dit Michel Lamothe, dont l’un des projets porte sur la datation de peintures rupestres dans des grottes d’Afrique du Sud. Il a même été jusqu’à mener une étude de faisabilit­é pour utiliser la méthode sur Mars !

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Le site archéologi­que de Wonderkrat­er, en Afrique du Sud est un lieu clé pour la recherche en paléoclima­tologie. Michel Lamothe a été appelé à y travailler pour déterminer la datation de certaines découverte­s.
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Le travail en laboratoir­e de luminescen­ce se fait en lumière tamisée et filtrée pour longueur d’onde se rapprochan­t de l’orange.

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