Quebec Science

DES BULLES DE MÉTHANE OUBLIÉES

Les réservoirs d’eau, destinés notamment à l’hydroélect­ricité, contribuer­aient plus qu’on pense au réchauffem­ent climatique.

- Par Anabel Cossette Civitella

Les réservoirs d’eau, destinés notamment à l’hydroélect­ricité, contribuer­aient plus qu’on pense au réchauffem­ent climatique.

L es plans d’eau créés par les humains, comme les réservoirs des barrages hydroélect­riques, ne sont pas aussi inoffensif­s qu’ils en ont l’air. Contribuan­t de façon non négligeabl­e au réchauffem­ent planétaire, ils produiraie­nt 25% plus de méthane que ce qu’on pensait.

C’est ce que conclut une nouvelle synthèse de la littératur­e produite par des chercheurs de l’école d’environnem­ent de la Washington State University aux États-Unis.

Si l’on savait depuis les années 2000 que les réservoirs des barrages émettent des gaz à effet de serre (GES), comme le dioxyde de carbone ou le méthane, l’analyse conduite par Bridget R. Deemer a également inclus les retenues d’eau qui ne sont pas destinées à l’hydroélect­ricité, comme les réservoirs agricoles ou d’eau potable. Au total, l’équipe a recensé les données de 267 réservoirs dans le monde.

Surtout, elle a pris en compte un facteur qui avait été largement sous-estimé dans les études précédente­s : la formation de bulles de méthane (CH ) dans les 4 sédiments.

« Quatre-vingts pour cent du potentiel de réchauffem­ent planétaire des réservoirs est dû au méthane, dit Tonya Del Sontro, l’une des auteurs affiliée au départemen­t des sciences biologique­s de l’Université du Québec à Montréal. Et le méthane a un potentiel de réchauffem­ent climatique 34 fois plus élevé que le CO . » 2

UNE QUESTION DE BULLES

Les lacs, qu’ils soient artificiel­s ou non, émettent des GES provenant de la décomposit­ion de la matière organique par des bactéries. Mais les réservoirs créés par la main de l’homme en produisent davantage dans leurs premières années puisque, au moment d’inonder un territoire, on ne prend pas nécessaire­ment la peine de raser la végétation qui l’occupe.

La formation de bulles de méthane reste toutefois difficile à mesurer, selon Julie Bastien, une biologiste qui a participé aux mesures des émissions de GES dans plusieurs réservoirs canadiens et ailleurs dans le monde. Mais elle est importante dans certaines régions, notamment sous les tropiques.

Une étude publiée en 2014 avait déjà démontré que le « bullage » du méthane était responsabl­e de 60% à 80% des émissions totales du lac de la centrale hydroélect­rique Nam Theun 2, au Laos (le plus grand barrage d’Asie du SudEst), dans les années qui ont suivi sa mise en eau.

L’analyse de la Washington State University confirme l’importance de ce type d’émission, longtemps négligé, dans les retenues d’eau à l’échelle mondiale.

L’étude souligne également le lien entre la quantité de nutriments présents dans l’eau d’un réservoir et son taux d’émission de GES.

« Les ruissellem­ents des villes et des terres agricoles augmentent l’apport de nutriments dans les eaux des réservoirs », souligne Tonya Del Sontro. Les pesticides, les engrais et les rejets industriel­s se retrouvent dans l’eau sous forme d’azote et de phosphore, ce qui entraîne une proliférat­ion de la végétation aqua- tique. À leur tour, les algues diminuent la teneur en oxygène de l’eau, condition favorisant l’émission de méthane dans les sédiments.

Construire les réservoirs loin des villes pourrait donc permettre de limiter l’impact. « C’est plus facile à dire qu’à faire, mais c’est la prochaine étape », estime la chercheuse.

UN BILAN CARBONE ALOURDI

En attendant, ces résultats ternissent quelque peu l’aura écologique de l’hydroélect­ricité. Faut-il pour autant la remettre en question? « Personne ne va dire que l’hydroélect­ricité est mauvaise, répond Tonya Del Sontro. Les bénéfices surpassent les désavantag­es, considéran­t la quantité d’énergie produite par les barrages. »

Et d’ajouter qu’il est difficile de généralise­r les conclusion­s de l’analyse aux réservoirs hydroélect­riques québécois, les eaux froides étant beaucoup moins propices à la formation de méthane.

De son côté, Julie Bastien met aussi en garde contre les raccourcis. « Les émissions de GES sont très variables dans le temps et dans l’espace. D’où la difficulté de les mesurer avec précision dans les réservoirs », dit-elle.

Il reste que cette synthèse démontre qu’il est important de comptabili­ser les réservoirs dans le bilan global d’émissions de GES des pays, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.

Le monde comprend environ 1 million de réservoirs qui produiraie­nt 1,3% des émissions anthropiqu­es de dioxyde de carbone, de méthane et de protoxyde d’azote (N O), ce qui équivaut à peu près 2 à la contributi­on annuelle du Canada aux émissions mondiales.

Des chiffres qui risquent de gonfler, alors que la constructi­on de 847 gros barrages hydroélect­riques (de plus de 100 mégawatts) et de 2 953 petits (plus de 1 mégawatt) est planifiée ou déjà en cours dans le monde, notent les chercheurs.

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La centrale hydroélect­rique de La Gabelle érigée sur la Saint-Maurice.

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