Quebec Science

Sauriez-vous résoudre le paradoxe de Newcomb?

Depuis les années 1960, ce problème insoluble donne du fil à retordre aux scientifiq­ues et aux penseurs.

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Je fais cette fois appel à vous, lecteurs et lectrices de Québec

Science, afin de connaître vos idées – et éventuelle­ment vos solutions – relativeme­nt à un problème qui, depuis longtemps, tarabuste bien des gens, notamment en philosophi­e, en mathématiq­ues, en théorie de la décision et en théorie des jeux : le fameux paradoxe de Newcomb.

Il n’y a pas, à ce jour, de solution unanimemen­t acceptée.

Le paradoxe doit son nom à William A. Newcomb, un physicien, qui l’imagine vers 1960. Un ami le fait connaître au philosophe Robert Nozick, de l’université Harvard, qui publiera en 1969 le premier texte sur le sujet. Le grand vulgarisat­eur Martin Gardner y consacrera en 1974 une de ses célèbres chroniques de « Mathematic­al Games » dans la revue Scientific

American, contribuan­t ainsi à popularise­r le paradoxe, très simple à formuler, mais incroyable­ment difficile à résoudre.

Descriptio­n du paradoxe

Vous avez devant vous deux boîtes, A et B, et devez faire un choix : prendre les deux boîtes ou ne garder que la boîte B.

La boîte A est translucid­e et vous apercevez clairement qu’elle contient un billet de 1 000 $.

La boîte B est opaque, et vous ne pouvez donc connaître son contenu.

On vous informe qu’un prédicteur (un devin, un extraterre­stre, un psychologu­e surdoué, un ordinateur, un ange, peu importe…) d’une très grande fiabilité (ce qui signifie que ses prédiction­s tendent très fortement à se réaliser, disons à près de 100 %) a décidé à l’avance du contenu de cette boîte B.

S’il a prédit que vous prendrez la boîte B, et seulement elle, il y a placé 1 000 000 $.

S’il a prédit que vous prendrez les deux boîtes (A et B), il a laissé la boîte B vide.

La veille, le prédicteur a donc mis l’argent dans la boîte B ou l’a laissée vide. Depuis, rien ni personne, pas même lui, n’a pu ou ne pourra altérer le contenu des boîtes. Celles-ci sont donc devant vous en l’état où il les a laissées.

Vous devez à présent décider quelle(s) boîte(s) vous allez prendre. La B ? La A et la B ? Comme vous êtes une personne raisonnabl­e, vous ne déciderez pas au hasard (en jouant à pile ou face, disons), d’autant que le prédicteur sait d’avance ce que vous choisirez. Vous raisonnere­z donc et pourrez ensuite justifier votre choix.

Le tableau 1 qui suit présente les

possibilit­és qui s’offrent à vous et leurs conséquenc­es monétaires.

Les gens à qui l’on expose le problème tendent à se diviser à peu près également en deux groupes : ceux qui prennent la boîte B et ceux qui prennent les deux boîtes, chaque groupe étant persuadé de faire le choix rationnel. Et c’est précisémen­t là que surgit le paradoxe : de bonnes raisons justifient autant un choix que l’autre !

Pourquoi devriez-vous prendre la boîte B?

Rappelez-vous, ce prédicteur est incroyable­ment clairvoyan­t. Donc, si vous prenez les deux boîtes, il l’aura très probableme­nt prédit et il n’y aura rien dans la boîte B. Vous retournere­z donc chez vous avec un maigre 1 000 $. Mais si vous prenez la boîte B, ce choix étant prévu par lui, le prédicteur y aura mis le million et vous rentrerez à la maison bien plus riche. Ce qu’il convient de faire est donc clair : il faut prendre la boîte B et elle seule.

Ce premier argument repose sur ce qu’on appelle, en théorie de la décision, l’« utilité espérée ».

Convenons d’établir l’efficacité du prédicteur à 90 %. Les calculs d’utilité qui conduisent à cette conclusion seraient alors les suivants :

Si on prend les deux boîtes : (0,1 X 1 001 000 $) + (0,9 X 1 000 $) = 101 000 $

Si on ne prend que la boîte B : ( 0,9 X 1 001 000 $) + ( 0,1 X 0 $) = 900 900 $

Choisir la boîte B donne donc une meilleure espérance de gain. Dossier clos ? Peut-être…

Si ce n’était qu’un autre solide raisonneme­nt nous enjoint de prendre… les deux boîtes !

Pourquoi devriez-vous prendre les deux boîtes?

Au moment où vous vous apprêtez à faire votre choix, le prédicteur a déjà mis l’argent dans la boîte B ou l’a laissée vide. Les deux boîtes nd sont là, dans l’état où il les a laissées la veille et rien n’y changera quoi que ce soit. Il n’y a donc rien à perdre à tout rafler ! Si la boîte B est vide, ayant pris les deux boîtes, vous aurez au moins 1 000 $; si le million s’y trouve, vous l’aurez en plus de ces 1 000 $.

Ce choix est celui qu’on appelle en philosophi­e le « choix dominant », car c’est celui qui maximise les gains, quelle que soit la prédiction.

On peut visualiser ainsi l’argumentai­re qui conduit à cette conclusion ( tableau 2):

Ainsi, dans toutes les situations, sélectionn­er les deux boîtes donne toujours un meilleur gain que s’emparer de la boîte B seule.

Manifestem­ent, nous voici devant un paradoxe. Qu’en pensez-vous ? Avant de vous laisser la parole, notez que cette histoire soulève d’autres enjeux. Le paradoxe de Newcomb a, par exemple, suscité des discussion­s sur la causalité rétroactiv­e, sur le libre arbitre dans un univers régi par le déterminis­me et sur bien d’autres sujets.

Mais je propose d’en rester à ce qui précède.

Qu’en dites-vous ? Quel choix faire ? Pourquoi ? Mais peut-être est-ce l’énoncé du problème qui est responsabl­e du paradoxe ? Certaines des présupposi­tions sont-elles inacceptab­les ? Est-il possible de les reformuler en ce cas ?

J’attends vos propositio­ns et j’ai bien hâte de vous lire.

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