Quebec Science

Déclarons mythique la route 389

- Par Serge Bouchard

Ende sa 1973, constructi­on, durant j’ai les bien années connu la route de la baie James. C’était au temps des ponts de glace, des trains routiers surdimensi­onnés; 620 km de chemin coulant, de neige tapée, de poudreuse, de froids extrêmes et d’isolement complet. C’était la découverte de la taïga, sa tranquilli­té, son éternité, de quoi raconter des histoires à dormir debout. On voyait des petites hardes de caribous des bois en travers de la route, des loups écrasés, de remarquabl­es aurores boréales, des camionneur­s en panne qui faisaient brûler leurs énormes pneus de rechange pour se réchauffer, se rassurer, signaler leur présence au coeur de cette grande obscurité. Je me souviens des convois bloqués par le blizzard, des sandwichs au jambon, des cafés et des cafés, des yeux rougis, des grosses fatigues. Il y a quelques années, on m’a demandé d’écrire un court texte en l’honneur de ces camionneur­s héroïques qui ont roulé jour et nuit, 100 heures par semaine, sur cette route dangereuse, au temps mythique des origines, charriant de « l’huile à chauffage », des matériaux de constructi­on, de la machinerie, de la nourriture, kilomètre par kilomètre, vers le Nord, vers les grands chantiers. Mon texte apparaît sur une plaque, au kilomètre 488, je crois. Tourisme Baie-James a tout fait pour mettre ce parcours en valeur, mais il n’est pas facile d’attirer les Québécois audelà du 50e parallèle, si bien que, finalement, malgré tous les efforts, nous n’avons jamais fait grand cas du trajet qui va de Matagami à Chisasibi. Combien de fois ai-je proposé à tel producteur, tel diffuseur de réaliser un documentai­re, un film, une série radiophoni­que pour témoigner de ce tracé historique qui traverse le Eeyou Itchi – le pays des Cris –, pour sacraliser cette immensité boréale, authentiqu­e joyau de notre patrimoine sauvage ? On le sait, les décideurs préfèrent acheter des production­s étrangères qui valorisent les routes d’ailleurs, les héros d’ailleurs, l’extrême d’ailleurs.

De la même manière, c’est bien discrèteme­nt que la route 389 est apparue sur notre territoire, vous savez, cette route du Plan Nord, grand serpent de sable qui s’est lentement asphalté. Pendant longtemps, sur l’interminab­le 138 qui passe à Baie-Comeau, de petits panneaux verts à peine visibles annonçaien­t ce nouveau chemin nordique. Sous les mots Fermont, Labrador, une flèche minuscule. On aurait dit une jonction de route secondaire régionale. Très secondaire, sans cérémonie et sans manière. Cela eût-il coûté si cher d’aménager une véritable halte routière et d’y planter un écriteau qui aurait reflété l’envergure de l’affaire : « Vous êtes sur la route 389, la belle trans-labradorie­nne qui vous mène de Baie-Comeau à Goose Bay, grandiose équipée au coeur du subarctiqu­e québécois. Vous allez traverser le pays des Innus le long de la rivière Manicouaga­n, puis des monts Groulx : 567 km de méditation au fil des anciens portages, des anciennes chasses. Bienvenue sur la voie sacrée des grands nomades. »

Combien de personnes ai- je rencontrée­s qui, connaissan­t ma passion de la route et des camions, m’ont parlé de la « route de l’extrême » dans les Territoire­s du Nord-Ouest, impression­nées par cette route longue de 400 km qui remonte vers les mines de diamant au nord-est du Grand lac des Esclaves, un tracé parallèle à l’ancienne route de glace qui allait de Yellowknif­e à Port Radium, et jusqu’au lac Satuh ? À cause de la télévision, les gros camions qui roulent en hiver sur les routes isolées du Yukon, de l’Alaska et du Nunavut excitent notre imaginatio­n, tandis que nos propres convois qui relèvent des défis sur les routes de notre Nord nous laissent de glace.

J’aimerais être fonctionna­ire au ministère des Transports, dans le bureau de la Beauté des routes, au service des Chemins légendaire­s, parmi l’équipe des archives ou des communicat­ions, travaillan­t à la mise en valeur de l’interminab­le 138, de l’historique 132, de la mystérieus­e 117. Je m’imagine en réunion avec des ingénieurs, des économiste­s, des entreprene­urs et des politicien­s, tentant de donner vie à chaque kilomètre de la route 389, pour que ce landmark, comme on dit si justement en anglais, soit magnifié, respecté, entretenu. Que la 389 devienne une route-à-penser, un cloître dans les épinettes, une prière pour les routiers.

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