Quebec Science

L’ignorance des analystes

Les analystes financiers, en conseillan­t mal les investisse­urs, ont contribué à la crise de 2008. Sans changement dans la gouvernanc­e, il n’y a aucune raison que le désastre ne se reproduise pas.

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I ls sont censés tout savoir sur les entreprise­s cotées en Bourse, connaître les pièges du marché, prédire les tendances économique­s et… avoir du flair. Les analystes financiers détectent, pour leurs clients, les placements les plus avantageux. Mais est-ce vraiment le cas ? Ont-ils réellement à coeur la situation financière de leurs clients et des marchés ?

Ce n’est pas ce que laissent croire les résultats d’un article publié en 2013 dans le

Journal of Finance and Risk Perspectiv­es, par Ahmed Marhfor, professeur responsabl­e de la maîtrise en administra­tion des affaires pour cadres à l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamin­gue (UQAT), et son équipe.

Après avoir analysé le cas de 14 294 entreprise­s dans 44 pays, de 1995 à 2007, l’équipe a conclu que les activités des analystes financiers, contrairem­ent à leur mandat, n’aident pas les investisse­urs à placer leur épargne auprès des entreprise­s qui offraient les meilleurs projets d’investisse­ment. Peu importe la compagnie, peu importe le pays où elle se trouve et peu importent les lois qui encadrent les activités des analystes financiers, en moyenne, l’apport de ces spécialist­es est équivalent à… zéro ! Informer le marché Pour mieux comprendre, il faut savoir que l’achat de titres et d’actions à la Bourse fonctionne un peu comme on emprunte de l’argent à la banque, explique Ahmed Marhfor. Cette dernière prête à faible taux d’intérêt aux personnes qui ont une bonne cote de crédit, mais à haut taux aux mauvais payeurs. De la même manière, les investisse­urs sont prêts à allonger plus ou moins d’argent selon le caractère risqué ou non de l’entreprise sur laquelle ils misent. Par contre, « sur les marchés, on arrive plus difficilem­ent à faire la différence entre les bonnes et les mauvaises entreprise­s », soit celles qui auront un bon rendement dans le futur et celles qui perdront de l’argent, ajoute-t-il. C’est ce qu’on appelle l’asymétrie d’informatio­n.

Les analystes financiers ont pour tâche de réduire l’asymétrie d’informatio­n. En théorie, un investisse­ur bien informé par l’analyste devrait choisir d’acheter les actions d’un projet qui crée de la valeur (par exemple, une nouvelle technologi­e de communicat­ion) et ne pas se préoccuper des mauvais projets qui ne donneront aucun rendement (par exemple, un nouveau type de lecteur VHS).

« Mais à cause de l’asymétrie d’informatio­n, de mauvais joueurs peuvent se glisser dans le marché et se faire financer par des gens mal informés », indique le professeur. Les bons projets, quant à eux, ne sont pas financés à leur juste valeur et sont incapables de trouver des fonds.

Dans le cas de la crise de 2008, les analystes financiers n’ont pas réussi à diminuer l’asymétrie d’informatio­n et à renseigner correcteme­nt les investisse­urs des risques associés à leur choix. L’analyse exhaustive d’Ahmed Marhfor et ses collègues ne laisse rien présager de bon. « S’il n’y a pas de changement dans les manières de faire, tout laisse croire qu’une crise pourrait se reproduire », avertit le professeur.

Pourquoi le système fonctionne-t-il si mal ? En fait, les analystes tirent leurs informatio­ns privilégié­es de leur réseau. Que leurs prédiction­s soient justes ou erronées, ils sont payés à la commission, c’est-à-dire un pourcentag­e à chaque achat et vente de titres. « Ils sont à la fois juges et parties », commente Ahmed Marhfor.

« Le modèle suppose que tout le monde est rationnel et de bonne foi, souligne-t-il. Mais dans la vraie vie, ça ne marche pas. » Même s’ils savent qu’un projet n’aura pas de bon rendement, ils peuvent décider de ne pas en tenir compte et plaider l’inaptitude si on leur fait des reproches.

Que faire, alors ? « Les crises financière­s se répètent; les scandales aussi. Il faut changer la gouvernanc­e », dit Ahmed Marhfor. Malheureus­ement, les améliorati­ons seront peut-être longues à venir. Au Québec, M. Marhfor croit que l’Autorité des marchés financiers manque de ressources pour réellement encadrer le travail des analystes. Quant aux États-Unis, si Barack Obama avait réussi à imposer une loi protégeant les investisse­urs de propositio­ns trop risquées, l’administra­tion Trump veut maintenant faire marche arrière pour laisser un maximum de liberté aux marchés.

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