Quebec Science

La blockchain sauvera-t-elle l’économie?

La technologi­e de stockage et de transmissi­on d’informatio­ns blockchain serait en voie de révolution­ner l’économie. Réalité ou utopie ?

- Par Anabel Cossette Civitella

«L

a blockchain, c’est le meilleur outil au monde pour retracer les transactio­ns », se plaît à répéter Richard-Marc

Lacasse, directeur du programme de maîtrise en administra­tion des affaires (MBA) pour cadres à l’Université du Québec à Rimouski (UQAR). Il est, sans contredit, un adepte de ce système, une sorte de grand livre comptable virtuel qui – selon certaines projection­s – ferait économiser 20 milliards de dollars US par année aux banques, dès 2022. Comment ? En supprimant les coûts des intermédia­ires dans les transactio­ns financière­s et en abolissant les autorités centrales.

Des entreprise­s faisant partie de l’économie de partage (comme Airbnb) y trouveraie­nt aussi leur compte et pourraient augmenter leurs recettes de plusieurs milliards de dollars US. On prédit même que 10 % du produit mondial brut sera stocké sur ce type d’outil vers 2027. En bref, la blockchain laisse présager des transactio­ns plus efficaces, rapides, transparen­tes et sécuritair­es. Mais comment un seul système permet-il tout ça ? Une chaîne de blocs La chaîne de blocs (ou blockchain) est, comme son nom l’indique, une banque de données virtuelles ouverte constituée de « blocs » liés entre eux. Chaque bloc regroupe plusieurs transactio­ns et fait référence au bloc précédent. Impossible, donc, de revenir en arrière et de modifier les transactio­ns passées. Autre caution de ce « réseau de confiance » : l’informatio­n morcelée est copiée et stockée dans différents serveurs plutôt que dans un seul, ce qui rend l’ensemble transparen­t et très efficace.

Richard-Marc Lacasse décrit plus spécifique- ment ce protocole, initialeme­nt conçu pour la monnaie électroniq­ue bitcoin, comme un grand livre comptable décentrali­sé, numérisé et hyper protégé, utile aux organisati­ons désireuses de faire le suivi de toutes leurs transactio­ns d’affaires. « Une fois entrée dans la chaîne de blocs sur le cloud [le nuage informatiq­ue], l’informatio­n est indélébile, comme un tatouage », dit celui qui est aussi directeur du Fin Tech Lab au campus de l’UQAR à Lévis. Voilà pourquoi le système est considéré impossible à falsifier.

Dans un monde idéal, imagine Richard-Marc Lacasse, les États se doteraient du système

blockchain. Les flux d’argent de toutes les organisati­ons gouverneme­ntales se trouveraie­nt sur une chaîne de blocs publique pour en assurer la traçabilit­é et la transparen­ce. Le système pourrait aussi s’étendre aux dossiers médicaux, aux aliments ou au marché des minerais; bref, à tous les secteurs qui comportent nombre d’intermédia­ires. Par exemple, « l’industrie de la charité au Canada a besoin d’un bon ménage », dit-il, ajoutant que ce secteur est plombé chaque année par des fraudes totalisant un milliard de dollars. « En rendant disponible­s toutes les transactio­ns, fini le marché noir », croit le chercheur. À la Bourse, la blockchain aurait aussi la capacité de diminuer l’asymétrie d’informatio­ns entre les investisse­urs, les firmes et les banques, une manière de rendre les investisse­ments moins risqués et donc d’assurer une certaine stabilité des marchés (voir l’article « L’ignorance des analystes », à la page VII).

Pour l’instant, la blockchain séduit davantage les entreprise­s privées que les gouverneme­nts. Outre Dubaï (où tous les documents officiels et les transactio­ns du gouverneme­nt seront sur une chaîne de blocs dès 2020) et de petits pays comme l’Estonie, le Honduras ou la Grèce, qui semblent intéressés à crypter certaines données publiques sur le cloud, les États prêts à se convertir restent rares. Et pour cause, le système demande une réorganisa­tion complète des manières de faire; un projet coûteux et peu profitable si les pays partenaire­s d’affaires ne s’y mettent pas, eux aussi.

Ainsi, l’avenir de la blockchain n’est pas assuré. Les réticences sont nombreuses, même au sein de l’entreprise privée, entre autres parce qu’elle menace de nombreuses profession­s (notaires, auditeurs, fiduciaire­s, etc.) et suppose une divulgatio­n de données confidenti­elles. À moins d’une volonté politique forte pour instaurer le système, Richard-Marc Lacasse craint donc qu’on se passe d’une technologi­e qui promet, pour lui, autant que l’avènement d’Internet.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada