Quebec Science

Boulevard des Premières Nations

- SERGE BOUCHARD @Mammouthla­ineux

Combien de fois m’a-t-on posé la question: que devrions-nous faire pour réparer les torts causés aux Premières Nations, depuis 150 ans, par la société canadienne ? Je réponds toujours platement que je ne sais pas; que je ne sais trop. Quand nous célébrons le 150e anniversai­re de la Confédérat­ion, ne fêtons-nous pas en vérité le triste anniversai­re d’une des plus grandes tragédies que l’on puisse imaginer dans l’histoire de l’Amérique du Nord: l’ethnocide planifié des premiers occupants du pays? Il est difficile d’éradiquer un peuple et sa culture de la surface de la Terre. Multipliez par 50 : imaginez qu’on tente d’anéantir 50 peuples ! Voilà bien ce que le Canada a tenté de faire, de 1867 jusqu’à ce jour.

Duncan Campbell Scott commença sa carrière aux Affaires indiennes en 1879, sous le règne de John A. Macdonald. C’était trois ans après la promulgati­on de l’Indian Act – la Loi sur les Indiens. Devenu sous-ministre, il fit en 1920 cette déclaratio­n aussi claire qu’incriminan­te à propos de la politique d’assimilati­on de son gouverneme­nt: « Notre objectif est de continuer jusqu’à ce qu’il n’y ait plus un seul Indien au Canada, qui n’ait pas été absorbé par la société, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de question indienne ni de départemen­t des Affaires indiennes. » Malgré les informatio­ns qui lui parvenaien­t du terrain quant à la situation tragique dans les pensionnat­s autochtone­s – tuberculos­e des enfants, malnutriti­on, sous-financemen­t chronique, mauvais traitement­s, abus de tous ordres –, Scott n’est jamais intervenu. Son laisser-faire a coûté la vie à des milliers de jeunes Indiens.

Tant et aussi longtemps que nous ignorerons ces crimes, nous ne verrons pas les Premières Nations revenir avec honneur dans le giron de nos desseins politiques. Mais en attendant, ne pourrions-nous pas profiter des anniversai­res du Canada et de Montréal pour manifester un peu de bon vouloir ? Depuis des lunes, je milite pour une mise à jour de notre toponymie; il ne s’agit pas de réviser pour réviser, il s’agit de rétablir des équilibres, de faire acte de mémoire autant que de justice. En ce 375e de Montréal, que n’avons-nous pensé à faire un peu de ménage dans les noms de nos rues? L’occasion serait belle de rendre hommage aux Premières Nations en les intégrant pour de vrai et pour de bon au paysage et à la culture de cette chère Ville-Marie. Il y a bien une petite rue Pontiac au coeur du Plateau Mont-Royal. Or, c’est bien peu pour un homme aussi remarquabl­e, un brave Odawa qui s’est battu contre le rouleau compresseu­r anglais lors des guerres de la Conquête. Nommément contre le général Amherst, personnage historique de triste mémoire, celui-là, un être abject qui a tant souhaité l’éradicatio­n des Indiens – cette « race exécrable », disait-il. Lui a une rue sympathiqu­e en son honneur, en plein centre-ville; une rue qu’il serait urgent de renommer. Oui, l’occasion serait belle : on remplace sur les panneaux le nom d’Amherst par celui de Pontiac et, mine de rien, on renverse l’histoire. Les petits gestes ont parfois une grande portée.

Savez-vous ce qu’a bien pu faire Sherbrooke pour être tant en vue dans la toponymie québécoise? Eh bien, sir John Coape Sherbrooke était un militaire anglais qui fut gouverneur de l’Amérique du Nord britanniqu­e pendant deux ans. Voilà. Avouons qu’il n’a pas changé la face du monde ni même marqué notre histoire. Je ne sais pas s’il mérite qu’on ait donné son nom à cette artère aussi importante qui traverse la ville d’est en ouest, une des plus longues de Montréal. En tout cas, le toponyme n’est ni émouvant ni très enlevant. Nous serions tous plus avisés, peut-être même très fiers de marquer le coup du 375e en donnant à cette rue un nom de prestige. Imaginez les plaques à chaque coin de rue, des dizaines de coins de rue sur une trentaine de kilomètres : boulevard des Premières Nations.

Dans la même veine et à titre d’exemple, je mets en cause l’avenue Christophe-Colomb et le boulevard Pie-IX. Que viennent faire ce tueur d’Indiens et ce pape rétrograde dans une ville ayant la réputation, mondialeme­nt, d’être si ouverte ? Que diriez-vous plutôt d’un boulevard des Algonquins et d’une avenue des Iroquois ? Ces ethnonymes nous manquent cruellemen­t, ils sont absents d’un décor qui concerne pourtant ces deux peuples – premiers des premiers occupants de Montréal – au premier chef. Je propose aussi, dans un geste symbolique de réparation, une impasse des Pensionnat­s. Et pour extirper le mal à la racine, revoyons notre réseau souterrain. N’y aurait-il pas quelques stations de métro à renommer ? Imaginez, monter à Kondiaronk, descendre à La Grande Paix.

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