Quebec Science

Du cinéma moléculair­e

- Par Alexis Riopel

La source de rayons X la plus puissante sur Terre filme le mouvement des molécules.

Depuis septembre 2017, des chercheurs se font cinéastes et braquent leur laser sur des virus à l’attaque, des protéines qui se tordent ou des électrons dans une cellule photovolta­ïque. Ils emploient le European XFEL, un laser à électrons libres et à rayons X situé en Allemagne. La machine longue de 3,4 km est la quatrième installati­on du genre, mais la première à véritablem­ent offrir une image en mouvement grâce aux 27 000 flashs de rayons X qu’elle produit chaque seconde sur les échantillo­ns, comparativ­ement à son plus proche concurrent, le laser américain LCLS et ses 120 flashs par seconde.

Les impulsions extrêmemen­t brèves du XFEL – un cent milliardiè­me de seconde – percutent de microscopi­ques cristaux de molécules où la réaction chimique étudiée est en cours. Les chercheurs obtiennent ainsi une multitude d’images et peuvent reconstrui­re les différents stades de la réaction comme s’il s’agissait d’un film. « Avant, on pouvait prendre des images statiques grâce aux rayons X. Maintenant, on peut obtenir des images dynamiques ! explique Sjoerd Roorda, professeur de physique à l’Université de Montréal. C’est la grande puissance du rayonnemen­t qui permet de prendre des images de bonne qualité, malgré la courte durée de la mesure. »

En effet, l’appareil, enfoui quelques mètres sous terre à Schenefeld près de Hambourg, constitue actuelleme­nt la source de rayons X la plus puissante sur Terre. Pour générer ce rayonnemen­t, le European XFEL accélère des électrons jusqu’à une vitesse qui frôle celle de la lumière, avant de les faire slalomer entre des aimants disposés en série. À chaque inflexion, les électrons perdent de l’énergie qu’ils émettent sous forme de rayonnemen­t. Au bout du tunnel, l’appareil se débarrasse des électrons, devenus inutiles, mais émet un puissant faisceau de rayons X.

Toutefois, ce rayonnemen­t est si intense que les échantillo­ns sont pulvérisés immédiatem­ent après chaque lecture. Pour y remédier, des scientifiq­ues développen­t des jets de gouttelett­es qui transporte­nt chaque seconde des milliers de nouveaux échantillo­ns devant le faisceau à mesure qu’ils sont détruits. Pierre Aller, un physicien dépêché par le Royaume-Uni, était chargé de cette tâche. Il avoue que la plateforme a rencontré de nombreux « problèmes de jeunesse » depuis son inaugurati­on, mais conserve son optimisme. Il a accompagné une équipe de l’université d’Oxford, qui espère mieux comprendre la dynamique de la bêta-lactamase, une enzyme liée à la tuberculos­e, afin de combattre sa résistance aux antibiotiq­ues. Ils n’ont pas encore réussi, mais : « On y retourne en juin ! » s’exclame Pierre Aller.

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Les électrons générés par l'injecteur sont accélérés dans un tunnel de 3,4 km.

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