Du cinéma moléculaire
La source de rayons X la plus puissante sur Terre filme le mouvement des molécules.
Depuis septembre 2017, des chercheurs se font cinéastes et braquent leur laser sur des virus à l’attaque, des protéines qui se tordent ou des électrons dans une cellule photovoltaïque. Ils emploient le European XFEL, un laser à électrons libres et à rayons X situé en Allemagne. La machine longue de 3,4 km est la quatrième installation du genre, mais la première à véritablement offrir une image en mouvement grâce aux 27 000 flashs de rayons X qu’elle produit chaque seconde sur les échantillons, comparativement à son plus proche concurrent, le laser américain LCLS et ses 120 flashs par seconde.
Les impulsions extrêmement brèves du XFEL – un cent milliardième de seconde – percutent de microscopiques cristaux de molécules où la réaction chimique étudiée est en cours. Les chercheurs obtiennent ainsi une multitude d’images et peuvent reconstruire les différents stades de la réaction comme s’il s’agissait d’un film. « Avant, on pouvait prendre des images statiques grâce aux rayons X. Maintenant, on peut obtenir des images dynamiques ! explique Sjoerd Roorda, professeur de physique à l’Université de Montréal. C’est la grande puissance du rayonnement qui permet de prendre des images de bonne qualité, malgré la courte durée de la mesure. »
En effet, l’appareil, enfoui quelques mètres sous terre à Schenefeld près de Hambourg, constitue actuellement la source de rayons X la plus puissante sur Terre. Pour générer ce rayonnement, le European XFEL accélère des électrons jusqu’à une vitesse qui frôle celle de la lumière, avant de les faire slalomer entre des aimants disposés en série. À chaque inflexion, les électrons perdent de l’énergie qu’ils émettent sous forme de rayonnement. Au bout du tunnel, l’appareil se débarrasse des électrons, devenus inutiles, mais émet un puissant faisceau de rayons X.
Toutefois, ce rayonnement est si intense que les échantillons sont pulvérisés immédiatement après chaque lecture. Pour y remédier, des scientifiques développent des jets de gouttelettes qui transportent chaque seconde des milliers de nouveaux échantillons devant le faisceau à mesure qu’ils sont détruits. Pierre Aller, un physicien dépêché par le Royaume-Uni, était chargé de cette tâche. Il avoue que la plateforme a rencontré de nombreux « problèmes de jeunesse » depuis son inauguration, mais conserve son optimisme. Il a accompagné une équipe de l’université d’Oxford, qui espère mieux comprendre la dynamique de la bêta-lactamase, une enzyme liée à la tuberculose, afin de combattre sa résistance aux antibiotiques. Ils n’ont pas encore réussi, mais : « On y retourne en juin ! » s’exclame Pierre Aller.