Le système imm unitaire, ce livre ouvert
Les agents infectieux ont façonné notre système immunitaire tout au long de son évolution. Luis Barreiro s’intéresse à cette relation de longue date entre les pathogènes et l’humain.
Luis Barreiro s’intéresse à cette relation de longue date entre les pathogènes et l’humain.
Luis Barreiro analyse l’histoire de l’humanité à travers un filtre singulier, celui du système immunitaire. « J’essaie de comprendre comment il s’est adapté au cours de l’évolution humaine. Nous pensons que les pathogènes ont été à l’origine d’une forte pression sélective », explique le professeur au département de pédiatrie de l’Université de Montréal et chercheur au Centre de recherche du CHU Sainte-Justine. Et quelle pression ! Avant le développement des premiers vaccins à la fin du XIXe siècle et l’avènement des antibiotiques au XXe siècle, l’espérance de vie était considérablement moins élevée qu’elle ne l’est aujourd’hui. Il y a à peine 100 ans, un homme pouvait espérer vivre jusqu’à 50 ans, en moyenne ! « À cette époque, il n’était pas rare de voir des gens mourir des suites de maladies infectieuses à 20 ou 25 ans. Dans la bataille qui oppose les pathogènes et leur hôte, les humains triomphaient moins souvent qu’aujourd’hui », illustre le lauréat de l’édition 2017 du Prix du jeune chercheur de la Société canadienne de pédiatrie pour ses travaux sur la génomique immunitaire et la génétique des populations.
Lutte perpétuelle
Ce qui ne signifie pas que cette lutte soit terminée, bien au contraire. Encore de nos jours, les populations de par le monde sont exposées à une multitude d’agents infectieux qui « façonnent » leur système immunitaire. Par exemple, une personne qui contracte une grippe saisonnière est ensuite immunisée contre la souche qui l’a infectée.
Ces mécanismes d’adaptation laissent des traces lisibles dans les gènes. « À l’aide d’outils d’analyse génétique, nous regardons et identifions les régions du génome qui comportent ces signatures particulières. Cela nous permet de trouver, par exemple, un variant génétique très fréquent dans une population donnée et de le mettre en lien avec des spécificités en matière de réponse immunitaire », expose-t-il.
En 2016, avec des collègues d’universités américaines, il a d’ailleurs mis au jour les gènes responsables d’une telle différence entre les Américains d’origine africaine et ceux d’ascendance européenne. L’étude, publiée dans Cell, conclut que les premiers ont une réponse immunitaire aux infections beaucoup plus forte que les seconds. Pour expliquer ces contrastes, avancent
les chercheurs, il faut remonter à la préhistoire, il y a environ 60 000 ans, après que l’homme moderne eut quitté l’Afrique pour coloniser l’Europe, où les pathogènes étaient moins nombreux et de nature différente.
La forte réponse immunitaire des Afro-Américains a certainement joué un rôle clé dans leur survie. Aujourd’hui, elle n’est toutefois pas toujours avantageuse, puisqu’elle est souvent synonyme d’inflammation disproportionnée. « Plusieurs études épidémiologiques rapportent que les Afro-Américains sont plus susceptibles de développer des maladies inflammatoires et auto-immunes, comme la maladie de Crohn. C’est comme si leur système immunitaire était trop performant; qu’il réagissait excessivement », interprète Luis Barreiro.
Cela étant, dans cette étude, le bagage génétique n’expliquait que 30 % des différences observées. Les 70 % restants sont donc attribuables à d’autres facteurs.
Le statut social, bon pour la santé ?
Toujours en 2016, le scientifique a justement mis le doigt sur l’un de ces facteurs, et pas le moindre : le statut social. Dans une étude publiée par Science, ses collaborateurs et lui ont prouvé que la hiérarchie sociale permet à elle seule de prévoir la nature des réponses immunitaires de macaques femelles, une espèce cousine de l’humain. Placées dans un même environnement, les femelles dominées ont démontré une réaction immunitaire bien plus exagérée que celle des dominantes. Mieux encore, les chercheurs ont manipulé le statut social de leurs cobayes afin de vérifier si leurs réponses s’ajusteraient à leur nouvelle position, ce qui a été le cas !
À terme, ces travaux pourraient notamment aider à mieux comprendre la réaction d’un individu donné à un vaccin. « Est-ce qu’un statut social plus bas nuit à la capacité de produire des mécanismes de défense immunitaire adéquats ? Peut-on ajuster les doses afin de maximiser leur efficacité ? Nous commençons à peine à étudier ces questions », indique-t-il. En parallèle, le chercheur tente aussi d’identifier d’autres mécanismes immunitaires qui diffèrent selon les groupes ethniques. « En ce moment, nous nous intéressons à l’une des rares populations de chasseurs-cueilleurs vivant toujours en Afrique. Nous voulons comparer leur réponse immunitaire à celle de populations qui ont fait la transition vers l’agriculture, un événement évolutif majeur », expose-t-il.
Cette effervescence intellectuelle a notamment valu à Luis Barreiro d’être reconnu comme l’un des 40 chercheurs de moins de 40 ans les plus prometteurs dans le monde en 2014 par la revue Cell. Surtout, elle lui attire de riches collaborations avec des chercheurs comme Jenny Tung, professeure au département d’anthropologie de l’université Duke et coauteure de plusieurs des publications de Barreiro. « En science, il y a des gens qui sont de grands penseurs, mais de petits faiseurs. D’autres, au contraire, adorent les détails, mais sont incapables de saisir le portrait général. Luis est à la fois capable de générer beaucoup d’idées et de les concrétiser », résume-t-elle.