CYCLOPES GÉANTS
Trois immenses télescopes s’apprêtent à faire basculer l’astronomie dans une nouvelle ère.
Trois immenses télescopes s’apprêtent à faire basculer l’astronomie dans une nouvelle ère.
Il y a des domaines où ce n’est pas la taille qui compte. Mais, en astronomie, personne ne le niera : plus le télescope est gros, mieux c’est. Depuis les premières lunettes de Galilée, qui permettaient de grossir les astres environ 10 fois, les astronomes n’ont eu de cesse d’augmenter la dimension de leurs instruments. À ce chapitre, les années 2020 marqueront un tournant, avec l’arrivée de trois télescopes terrestres dits « géants » ou extrêmement grands, d’ores et déjà en construction au Chili et à Hawaï. De quoi voir le ciel 8 000 000 de fois mieux qu’avec la lunette de Galilée !
« Les plus gros télescopes optiques actuels ont un diamètre de 8 m à 10m. Avec les nouveaux télescopes, on atteindra un diamètre d’environ 40 m. Ce n’est peut-être pas évident à comprendre, mais c’est un gain colossal ! En multipliant le diamètre par 4, on collecte 16 fois plus de lumière », explique Olivier Hernandez, directeur des opérations de l’Observatoire du Mont-Mégantic et coordonnateur de l’Institut de recherche sur les exoplanètes à l’Université de Montréal. Or plus on collecte de lumière, plus on peut voir avec précision des objets célestes peu ou pas lumineux, comme les exoplanètes. Les ELT (pour extremely large telescopes) pourront aussi voir très loin… et donc remonter dans le temps. « Ces télescopes devraient aussi nous éclairer sur la formation de l’Univers et des premières galaxies », ajoute l’astronome.
Le secret qui a permis ce bond technique, c’est l’optique adaptative, déjà en place sur les très grands télescopes. Ce système consiste à corriger en permanence les fluctuations de la lumière dues à la turbulence de l’atmosphère terrestre (notamment liées aux masses d’air de température différente), grâce à un ou plusieurs miroirs secondaires déformables qui compensent en temps réel ces distorsions au micron près, en bougeant plusieurs centaines de fois par seconde !
Après de multiples retards et quelques compromis techniques, les choses se concrétisent enfin. Les premières pierres de ces géants sont posées ou sur le point de l’être, leurs miroirs sont en phase de polissage, leurs pièces en cours d’assemblage. Avec des budgets dépassant le milliard de dollars, ces projets colossaux promettent de révolutionner l’astronomie dans les domaines du visible et de l’infrarouge. À côté, même le télescope spatial James-Webb, qui devrait être lancé en 2019, fait presque pâle figure avec ses 6 m de diamètre.
« C’est vrai que les ELT seront meilleurs que James-Webb tant en sensibilité qu’en pouvoir de résolution, grâce à leur taille de loin supérieure. Mais James-Webb aura une meilleure sensibilité dans le domaine infrarouge, ce pour quoi il a été conçu », explique Daniel Rouan, chercheur au pôle Haute Résolution Angulaire en Astrophysique à l’Observatoire de Paris.
Ainsi, les géants ne rendront pas pour autant les « petits » télescopes obsolètes. Le nouvel arsenal permettra en quelque sorte aux astronomes de regarder les mêmes choses avec des filtres différents. « On en fera des utilisations complémentaires. On pourra par exemple repérer les exoplanètes avec de petits télescopes, puis voir si elles ont des atmosphères avec James-Webb, puis confirmer le tout avec les ELT. Il y aura plusieurs niveaux de lecture », explique Olivier Hernandez. Si, avec ça, on ne trouve pas de traces de vie extraterrestre dans la prochaine décennie…