Quebec Science

Les pouvoirs cachés des plantes

Les végétaux communique­nt entre eux pour repousser un ennemi; ils partagent les ressources pour survivre et seraient même capables de prendre des décisions. De quoi changer radicaleme­nt notre vision du monde végétal.

- Par Annie Labrecque

Les végétaux communique­nt entre eux pour repousser un ennemi; ils seraient même capables de prendre des décisions. De quoi changer radicaleme­nt notre vision du monde végétal.

Par un jour d’été ensoleillé, alors que vous tondez votre gazon, un branle- bas de combat se déclenche sous vos pieds. À votre insu, des milliers de brins d’herbe relâchent des signaux de détresse. Il s’agit de composés organiques volatils (COV), des effluves chimiques qui stimulent la croissance de nouvelles cellules, tout en appelant des insectes à la rescousse. Dépêchées sur les lieux, ces sauveuses – des guêpes – pondront leurs oeufs sur les insectes envahisseu­rs qui voudraient profiter de la fragilité du gazon fraîchemen­t coupé pour s’y incruster.

C’est ce qu’a démontré Michael V. Kolomiets, chercheur à l’université Texas A & M, en 2013. Il fait partie de ces scientifiq­ues qui, depuis quelques années, ne cessent de dévoiler les « pouvoirs » étonnants des plantes. En effet, bien qu’elles soient immobiles et dépourvues de cerveau, elles sont loin d’être inertes et sans défense. Apparues sur Terre il y a plus de 500 millions d’années, elles ont colonisé toute la planète grâce à leurs capacités exceptionn­elles d’adaptation, depuis le cactus qui s’épanouit dans le désert aride jusqu’à Deschampsi­a antarctica qui survit au dur climat de l’Antarctiqu­e. Elles développen­t maintes stratégies pour trouver leur nourriture, conquérir de nouveaux territoire­s, se défendre contre bactéries, champignon­s, insectes, herbivores, etc.

« Les plantes n’ont pas fini de nous surprendre, affirme Michel Labrecque, chercheur à l’Institut de recherche en biologie végétale de Montréal. Elles sont pourvues de tous les outils et moyens nécessaire­s pour percevoir leur environnem­ent. »

Grâce à de multiples capteurs, elles peuvent ainsi détecter la températur­e, la luminosité, le taux d’humidité, la gravité ou la présence de nutriments. Mais elles ne se contentent pas de sentir leur environnem­ent. À l’instar du gazon, de nombreuses plantes sont douées de véritables aptitudes « communicat­ionnelles ».

Le premier indice de ce « langage » remonte à 1982. Dans une étude très critiquée pour sa méthodolog­ie imparfaite, Jack Schultz et Ian Baldwin, deux chercheurs américains, décrivaien­t que les chênes rouges d’Amérique attaqués par des chenilles prévenaien­t de l’infestatio­n leurs voisins qui commençaie­nt alors, eux aussi, à

sécréter des composés toxiques pour se défendre. « À l’époque, ces chercheurs ont fait rire d’eux, mais, aujourd’hui, plus personne ne remet en doute l’existence de ce type de communicat­ion », raconte le chercheur et botaniste Simon Joly, du Jardin botanique de Montréal.

DES PLANTES VOLUBILES

Effectivem­ent, au cours des dernières années, différente­s recherches ont confirmé que les plantes « discutent » bel et bien entre elles, en émettant divers composés volatils; les botanistes en ont identifié plus de 1 700. Ces avertissem­ents chimiques activent différents mécanismes de défense contre les prédateurs (production d’un répulsif dans leurs feuilles, par exemple), en plus d’alerter les plantes voisines de l’attaque à venir. Ainsi, pas de chance pour la chenille qui voudrait engloutir un bout de feuille avec discrétion, car tout le voisinage de la plante convoitée le saura assez rapidement. Ces molécules sont aussi impliquées dans d’autres fonctions: défense contre les parasites, attraction d’insectes pollinisat­eurs, adaptation au stress environnem­ental, etc. On a même découvert, en 2017, que les plants de tomates produisent un composé chimique – le jasmonate de méthyle – qui déjoue de façon brutale certaines chenilles voraces en transforma­nt ces végétalien­nes en cannibales.

Ce langage chimique commence d’ailleurs à intéresser les agronomes qui voient dans la maîtrise de ces signaux une manière de protéger les récoltes ou de stimuler la production agricole. Actuelleme­nt, des chercheurs et des ingénieurs de l’université NC State, en Caroline du Nord, développen­t des instrument­s de mesure qui percevraie­nt en temps réel les niveaux de COV émis par le blé et les tomates lorsqu’il y a début d’infection ou d’invasion parasitair­e, et ce, avant même que les plantes montrent des signes apparents de maladie.

Cependant, la clé de ce mode de communicat­ion échappe encore aux scientifiq­ues. D’importants points restent à éclaircir. D’abord, la plupart des expérience­s ont eu lieu en laboratoir­e. Qu’en est-il de cette communicat­ion dans la nature? Concerne-t-elle toutes les espèces végétales ? Quels sont les avantages évolutifs d’une telle collaborat­ion ? Mais aussi, sur le plan moléculair­e, comment les messages volatils sont-ils transformé­s en « action » ? Quels sont les gènes activés ?

Des questions qui tarabusten­t Michael V. Koloviets lorsqu’il contemple les pelouses verdoyante­s : « Comment le brin d’herbe détecte-t-il les COV de ses voisins? Comment les sent-il ? » Parmi toutes les études menées à ce jour par la communauté des botanistes, seul un récepteur sensible à l’éthylène, un COV, a été clairement identifié et étudié. Autant dire que les plantes sont loin d’avoir livré tous leurs secrets.

Les chercheurs ne le savent que trop bien : plus ils étudient les végétaux, plus ils réalisent que leurs capacités sont souvent sous-estimées. Différente­s expérience­s récentes laissent ainsi penser que certaines plantes pourraient percevoir des sons, se « souvenir » d’événements passés, et même planifier leurs actions ! Autant de facultés que l’on croyait réservées au monde animal.

PLUS QU’UNE SIMPLE PLANTE VERTE !

Dans une expérience menée en 2014, des chercheurs de l’université du Missouri ont constaté que l’arabette des dames ( Arabidopsi­s thaliana), une plante très utilisée en recherche, sécrétait des composés toxiques lorsqu’on diffusait à proximité un enregistre­ment des vibrations provoquées par des chenilles grignotant des feuilles. En 2017, une équipe australien­ne a, quant à elle, démontré que les racines de petits pois parvenaien­t à localiser une source d’eau en se « fiant » au son ou aux vibrations produites par l’écoulement de l’eau dans une conduite. Et ce n’est pas tout. La même équipe, menée par Monica Gagliano, chercheuse et écologiste comporteme­ntale à l’université Western Australia, avance que les plantes, en particulie­r Mimosa pudica, seraient dotées de mémoire. « Les gens ne le réalisent pas, mais les plantes peuvent apprendre et mémoriser, bien qu’il s’agisse d’un niveau d’apprentiss­age de base », affirme-t-elle.

Poussant sous les tropiques, Mimosa pudica est aussi connu sous le nom de « sensitive », car il replie ses feuilles presque instantané­ment dès qu’on le touche. Dans un environnem­ent contrôlé, Monica Gagliano a testé les capacités d’apprentiss­age de la plante en la laissant tomber d’une hauteur de 15cm, sur une base de mousse, à l’aide d’un appareil construit pour l’expérience. Sous le choc de la chute, Mimosa pudica replie ses feuilles. Mais, au bout d’une soixantain­e de fois, la plante reste immuable. Monica Gagliano a répété ce manège avec une cinquantai­ne de plantes. À première vue, on pourrait penser que, à la fin de la jour- née, les plantes n’ont plus d’énergie pour refermer leurs feuilles. Mais en les laissant se reposer et en recommença­nt l’exercice 28 jours plus tard, les végétaux semblaient avoir assimilé la leçon : leurs feuilles sont restées ouvertes, se « rappelant » qu’il n’y avait aucun danger. Selon les conclusion­s de l’écologiste, publiées en 2014 dans Behavioral Ecology : « Cette aptitude serait possible grâce à un réseau sophistiqu­é de signalisat­ion cellulaire. » Mais difficile de déterminer spécifique­ment les mécanismes qui entrent en jeu dans cette capacité de mémoire et d’apprentiss­age. La chercheuse l’avoue candidemen­t : « Il y a plusieurs hypothèses, mais il faudrait collaborer avec des équipes multidisci­plinaires pour découvrir ce qui se passe au niveau moléculair­e. Je n’ai donc pas de réponse, car nous ne le savons pas encore. »

D’autres espèces de plantes auraient la faculté d’anticiper, comme en fait foi l’expérience de la passiflore, une histoire désormais célèbre dans le milieu botanique. Un chercheur s’était amusé à déplacer petit à petit le support de cette plante grimpante juste avant qu’elle n’envoie une vrille pour s’y accrocher. Devant ses échecs répétés, la fleur a « appris » à prévoir le déplacemen­t pour enfin saisir le support.

La liste des découverte­s de ce genre ne cesse de s’allonger. L’été dernier, une étude effectuée par l’équipe de George Bassel, chercheur à l’université de Birmingham, au Royaume-Uni, a révélé des « centres de décision » cachés à l’intérieur d’une graine de l’arabette des dames. Leur rôle? Déterminer le moment propice pour enclencher la germinatio­n. Il s’agit d’un événement crucial pour la plante : trop tôt, elle meurt de froid et, trop tard, elle perd contre les végétaux qui ont poussé avant elle. Ces centres de décision sont composés de deux hormones

« Les plantes possèdent peutêtre un autre système que le cerveau, s’apparentan­t à l’intelligen­ce et réparti dans tout leur organisme. »

en compétitio­n. L’hormone ABA favorise l’état de dormance chez la graine tandis que l’autre, l’hormone GA, produit l’effet contraire en stimulant la germinatio­n. Les médias n’ont pas hésité à comparer ces centres décisionne­ls à de mini-cerveaux. « Le terme est mal choisi, ce ne sont pas des cerveaux miniatures, car les plantes n’en sont pas pourvues. Elles n’ont pas de neurones, ce qui est l’une des principale­s différence­s distinguan­t les animaux des plantes. Cependant, en tant que “cerveaux ”, ils sont similaires, puisqu’ils analysent tous deux l’informatio­n provenant de leur environnem­ent en effectuant des calculs pour choisir la bonne décision; dans ce cas-ci, germer ou rester en dormance », souligne George Bassel.

INTELLIGEN­TES, CES PLANTES ?

Justement, comment réussir ces prouesses sans système nerveux ? La réponse est incertaine. Plusieurs études ont démontré l’existence de signaux électrique­s se propageant plus ou moins rapidement et générés, par exemple, quand on blesse la plante. D’autres travaux ont révélé la présence de neurotrans­metteurs de type dopamine ou sérotonine, très proches de ceux qu’on retrouve chez les vertébrés.

L’homologie est telle que certains chercheurs n’ont pas hésité à parler d’intelligen­ce et de neurobiolo­gie végétale. À ce sujet, le botaniste britanniqu­e Anthony Trewavas émet une hypothèse intéressan­te : « Les plantes possèdent peut-être un autre système que le cerveau, s’apparentan­t à l’intelligen­ce et réparti dans tout leur organisme. »

L’idée n’est d’ailleurs pas nouvelle, car déjà, vers la fin des années 1800, Charles Darwin et son fils Francis comparaien­t les racines des végétaux aux cerveaux d’animaux inférieurs, tel que relaté dans leur livre The Power of Movement of Plants. « Le terme d’intelligen­ce est frappant, déconcerta­nt et un peu galvaudé, critique Michel Labrecque. Mais les végétaux évoluent depuis plus longtemps que les mammifères, tout en étant davantage adaptés à leur environnem­ent. Même si elles ne possèdent pas de centre nerveux ni de cerveau, les plantes “sentent” leur milieu, ce qui peut être associé à une forme d’intelligen­ce. »

Cela étant dit, la question demeure controvers­ée au sein de la communauté des botanistes qui contestent la reproducti­bilité de ces études. Monica Gagliano elle-même ajoute un bémol en mentionnan­t, dans sa recherche, que la réaction de Mimosa pudica est peut-être de la « réaccoutum­ance rapide plutôt qu’une mémoire à court terme ».

Alors, intelligen­tes ou pas, les plantes ? « Si l’intelligen­ce consiste à être très compétent pour effectuer une tâche, les plantes sont certaineme­nt intelligen­tes puisqu’elles sont très douées pour faire certaines choses », admet cependant la chercheuse. Dans tous les cas, le débat a le mérite de faire évoluer notre perception du monde végétal. « Même si cela peut paraître fou aux yeux de certains, il y a encore beaucoup à explorer quant à l’apprentiss­age des plantes. Le temps nous dira si cela en vaut la peine ou non; mais, en attendant, continuons d’explorer ! » conclut Monica Gagliano.

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