Bouillon de culture
Autrefois, les arts n’avaient pas leur place à l’université. Le réseau de l’Université du Québec a renversé la tendance et a ainsi offert un tremplin à de nombreux artistes. Une audace qui se renouvelle encore aujourd’hui, alors que la culture numérique c
Autrefois, les arts n’avaient pas leur place à l’université. Le réseau de l’UQ a renversé la tendance.
Il y a un peu de l’Université du Québec (UQ) dans les succès remportés par le film Blade Runner 2049 de Denis Villeneuve, la série de livres jeunesse Amos Daragon de Bryan Perro, les personnages truculents du village de Saint-Élie-de-Caxton du conteur Fred Pellerin ou bien dans les spectacles à saveur scientifico-humoristique de Boucar Diouf. Leur point commun? Ils ont tous profité de l’influence du réseau de l’Université du Québec qui a joué un rôle prépondérant dans le déploiement de la culture québécoise. Il est difficile d’en prendre la mesure aujourd’hui, mais les différentes formes d’art n’étaient guère présentes dans le réseau universitaire, il y a 50 ans.
« Dans les années 1970, la culture n’était pas prise au sérieux dans l’enseignement supérieur. La création de l’UQ a ouvert la porte à de nouvelles disciplines : la musique, le théâtre, la danse, les objets numériques et j’en passe », rappelle Michel Umbriaco, professeur au département d’éducation de la Télé-université (TÉLUQ). Le changement ne s’opéra pas toutefois du jour au lendemain et il faudra attendre les années 1990 pour voir poindre une réelle effervescence culturelle dans les galeries d’art, les salles de spectacle et les espaces de création disséminés dans les établissements du réseau.
« Pour les artistes et les chercheurs, cela signifie une grande diversité de lieux d’expérimentation et de création où on peut entendre, présenter et diffuser leurs recherches. Pour le grand public, cela signifie un réseau d’espaces et de plateformes où l’on peut accéder facilement à la culture », résume Louis Jacob, sociologue et professeur à l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Il cite en exemple la galerie d’art intégrée à l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC)
d’où a émergé un noyau d’artistes qui ont désormais leurs ateliers aux alentours, ou encore la galerie de l’UQAM, qui présente des créateurs de tous les horizons, dont David Altmejd, artiste visuel renommé dont les sculptures baroques, souvent peuplées de loups-garous, fascinent et intriguent le public.
Chaque établissement de l’UQ devient ainsi un pôle d’attraction qui resserre les liens entre les chercheurs, les artistes, les techniciens et la communauté locale. Cette proximité génère à la fois de grands projets, comme la construction de portraits régionaux de médiation culturelle, mais aussi des initiatives avant-gardistes comme « Wikipetcia » la version atikamekw de l’encyclopédie en ligne Wikipédia. Nathalie Casemajor, professeure spécialiste des médias numériques au Centre Urbanisation Culture Société à l’Institut national de la recherche scientifique (INRS), et Karine Gentelet, professeure de sociologie à l’Université du Québec en Outaouais (UQO), ont accompagné la communauté atikamekw qui voulait diversifier les images illustrant sa nation, contenues dans Wikipédia. Les plus récentes photos dataient des années 1970 ! « Ce projet a d’abord été initié par la communauté, à l’école secondaire Otapi à Manawan. Nous sommes arrivés par la suite pour l’aider à aller plus loin avec le côté technique de la plateforme. Maintenant, ce sont les membres de la communauté qui ont pris le relais », explique Nathalie Casemajor. Le but de ce projet était de donner une visibilité à cette communauté, mais aussi de susciter l’intérêt des jeunes envers leur propre culture. L’encyclopédie devient ainsi un outil complémentaire à la transmission orale des savoirs.
OSER LA DIFFÉRENCE
Si l’Université du Québec continue d’être si proche du milieu culturel, c’est peut-être que, tel un artiste, elle ose se redéfinir. « Je pense que ça aurait été impossible pour une institution publique de survivre si elle n’avait pas constamment innové. C’est une université qui le fait tout le temps et qui crée sans cesse de nouveaux programmes », déclare le sociologue Louis Jacob.
Un bon exemple: le baccalauréat en bande dessinée de l’UQO, seule formation de ce type offerte en Amérique du Nord, et ce, depuis 1999. L’instigatrice de ce programme, Ginette Daigneault, professeure en arts visuels, avait senti l’intérêt de plusieurs de ses étudiants envers ce qu’on appelle maintenant le neuvième art. Pourtant, il y a 20 ans, il fallait de l’audace pour lancer un tel programme, alors que la BD québécoise en était à ses premiers balbutiements et que le métier de bédéiste était considéré comme peu sérieux. « Il y a encore certains préjugés face à la profession, mais ça s’atténue. L’existence d’une formation universitaire et la recherche effectuée en BD au Québec aident à corriger cette perception »,
La création de l’UQ a ouvert la porte à de nouvelles disciplines : la musique, le théâtre, la danse, les objets numériques et j’en passe. – Michel Umbriaco, professeur à la TÉLUQ
indique Sylvain Lemay, directeur du programme en bande dessinée.
« Évidemment, ça ne prend pas un baccalauréat en BD pour travailler dans ce domaine, poursuit-il. Auparavant, ceux qui avaient une affinité avec cette forme d’art devaient passer par des études en design, en graphisme ou en arts. » Pendant leur formation, les étudiants sont plongés dans le milieu, côtoyant déjà des bédéistes professionnels tels que Philippe Girard, Réal Godbout ou Iris. Signe de la popularité du médium, une bibliothèque consacrée exclusivement à la bande dessinée québécoise est née entre les murs de l’UQO. Le Festival de BD à Gatineau, piloté par Sylvain Lemay, est venu tout naturellement s’ajouter à l’offre culturelle de la région.
L’Université du Québec a aussi été témoin de l’arrivée des nouvelles technologies qui ont bouleversé l’écosystème culturel : Internet, mobilité, réseaux sociaux et jeux vidéo. Depuis 2014, ces derniers font d’ailleurs partie de l’offre de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT) qui promeut un baccalauréat entièrement consacré à la création de jeux vidéo et offert à son campus de Montréal ! « L’industrie du jeu vidéo et des effets spéciaux est ici dans la métropole. C’était naturel pour nous d’être situés près de l’industrie lorsque nous avons développé cette spécialisation », affirme Simon Dor, responsable du programme à l’UQAT, le premier du genre à être offert au Québec. « Le but n’est pas de former des étudiants uniquement capables d’appuyer sur un bouton. Nous voulons qu’ils puissent penser au-delà de l’aspect technique du travail », explique Simon Dor. Il ne s’en cache pas, la recherche universitaire sur l’univers du jeu vidéo est encore timide au sein de l’UQAT. Cela ne saurait durer, car les games studies ou « études vidéoludiques » gagnent de plus en plus de scientifiques. L’utilisation massive des jeux vidéo, qui génèrent des profits de plus de 100 milliards de dollars annuellement dans le monde – plus que l’industrie du cinéma –, soulève de nombreuses questions. « Comment le jeu vidéo peut-il nous parler de notre culture et de nous-mêmes? Est-ce que les gens évoquent les jeux vidéo de la même manière qu’ils discutent d’un film ? »,
se demande Simon Dor qui espère qu’un jour le jeu vidéo soit élevé au statut d’objet culturel au même titre qu’un long métrage ou un livre.
À l’image des jeux vidéo, le reste de l’industrie numérique se développe à une vitesse affolante. « C’est un secteur créatif où la Ville de Montréal, par exemple, se positionne bien à l’international. On sent un intérêt marqué chez les étudiants ainsi que chez les chercheurs envers ces domaines d’études », mentionne Nathalie Casemajor. Par ailleurs, en cette ère où les géants comme Amazon, Netflix, Google et Facebook ont un pouvoir d’action immense, les chercheurs du réseau risquent d’explorer davantage la protection de la diversité culturelle québécoise, selon la chercheuse. Encore une fois, la culture, toujours en évolution, poussera l’UQ à se transformer et à s’adapter. Un trait de caractère qui a fait sa marque au fil du temps. « C’est un acquis extraordinaire et c’est la raison pour laquelle ces 50 années semblent courtes par rapport à l’histoire des autres institutions, mais, à mon avis, c’est le début de bien d’autres réalisations », souhaite Louis Jacob. n