Quebec Science

RÉSURRECTI­ON 2.0

Dans les salles de réanimatio­n, on affine les outils pour arracher les gens à la mort. Parmi les nouvelles tendances: la circulatio­n extracorpo­relle, une manoeuvre audacieuse qui pourrait augmenter le taux de survie.

- Par Joël Leblanc

Dans la salle de choc de l’hôpital, une demi-douzaine de blouses blanches s’affairent comme des fourmis autour d’un patient en arrêt cardiaque. On le dépouille de ses vêtements, on lui masse vigoureuse­ment le thorax, on l’intube, on le branche sur des moniteurs… Inanimé, le teint blafard, il ne perçoit rien de la chorégraph­ie rodée et précise qui se déploie autour de lui. Son cerveau, en manque d’oxygène depuis une dizaine de minutes, ne fonctionne plus. Il n’entend pas les humains qui l’entourent lorsqu’ils lancent « Clear ! », pas plus qu’il ne ressent l’électricit­é qui le parcourt lorsque le défibrilla­teur envoie sans succès les décharges dans sa poitrine.

Cette scène se joue et se rejoue tous les jours dans tous les hôpitaux du monde. « Dès qu’un patient en arrêt cardiaque est amené à l’urgence, on démarre ces procédures, même si on ne connaît pas encore tout le contexte de l’incident ou les antécédent­s du patient; c’est la seule méthode qui a fait ses preuves pour améliorer les chances de survie », expose Alain Vadeboncoe­ur, l’urgentolog­ue bien connu des Québécois.

Le but du massage cardiaque est de prendre le relais du coeur et de rétablir un minimum de circulatio­n dans l’organisme. Les compressio­ns régulières du thorax font aussi entrer et sortir de l’air des poumons, ce qui contribue à l’oxygénatio­n du sang. « Un massage bien mené permet de fournir au cerveau environ 30 % de l’oxygène qu’il reçoit normalemen­t, indique Alain Vadeboncoe­ur. C’est peu, mais c’est beaucoup mieux que rien du tout. »

Contrairem­ent à ce qu’on voit parfois au cinéma, le massage, à lui seul, ne peut pas redémarrer un coeur défaillant; il permet seulement de limiter les dégâts au cerveau où, pendant ce temps, des milliers de neurones meurent par manque d’oxygénatio­n.

« Notre deuxième outil efficace, continue l’urgentolog­ue, c’est le défibrilla­teur. Quand ça marche, le choc qu’il produit remet les cellules du coeur au pas pour qu’elles se contracten­t à nouveau en cadence et que le pouls redevienne régulier. »

Deux outils? C’est tout? « Oui, confirme Alain Vadeboncoe­ur. On injecte par ailleurs systématiq­uement de l’adrénaline, puis de l’atropine ou de l’amiodarone, selon les cas, en se convaincan­t qu’on aide plus qu’on nuit, mais nous n’avons aucune preuve de leur effet. On serait dus pour de nouvelles trouvaille­s afin d’accroître la proportion des réanimatio­ns réussies chez les patients qui ont subi un arrêt cardiaque hors de l’hôpital. » Un taux qui avoisine les 2 % à 5 % selon lui, mais qui atteindrai­t les 10 % à 15 %, selon les statistiqu­es officielle­s de certains hôpitaux. « Tout dépend de la façon dont on sélectionn­e les patients inclus dans ces statistiqu­es », nuance-t-il.

Une manoeuvre audacieuse pourrait toutefois changer la donne : l’oxygénatio­n par membrane extracorpo­relle, aussi appelée ECMO (de son acronyme anglais Extracorpo­real Membrane Oxygenatio­n). Cette technique est habituelle­ment réservée aux interventi­ons de chirurgie cardiaque. Elle consiste à faire circuler le sang du patient à l’extérieur de son corps grâce à une pompe et à l’oxygéner au passage, avant de le renvoyer dans l’organisme. Deux grosses canules sont insérées au niveau des aines du patient, dans l’artère et la veine fémorales. L’une pour la sortie du sang, l’autre pour le retour. Perfection­nés et miniaturis­és, ces appareils peuvent désormais être posés rapidement, y compris en situation d’urgence.

« Lorsqu’on branche un patient sur ce système, on peut arrêter le massage cardiaque et ça enlève un peu de pression pendant que l’on continue à travailler pour redémarrer le coeur », explique Alexis Cournoyer, jeune urgentolog­ue à l’Institut de cardiologi­e.

Autre avantage de l’ECMO, il est possible de refroidir le sang avant de le retourner dans le corps, ce qui permet d’abaisser rapidement la températur­e du patient et, par conséquent, de ralentir le métabolism­e du cerveau. « On descend de quelques degrés seulement, jusqu’à 34 °C par exemple », continue Alexis Cournoyer. Ainsi, on fait d’une pierre deux coups : on fournit de l’oxygène au cerveau, et on l’oblige à le consommer plus lentement.

La technique ECMO n’est toutefois pas courante en réanimatio­n d’urgence. « À l’Institut, 14 patients en avaient bénéficié à la mi-2016. Six ont survécu et sont neurologiq­uement indemnes; huit sont décédés », précise Alain Vadeboncoe­ur. Pour le moment, aucun protocole officiel ne dicte l’utilisatio­n de l’ECMO. Dans les salles de choc, on procède donc avec prudence en l’appliquant seulement aux patients de moins de 65 ans, n’ayant aucun problème de santé important et chez qui on a commencé un massage cardiaque de façon ininterrom­pue moins de cinq minutes après l’arrêt du coeur. Autre condition : leur coeur ne pompe toujours pas après trois défibrilla­tions. On le comprend, la manoeuvre n’est pas anodine et comporte sa part de risques.

« De plus, il faut être au bon hôpital, au bon moment, ajoute Alexis Cournoyer, car la procédure requiert du personnel spécialisé, comme un perfusionn­iste. Si cette stratégie commence à se répandre dans les services d’urgence du monde, il faut souvent s’en passer, faute de thérapeute­s compétents. À peu près tous les hôpitaux sont équipés du matériel nécessaire, mais l’équipe d’ECMO n’est pas disponible en permanence à l’urgence. »

D’autant que ceux qui arrivent à l’urgence en état d’arrêt cardio-respiratoi­re sont loin d’être tous éligibles, en raison du manque de continuité des soins lors du transport jusqu’à l’hôpital. Pas facile, en effet, de maintenir un massage cardiaque efficace dans une ambulance en mouvement ou sur une civière qu’on descend par un escalier. La solution ? Un masseur artificiel, c’est-à-dire un piston mécanique installé sur une civière qui appuie vigoureuse­ment sur le thorax de la victime à une cadence soutenue, sans fatigue. À Vancouver, un essai clinique est en cours dans lequel on a entraîné des ambulancie­rs à repérer les cas pouvant bénéficier de l’ECMO et à utiliser sur ces patients le masseur artificiel. On espère ainsi tripler les taux de survie à la suite d’un arrêt cardiaque.

Encore mieux, pourquoi ne pas apporter l’ECMO directemen­t sur les lieux du drame ?

C’est ce que font désormais les médecins secouriste­s, à Paris, après avoir testé avec succès le dispositif au cours d’un projet-pilote sur 156 victimes de crise cardiaque réfractair­e (sans reprise de pouls après 20 minutes). En 2017, les résultats ont été publiés, montrant que 29% des victimes étaient sauvées, contre 3 % de celles ne bénéfician­t pas de l’ECMO. Fortes de ce succès, les équipes du SAMU (Service d’Aide Médicale Urgente) ont déjà commencé à former leurs homologues ailleurs en France et dans le monde.

Si ces résultats demandent à être confirmés par d’autres études, ils rejoignent ceux que l’on observe lorsque l'ECMO est utilisée à l’hôpital. Plusieurs études ont démontré que, dans ces cas, les taux de survie oscillent entre 20 % et 30 %, soit le double de ce qui est atteint sans cette méthode.

Voilà de quoi donner espoir aux médecins et aux ambulancie­rs qui, chaque année au pays, tentent de ressuscite­r 45 000 victimes d’arrêts cardiaques.

De 20 à 30%: taux de survie des victimes d‘arrêt cardiaque ayant bénéficié de l'ECMO à l‘hôpital.

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Alain Vadeboncoe­ur

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