Quebec Science

Voyage au crépuscule de la mort

Alors que l’on croyait les défunts dénués de toute forme de vie, voilà que de curieux mécanismes biologique­s se mettent en branle plusieurs heures après l’ultime souffle. La mort serait-elle vraiment le dernier acte ?

- Texte: Laurie Noreau Illustrati­on: Cornelia Li

Fabrice Chrétien a cherché des sources de cellules souches partout: autant dans le tissu musculaire que dans le sang de cordon ombilical. Chaque fois, la quantité extraite était décevante aux yeux de ce pathologis­te qui consacre ses recherches à la thérapie cellulaire. Son dernier espoir : les cadavres. Le premier mort à se retrouver dans son laboratoir­e de l’Institut Pasteur, en France, avait rendu l’âme quatre jours auparavant. Le processus de décomposit­ion était déjà entamé et le cadavre ne montrait, en toute logique, aucune trace de vie. Du moins, en apparence.

En observant le tissu musculaire du défunt au microscope, le chercheur a senti un long frisson lui parcourir l’échine. « On avait des milliers de cellules vivantes provenant d’un cadavre bel et bien mort », prend-il la peine de préciser, sans relever la contradict­ion. Les cellules en question étaient justement des cellules souches, connues pour leur capacité à se différenci­er afin de devenir n’importe quel type de cellules. Sous sa lentille, elles continuaie­nt à se multiplier avec vigueur. Bouleversé, le chercheur dépose alors la boîte de Pétri, convaincu qu’il n’a pas pris la bonne.

Ses expérience­s subséquent­es, notamment sur un cadavre de 17 jours, lui donneront finalement raison, en dépit du scepticism­e de ses collègues. La mort n’est pas l’absence de vie, du moins, pas au niveau cellulaire. « J’ai découvert des choses incroyable­s qu’on ne soupçonnai­t même pas, car, pendant longtemps, on n’a rien voulu connaître de ce qui se passait après la mort », remarque Fabrice Chrétien qui a publié ses travaux en 2012 dans la revue Nature Communicat­ions

et qui s’attelle, depuis, à décortique­r les mécanismes permettant à des cellules de défier la mort.

En montrant que la vie ne s’éteint pas d’un coup, une fois le rideau tombé, cette découverte fortuite a, en quelque sorte, ouvert un nouveau champ de recherche: celui de la biologie post mortem qui sonne comme une promesse d’immortalit­é.

« On tente constammen­t de repousser les frontières de la mort », remarque Céline Lafontaine, professeur­e de sociologie à l’Université de Montréal et auteure de La société postmortel­le : la mort, l’individu et le lien social à l’ère des technoscie­nces. « On ne voit plus la mort comme un phénomène ou un instant, mais comme un processus, poursuit-elle. On croit que, si on comprend les mécanismes de la mort, on peut les inverser, alors que la mort est inévitable, innée à l’organisme. »

L’ANGLE MORT DE LA RECHERCHE

Fabrice Chrétien n’a pas pour objectif de ressuscite­r les défunts. Mais il pourrait bien avoir trouvé un moyen de guérir certains patients, en dénichant une source inespérée de cellules souches capables de régénérer les tissus malades.

Il faut dire que sa trouvaille est déstabilis­ante. En théorie, impossible en effet pour une cellule de survivre plus de quelques minutes dans un corps sans vie (voir l’encadré à la page 21). Mais les cellules souches des morts, elles, ont un don : celui de pouvoir survivre en l’absence d’oxygène. Cette aptitude serait propre aux cellules souches situées dans les muscles ainsi que celles de la moelle osseuse, responsabl­es de la production des cellules sanguines, comme l’a démontré Fabrice Chrétien par la suite.

En fait, ces cellules adoptent un état de dormance après le décès de leur propriétai­re, en se débarrassa­nt d’une partie de leurs mitochondr­ies. Ces centrales énergétiqu­es produisent généraleme­nt des radicaux dangereux dans un environnem­ent anoxique. En agissant ainsi, les cellules souches évitent de s’intoxiquer.

Comme des animaux qui entrent en hibernatio­n, elles réduisent leur métabolism­e au minimum. À la grande surprise de Fabrice Chrétien, les cellules souches prélevées et conservées dans un environnem­ent exempt d’oxygène sont capables de conserver cet état de dormance plusieurs semaines, voire des mois. « On pensait que seules les bactéries pouvaient survivre sans oxygène », s’exclame le chercheur.

Quand les circonstan­ces redevienne­nt favorables, c’est-à-dire en les mettant en présence d’oxygène, elles reprennent leur différenci­ation cellulaire. « C’est leur mécanisme de protection, constate Fabrice Chrétien. Elles ne savent pas que l’organisme est mort, mais elles savent qu’elles se trouvent dans des conditions extrêmemen­t hostiles. »

Les tissus post mortem constituer­aient-ils une manne pour la thérapie cellulaire ? « On pourrait effectivem­ent régler le problème de l’accessibil­ité », confirme le pathologis­te qui a déposé un brevet protégeant les applicatio­ns de cette découverte.

BELLES ENDORMIES

Cela étant, il n’y a pas que les cellules souches qui survivent à leur hôte. Les autres cellules seraient, elles aussi, le siège d’une activité post mortem. En 2017, le microbiolo­giste Peter A. Noble a, à son tour, surpris la communauté scientifiq­ue en publiant, dans la revue Open Biology, des preuves de la réactivati­on de gènes chez des souris et des poissons-zèbres jusqu’à quatre jours après la mort. « La mort est un phénomène violent. Pourtant, il semble qu’il y ait des gènes qui en font fi et qui continuent leur travail comme si tout était normal », s’exclame ce chercheur de l’université Washington, un des rares à étudier la vie dans les cadavres. Il qualifie de « crépuscule de la mort » cette zone grise d’environ 96 heures suivant le décès.

C’est initialeme­nt pour tester un nouvel outil de mesure de l’activité des gènes qu’il s’est penché sur des bestioles sans vie, avec l’idée qu’il n’y aurait justement rien à mesurer. Le principe consiste à quantifier les ARN messagers, c’est-à-dire les copies de gènes qui sont traduites en protéines, pour connaître l’activité génétique. Sans surprise, 99% des gènes diminuaien­t ou

s’éteignaien­t dans un intervalle de 30 minutes suivant la mort. Mais un sursaut de vie était clairement visible, plus de 24 heures après la venue de la grande faucheuse, pour 1% du génome, soit environ 500 gènes! De quoi piquer la curiosité du chercheur. Parmi ces increvable­s, une vingtaine étaient liés à l’immunité et à l’inflammati­on. Une réponse « prévisible », selon Peter A. Noble, puisque ces gènes poursuivai­ent le même rôle que de leur vivant : veiller à la réparation et la conservati­on du corps.

Parmi les gènes refusant de capituler, certains se sont révélés plus surprenant­s. Ceux liés au développem­ent embryonnai­re, par exemple, qui se taisent habituelle­ment après la naissance. Pourquoi ce regain de vie tardif ? Selon le chercheur, les conditions cellulaire­s de la mort pourraient s’apparenter à celles du développem­ent de l’embryon. En effet, après la mort, l’homéostasi­e de l’organisme est perturbée par la rupture des cellules alors que chez l’embryon, la régulation des fonctions biologique­s n’est pas encore achevée. Dans les deux cas, ces gènes liés au développem­ent tenteraien­t d’établir un équilibre dans l’organisme.

Mais ce sont les gènes associés au cancer qui ont le plus secoué le professeur Noble. Ceux-ci semblent renaître de leurs cendres par dizaines 24 heures après le décès, puis s’éteignent à jamais.

Voilà qui pourrait expliquer pourquoi, dans 2 % des cas, les greffés du foie développen­t des cancers à la suite de la transplant­ation. Peter A. Noble estime qu’il est important de vérifier si ce phénomène existe chez l’humain, puisque la plupart des prélèvemen­ts d’organes ont lieu durant ces 24 heures critiques. « Les poissons-zèbres et les souris ont sensibleme­nt la même structure organique que nous, alors on peut penser que le même processus a lieu chez l’humain », estime le microbiolo­giste.

DES CADAVRES ET DES HOMMES

La mort pourrait-elle rendre service à la médecine? Ce ne serait en tout cas pas la première fois. Historique­ment, les cadavres ont toujours été d’une aide précieuse pour les médecins. « Il a fallu franchir le tabou de la mort pour qu’il y ait autorisati­on de dissection afin d’apprendre tout ce qu’on sait maintenant en anatomie », rappelle Gilles Bronchti, responsabl­e du départemen­t d’anatomie de l’Université du Québec à Trois-Rivières où des dizaines de corps aboutissen­t chaque année à des fins de recherche et d’enseigneme­nt.

Sauf que, logiquemen­t, la science s’est attelée à expliquer pourquoi les individus étaient condamnés à mourir plutôt qu’à comprendre comment la vie s’éteint, cellule par cellule.

« Il y a beaucoup de recherches pour garder les gens en vie le plus longtemps possible, mais très peu sur le phénomène de la mort, constate Peter A. Noble. Si d’entrée de jeu, nous avions voulu faire une recherche sur la mort, plutôt que sur notre outil génétique, nous n’aurions pas eu de financemen­t. En étudiant la mort, nous pouvons pourtant en apprendre beaucoup sur la vie. »

Le chercheur qui, ironiqueme­nt, évolue dans le départemen­t des sciences de la vie, est conscient que de telles découverte­s peuvent s’avérer déstabilis­antes pour le commun des mortels. En effet, il peut être difficile de réconcilie­r l’idée que

des centaines de gènes et des milliers de cellules s’activeront encore en nous alors que nous aurons passé l’arme à gauche. « Souvent les scientifiq­ues n’osent pas parler de leurs recherches, car ils craignent d’endormir leur auditoire. Dans mon cas, j’ai plutôt peur que les gens se sauvent en courant en entendant parler de ces cellules zombies », rigole-t-il.

Cela étant dit, Peter A. Noble croit qu’en poursuivan­t l’exploratio­n des mécanismes de la mort, cela pourrait permettre de mieux l’accepter. « Nous sommes à la fois fascinés et apeurés parce que c’est l’inconnu. Les gens ne voient pas le lien étroit entre elle et la vie », estime-t-il. Cette proximité ne devrait toutefois pas remettre en cause la définition de la mort.

« Pour moi, un individu décède quand son cerveau ne fonctionne plus, qu’il est en mort cérébrale. Ce n’est pas pour autant celle des cellules et des organes », nuance Fabrice Chrétien.

Ces récentes découverte­s pourraient-elles tout de même faire de nous des êtres éternels ? « Il est possible que certaines cellules vivent pour toujours ce qui nous procurerai­t, en effet, une certaine immortalit­é », avance Peter A. Noble qui espère lever le voile sur ce mystère en créant un départemen­t des sciences de la mort.

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Le chercheur Fabrice Chrétien a découvert que des cellules souches continuent de se multiplier après la morttant chez les humains que chez les souris. Ici, une cellule souche (en jaune) de muscle squelettiq­ue, prélevée chez une souris, migrant sur une...
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