Éditorial
Des chercheurs de l’Alberta ont ressuscité le virus de la variole équine. Une étude troublante qui soulève d’importantes questions éthiques.
L’histoire s’apparente à la prémisse d’un scénario hollywoodien : à l’aide de fragments d’ADN achetés sur Internet, deux scientifiques recréent en laboratoire la variole équine et en publient la « recette », ainsi disponible pour quiconque voudrait reproduire la forme humaine du virus qui a tué près de 300 millions de personnes avant d’être éradiqué en 1979. Malheureusement, cela n’a rien d’une histoire de science-fiction : en janvier dernier, deux virologues de l’université de l’Alberta ont publié dans PLOS One une telle feuille de route.
Personne ne les a arrêtés. Ni le comité d’éthique de leur établissement, ni l’Organisation mondiale de la santé (OMS) où ils ont présenté leurs travaux en 2016, ni le comité de révision de la revue savante, ni les autorités des agences canadiennes de la santé publique et d’inspection des aliments que les chercheurs disent avoir consultées… La variole a pourtant tué plus de personnes que toutes les autres maladies infectieuses réunies.
À l’heure où le bioterrorisme est considéré comme une menace grandissante et où les risques de pandémie n’ont jamais été aussi élevés, comment est-il possible qu’aucune de ces entités n’ait davantage contesté la pertinence de ces travaux, et ce, en dépit des avertissements lancés par de nombreux experts en biosécurité ?
Les scientifiques albertains ont concédé que leur recherche tombait dans la catégorie du « dilemme du double usage », c’est-à-dire qu’elle peut être utilisée pour faire le bien comme le mal. Évidemment, à leurs yeux, ils poursuivent un noble objectif : concevoir un meilleur vaccin contre la variole et explorer une technologie qui pourrait les aider à produire des vaccins anticancéreux. Cela dit, leurs arguments tiennent difficilement la route. Le vaccin antivariolique a fait ses preuves. Pourquoi en produire un autre, surtout lorsqu’on ne recommande plus l’immunisation systématique de la population ? Parce que l’étude est financée par une compagnie pharmaceutique, Tonix, qui espère commercialiser le futur vaccin.
Par ailleurs, sous le vernis des bonnes intentions des chercheurs se cachent des détails inquiétants qui ont émergé à la faveur du travail de journalistes américains. Le chercheur principal, David Evans, n’avait pas besoin de recréer le virus en laboratoire puisqu’il existe un spécimen dans les congélateurs des Centers for Disease Control and Prevention. Il a même demandé à l’obtenir, pour ensuite abandonner sa requête, jugeant que ce virus n’aurait pas été aussi efficace pour mettre au point un vaccin sécuritaire, d’où le besoin d’en synthétiser un de toutes pièces. Mais est-ce vrai ? Rien ne le prouve. Qui plus est, le doute est permis; car David Evans a admis qu’il souhaitait prouver au monde que la synthèse de la variole équine était faisable. C’est ce qu’il a affirmé, selon des témoins, pendant une réunion du comité consultatif de l’OMS de la recherche sur le virus variolique où il siégeait en compagnie d’un autre chercheur qui a présidé le comité de révision de la revue PLOS One. Ce même comité qui a approuvé unanimement la publication de l’étude, alors que les revues Science et Nature Communications l’avaient refusée.
Cette saga soulève d’importantes questions qu’on ne peut plus ignorer. La science ne pourrait évoluer sans la liberté académique, soit. Mais doit-on tout publier ? Y a-t-il des cas extrêmes où l’on doit tracer une ligne rouge ? Si oui, qui est responsable ? Ne devrait-on pas réfléchir à des mécanismes d’approbation et de surveillance qui impliqueraient à la fois les universités, les gouvernements, les organismes de subvention de la recherche, les journaux scientifiques, les organisations internationales et le privé ? Trouver des réponses à ces questions est drôlement plus urgent que de mettre au point un nouveau vaccin contre un virus qui a disparu il y a 40 ans.
Doit-on tout publier ? Y a-t-il des cas extrêmes où l’on doit tracer une ligne rouge ?