Une controverse nourrie au lait
Quand sa présidence prendra fin, il ne restera plus beaucoup de boîtes dans lesquelles Donald Trump n’aura pas donné de coup de pied. Tenez : même l’allaitement y est passé, quand son administration a bloqué dans un forum international une motion en faveur de l’allaitement — alors qu’on peine franchement à imaginer M. Trump avec un biberon dans les mains.
Il s’est alors passé une chose étonnante : au milieu du concert de critiques antiTrump, quelques voix (crédibles) ont profité de la controverse pour dénoncer la « dictature » de l’allaitement naturel. La promotion du lait maternel va-t-elle trop loin ?
Les études et les autorités médicales sont, disons-le, très nombreuses à recommander l’allaitement exclusif jusqu’à six mois. C’est le cas des ministères de la Santé du Québec et du Canada, de même que de l’Association américaine de pédiatrie entre autres. Au chapitre des avantages, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) rapporte une protection contre l’obésité et une légère augmentation des capacités cognitives de l’enfant.
À la vue de la masse d’expertises, on se demande comment il peut encore rester matière à controverse…
En fait, une grande partie de l’« opposition » − les guillemets sont impor- tants parce que personne n’est vraiment contre l’allaitement − vient de gens, comme la blogueuse scientifique américaine Kavin Senapathy, qui trouvent qu’on devrait laisser une plus grande liberté de choix à la mère. Et il est vrai que la décision d’allaiter a des conséquences pour la mère, sur son sommeil en particulier.
D’ailleurs, dans une lettre publiée en 2016 dans JAMA Pediatrics, des médecins mettaient en garde contre les « répercussions imprévues » de l’application rigide des lignes directrices relatives à l’allaitement. Par exemple, une mère trop fatiguée risque de s’endormir avec son bébé naissant, ce qui contrevient aux recommandations en matière de sécurité.
Mais il y a plus. Les études qui appuient l’allaitement naturel sont presque toutes des « études observationnelles », considérées comme moins solides que les essais cliniques en bonne et due forme. Les risques de biais sont du reste admis dans ces travaux.
Par exemple, les chercheurs se sont rendu compte que, dans les pays développés, les mères qui allaitent sont en moyenne plus instruites, ont un quotient intellectuel plus élevé et stimulent davantage leur nourrisson. Alors, si leurs enfants sont plus brillants, est-ce vraiment grâce au lait maternel ou est-ce plutôt parce que le QI est en grande partie héréditaire, en plus d’être influencé par l’environnement social?
Il n’est pas facile de démêler toutes ces variables. Dans la revue de l’OMS, les études qui en tiennent compte, tant bien que mal, ont trouvé que les avantages de l’allaitement étaient moins marqués sur les plans des capacités cognitives (+2,2 points de QI contre +3,5 pour les études de moindre qualité) et de la prévention de l’obésité (-12 % contre -24 %), et le document avertit que des biais peuvent demeurer.
Il est évident que l’allaitement doit être le premier choix. De toute manière, on ne risque rien à essayer la voie la plus naturelle − les seins ont évolué pour ça, après tout. Mais dans la mesure où les bienfaits semblent relativement modestes, il faut admettre que ceux qui demandent de ne pas confondre « premier choix » et « seule voie acceptable » ont peutêtre un point valable… D’ailleurs, c’est ce que laisse entendre le Collège royal des sages-femmes, au Royaume-Uni, qui, en juin 2018, annonçait que « la décision d’allaiter ou non est un choix personnel et doit être respectée ». Assiste-t-on à un retour du pendule ?