La mer à boire
Une jeune entreprise sherbrookoise relève le défi de produire de l’eau potable à partir des vagues de la mer.
L’eau qui se fracasse sur les rivages fascine Dragan Tutic´ lors d’un voyage en Corse en 2012. Il se pose alors une question : si l’énergie des vagues permet de produire de l’électricité et que cette dernière est parfois utilisée pour dessaler l’eau de mer, pourquoi ne pas se servir directement de la houle pour obtenir de l’eau potable ?
De retour au Québec, il mobilise d’autres étudiants autour de cette idée dans le cadre d’un projet au baccalauréat en génie mécanique à l’Université de Sherbrooke. L’équipe teste un prototype aux îles de la Madeleine. « Ce n’était pas aussi concluant qu’on le souhaitait, mais on croyait toujours au potentiel de l’appareil », raconte l’ingénieur.
Il fonde ensuite avec Renaud Lafortune Oneka Technologies, accueillie par l’Accélérateur de création d’entreprises technologiques de son université. Le duo, qui jusque-là n’avait pas le pied marin, décide de repenser à zéro un système plus simple et plus économique que le prototype initial, sans huile ni moteur, et avec trois fois moins de pièces.
En 2016, pour tester sa technologie, la jeune pousse multiplie les allers-retours entre Sherbrooke et Scarborough Beach, dans l’État du Maine. Puis, l’année suivante, un centre permanent de tests est implanté à Fort Pierce, en Floride. La mer s’y apparente à celle des Caraïbes, où l’entreprise lorgne des marchés.
La moitié de la dizaine d’employés d’Oneka Technologies y déménage pour peaufiner un prototype installé à trois kilomètres du rivage. « Si quelque chose est inadéquat, la mer va vous le dire », assure Dragan Tutic´. À force de réglages, la structure de l’unité est renforcée : elle résiste à des vagues de 3,5 m et produit chaque jour 10 000 l d’eau potable.
En décembre 2017, les deux cofondateurs l’ont poussée aux limites de ses capacités dans le simulateur de houle MaRINET2, de l’École centrale de Nantes. Les données amassées là-bas leur permettent désormais de modéliser les opérations sur ordinateur de façon à prédire la production d’eau potable et la résistance selon le régime des vagues d’un endroit donné. La modélisation permet également de mieux adapter la machine aux conditions de la mer en évaluant l’effet de modifications de la masse, la géométrie ou la grosseur de certaines pièces.
Oneka Technologies espère séduire un premier utilisateur commercial cette année avec des parcs de plus de cinq unités. Elle regarde du côté des établissements touristiques côtiers confrontés à un approvisionnement en eau potable instable ou à des coûts onéreux. L’entreprise naissante évalue que, une fois son système implanté, l’eau potable produite coûterait jusqu’à cinq fois moins cher que celle fournie par certains services publics en milieux insulaires. En outre, l’invention pourrait éventuellement combler les besoins des collectivités côtières isolées, voire de gens sinistrés à la suite d’ouragans. Avec un système tout-en-un, indépendant de tout carburant, « un mécanicien automobile serait surqualifié pour faire la maintenance de notre appareil », déclare Renaud Lafortune.
De quoi anticiper une nouvelle vague dans la production d’eau potable.