VISITE CHEZ LES RECYCLEURS OFFICIELS
Au bout d’une courte rue industrielle de Salaberry-deValleyfield, je vois poindre les installations d’eCycle Solutions, un recycleur certifié par l’ARPE. Le directeur du développement des affaires pour le Québec et l’Atlantique, Marc Brunette, m’ouvre grand sa porte. On pourrait même parler de six portes, celles qui, au bout de l’usine, laissent passer les cargaisons de matériel électronique des Québécois.
Le long d’une chaîne de production où s’activent quelques employés au son d’une chanson des Cowboys fringants, d’immenses boîtes en carton s’alignent. Mon hôte se penche sur l’une d’elles, pleine de tablettes et de téléphones cellulaires. « Ça, c’est un chiard à recycler », lance-t-il en songeant sans doute à la ribambelle de minuscules pièces qui constituent ces appareils.
Il faut savoir que les recycleurs sont surtout des « désassembleurs »… et des
« répartiteurs » en chef. « On s’appelle “recycleurs”, mais en fin de compte personne au Canada ne complète tout le processus jusqu’à pouvoir réutiliser la matière. On est des “défabricants” ! Mais on n’a rien d’une cour à scrap. Toute notre procédure est documentée. » Résultat : 98 % des matières qui passent ici serviront, à terme, à la fabrication d’autres produits.
Le niveau de « défabrication » varie selon l’appareil. Les ordinateurs portables sont ainsi démontés manuellement jusqu’à de très petits composants faits de métaux précieux. Les différents recycleurs les expédient vers des fonderies, dont la Fonderie Horne, à Rouyn-Noranda, ou d’autres, aux États-Unis et au Japon notamment, qui partagent les revenus avec les recycleurs. On dit d’ailleurs souvent que les centres de recyclage de déchets électroniques s’apparentent à des gisements : la concentration de cuivre ou d’or, par exemple, y est plus élevée que dans les mines.
Les pièces en plastique, comme les boîtiers, sont mises en ballots et envoyées principalement à des fonderies de plastique en Asie. « Il y a des compagnies au Québec et aux États-Unis qui en prennent certains ; quand c’est possible, on leur en envoie », indique Marc Brunette. Rares sont les entreprises d’ici qui réutilisent les plastiques usagés dans leurs propres produits.
Les appareils électroniques qui ont peu de valeur, comme les imprimantes et les consoles de jeux vidéos, sont passés entiers dans une déchiqueteuse, un type d’appareil qu’aucun établissement québécois ne possède à notre connaissance – eCycle Solutions intervient à cette étape dans une usine soeur à Toronto. Cette immense machine taille en morceaux les appareils et trie ensuite les différentes matières grâce à des champs magnétiques et à des séparateurs optiques. Le résultat de ce déchiquetage est moins pur que par désassemblage manuel, mais trouve sa place dans les fonderies de plastique et de métaux.
Ce sont essentiellement les mêmes pratiques que me décrit Bruce Hartley, vice-président au développement des affaires chez GEEP, à Laval, une autre entreprise certifiée par l’ARPE qui démantèle aussi toutes sortes d’équipements sous mes yeux. À l’entrée, la machine distributrice qui propose gratuitement des masques, des lunettes et des gants aux travailleurs plutôt que des barres de chocolat rappelle que les appareils électroniques ne sont pas inoffensifs pour la santé (voir l’encadré ci-contre). Les équipements personnels de protection sont obligatoires ici, tout comme chez eCycle Solutions.
Un exemple de produit dangereux ? Les écrans cathodiques. Ils contiennent deux types de verre, dont l’un est contaminé au plomb, une concentration qui peut aller jusqu’à 80 %. Une fois dépouillés de leur coquille, ils parviennent sur un tapis roulant dans une pièce isolée où des employés en salopette orange séparent les deux types de verre et retirent le métal à l’intérieur du tube cathodique. Le verre plombé doit être traité par une entreprise spécialisée, qui facture des frais.
Autre matériel délicat : les écrans à cristaux liquides et leurs tubes fluorescents contenant du mercure. Ils partent également vers une entreprise spécialisée. « C’est pour cette raison que les écofrais sont plus élevés pour une télévision que pour un cellulaire ou un ordinateur », explique Bruce Hartley, qui travaille dans le secteur depuis 20 ans.