ÉTATS-UNIS: LES SCIENTIFIQUES SE LANCENT EN POLITIQUE
Excédés par le climat qui règne aux États-Unis, un nombre record de professionnels des sciences et des technos se présentent aux élections de mi-mandat.
Un nombre record d’entre eux se présentent aux élections de mi-mandat.
Joseph Kopser projetait de faire le saut en politique. Mais pas tout de suite. Pas à 47 ans, au faîte d’une carrière florissante comme entrepreneur dans le domaine des technologies. Le climat politique aux États-Unis ne lui a toutefois pas laissé le choix. « Je ne peux plus rester sur les lignes de côté. Il y a trop de problèmes à régler, plus particulièrement celui de la rhétorique antiscience qui perdure et nuit à l’avenir de notre pays. Je veux faire partie d’une nouvelle génération de leaders qui gouvernera en fonction des faits et des résultats de la recherche, et non selon la partisanerie et la petite politique », déclare cet ingénieur en aérospatiale qui briguera le siège de représentant du 21e district du Texas au Congrès américain le 6 novembre prochain.
Il fait partie d’une vague sans précédent de candidats ayant fait carrière en science et en technologie qui se présentent aux élections de mi-mandat 2018 sous la bannière démocrate. Certains visent le Sénat ou le Congrès, d’autres convoitent un mandat de gouverneur ou de législateur dans leur État ou encore souhaitent représenter une instance locale.
Ces scientifiques partagent à peu près tous les mêmes motivations à se lancer dans l’arène politique − et elles ne manquent pas. « Contrairement à ce qu’on pourrait croire, les faits alternatifs, les coupes dans les budgets de recherche et l’ignorance érigée en vertu n’ont pas commencé avec Donald Trump ; il est davantage un catalyseur », affirme Shaughnessy Naughton, présidente de 314 Action, un comité d’action politique qui vise à soutenir les candidatures scientifiques. Cette chimiste a elle-même tenté sa chance aux élections de 2014 et de 2016, sans succès, d’où sa volonté d’aider ses collègues.
Ce n’est effectivement pas le président Trump qui a poussé Joseph Kopser à se présenter devant ses concitoyens, mais bien Lamar S. Smith, un républicain réélu à la tête de son district sans interruption depuis 1987. Climatosceptique notoire, M. Smith n’en préside pas moins le Comité sur la science, l’espace et la technologie de la Chambre des représentants depuis 2012. Il a annoncé qu’il ne solliciterait pas de nouveau mandat, mais cela ne change rien aux aspirations de Joseph Kopser. « Contrairement aux Lamar S. Smith de ce monde, les gens ayant une formation en science ont beaucoup à apporter au gouvernement : nous aimons résoudre des problèmes et nous les abordons sans idée préconçue ; nous sommes dotés d’un excellent esprit critique ; et nous aimons jongler avec les données. »
Il est vrai que ces candidats nouveau genre apporteraient du sang neuf sur la scène politique fédérale américaine, où le profil des élus est relativement homogène. « Habituellement, au Congrès et surtout au Sénat, on trouve des hommes blancs, âgés, issus de professions libérales, surtout des avocats », note Vincent Boucher, chercheur en résidence à l’Observatoire sur les États-Unis de la Chaire Raoul- Dandurand en études stratégiques et diplomatiques, à l’Université du Québec à Montréal. Bon nombre de femmes, de membres des minorités visibles et de jeunes figurent parmi les scientifiques mobilisés.
Sauront- ils convaincre les électeurs de voter pour eux en novembre ? « Posséder de multiples diplômes universitaires n’est pas un gage de victoire, rappelle Vincent Boucher. Cela peut même nuire aux candidats, puisqu’ils sont associés à l’élite. »
Voilà pourquoi Joseph Kopser raffine son message pour mieux répondre aux préoccupations des électeurs, surtout quand il parle de science. « Si je dois convaincre des vétérans de l’armée de la réalité des changements climatiques, je vais leur rappeler que des fermiers du Moyen-Orient abandonnent leurs terres en raison des mauvaises condi-
tions météorologiques et, pour subvenir aux besoins de leur famille, s’engagent dans les troupes de l’État islamique. Autrement dit, je leur fais comprendre que la lutte contre les changements climatiques est aussi une question de sécurité nationale, un sujet qui les touche de près. »
Cette stratégie semble plaire, car Joseph Kopser a remporté haut la main la campagne d’investiture de son parti, dans son district, en mai dernier. Malheureusement, peu de candidats scientifiques peuvent en dire autant : seulement une douzaine d’entre eux ont survécu à la saison des primaires, ce processus au cours duquel les partis politiques désignent leurs candidats.
Décrocher un poste électif à Washington n’est pas une mince affaire. En plus du soutien du parti, les candidats doivent jouir d’un vaste réseau de relations et surtout engranger des centaines de milliers, voire des millions de dollars, pour financer leur campagne. Tout cela faisait défaut aux perdants des primaires. « Les scientifiques sont rompus à la sollicitation de subventions, mais ils n’ont pas l’habitude de passer six ou sept heures par jour au téléphone pour obtenir du financement de la part de philanthropes ou d’organisations politiques », remarque Vincent Boucher.
Et ceux qui ont gagné leur course à l’investiture ne sont pas au bout de leur peine, car presque tous affronteront un républicain sortant lors du scrutin général. « Le taux de réélection est très élevé aux États-Unis, souligne le politologue. Il est estimé à 90 % chez les membres du Congrès et à 80 % au Sénat. »
Même s’il fait campagne dans un district acquis au camp républicain, Joseph Kopser ne perd pas espoir. « Cela n’est pas mon premier “rodéo”, comme on dit ici, au Texas. Le chaos et l’ambiguïté d’une course électorale me rappellent ce que j’ai vécu dans le monde de l’entrepreneuriat, de même qu’en situation de combat », estime celui qui a servi pendant 20 ans au sein de l’armée américaine.
Dans tous les cas, Shaughnessy Naughton espère non seulement faire élire un maximum de scientifiques, mais surtout décrocher une majorité démocrate au Congrès afin de faire barrage à Donald Trump d’ici les prochaines élections présidentielles, en 2020. « Il le faut, car je ne pourrai pas tolérer deux années de plus de cette administration », soupire-t-elle.