Quebec Science

Le sport pour mettre les villes en valeur

Le professeur André Richelieu étudie comment la réputation d’une ville ou d’un pays peut se faire (et se défaire) grâce au sport.

- Par Marie Lambert-Chan

New York a les Yankees, le Madison Square Garden et le US Open. Londres a le Chelsea, l’Arsenal et Wimbledon. Montréal a les Canadiens, la Coupe Rogers et, quoi qu’on en pense, le Stade olympique. Depuis plusieurs années maintenant, l’image d’une destinatio­n passe entre autres par le sport, qu’il s’agisse d’organiser une manifestat­ion d’envergure comme les Jeux olympiques ou de devenir le domicile d’une équipe reconnue. Même les contrées moins développée­s s’y mettent, tel l’Azerbaïdja­n qui, pour séduire les touristes, accueille un Grand Prix de formule 1 depuis 2016.

Miser sur le sport pour asseoir sa renommée peut s’avérer une excellente idée, mais aussi, parfois, une catastroph­e. À ce sujet, on se souviendra de l’échec retentissa­nt de la course de formule E qui s’est tenue à Montréal en 2017. Comment les décideurs peuvent-ils y voir plus clair ? André Richelieu, professeur à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) , a analysé une centaine d’études scientifiq­ues et pratiques pour en tirer une stratégie qui a fait l’objet d’une publicatio­n l’automne dernier dans la revue Sport, Business and Management. Il nous en livre ici les grandes lignes. Vous observez depuis plus de 15 ans le monde du sport. Au cours de cette période, comment les villes et les pays ont-ils utilisé le sport pour accroître leur visibilité ? À une époque pas si lointaine, le sport n’était que du sport : un match, des spectateur­s, des hot-dogs. Aujourd’hui, le sport est une expérience. On le voit par exemple à Las Vegas, où les matchs des Golden Knights sont ponctués de spectacles à grand déploiemen­t. Ce qui demeure, toutefois, à travers le temps, c’est le caractère rassembleu­r du sport. Voilà pourquoi les villes et les pays utilisent le sport pour attirer des touristes et se mettre en valeur sur la scène internatio­nale. Cela s’opère grâce aux rendez-vous sportifs, mais aussi aux ligues. Depuis les années 1980, la NBA [National Basketball Associatio­n] a travaillé très fort pour se faire connaître en Chine. Résultat, ses matchs y sont désormais six fois plus populaires que les trois plus importants championna­ts

de soccer européen réunis. Des Chinois voyagent d’ailleurs aux États-Unis juste pour assister à des parties de basket.

Que proposez-vous aux gouverneme­nts qui désirent accueillir des épreuves sportives pour redorer leur image ?

Je ne veux pas donner l’impression que c’est une recette, car chaque cas demeure particulie­r. Mais de manière générale, tout doit démarrer par une vision à long terme où l’on pense à léguer un héritage socioécono­mique à la population. Cela signifie que le sport n’est pas une finalité, mais un moyen pour améliorer les conditions de vie des habitants. Ainsi, à Singapour, la piste du Grand Prix de formule 1 est un circuit routier utilisé toute l’année par les citadins. En Pologne, en 2012, à l’occasion du Championna­t d’Europe de soccer, le gouverneme­nt a investi davantage d’argent dans les routes, les autoroutes et les tramways que dans les stades. On a aussi construit une voie rapide pour réduire la durée du trajet entre la Pologne et l’Allemagne. Dans ce cas-ci, ce fut bon à la fois pour la population locale et pour les acteurs économique­s.

Malheureus­ement, il arrive encore trop souvent qu’on se concentre sur le côté « bling-bling » d’une rencontre sportive. La suite se révèle affligeant­e. À Athènes, il pousse des oliviers sur des terrains neufs qui n’ont servi qu’aux compétitio­ns de baseball et de softball aux Jeux olympiques de 2004. À Rio, le mythique stade Maracaña est laissé à l’abandon. C’est sans parler de Sotchi, une ville désertée après que la Russie y a dépensé 55 milliards de dollars américains pour les Jeux d’hiver de 2014.

C’est en raison de ces coûts exorbitant­s que les candidatur­es n’affluent pas au Comité internatio­nal olympique. Le jeu en vaut-il vraiment la chandelle ?

Organiser de grandes manifestat­ions sportives vaut la peine pour les villes et les pays qui ont une faible notoriété sur la scène internatio­nale. Cela leur permet de se « mettre sur la carte ». C’est également ce que recherchen­t des pays qui ont des desseins politiques et qui, à ces fins, instrument­alisent le sport, quitte à le vampiriser. Je pense notamment à la Russie et au Qatar.

Parallèlem­ent, un mouvement émerge à travers l’Europe et l’Asie : des population­s refusent d’accueillir les Jeux olympiques parce qu’elles estiment le retour trop faible. Et elles ont raison. Prenez seulement la Coupe du monde de soccer. C’est le pays hôte qui assume entièremen­t les risques sans recevoir de contributi­on équitable de la Fédération internatio­nale de football associatio­n (FIFA) . Ainsi, si une horde de houligans détruisent des installati­ons, la facture est épongée par le gouverneme­nt. À ce chapitre, je crois que Montréal et les autres villes d’Amérique du Nord qui organisero­nt la Coupe du monde de 2026 ont raté une occasion de mieux négocier avec la FIFA. Elles ne sont pas les seules : bien des villes et des pays n’ont pas encore compris qu’ils ont le gros bout du bâton par rapport aux grandes organisati­ons sportives en raison de la rareté des candidatur­es.

Dans votre étude, vous affirmez que les plus petits rendez-vous sportifs, comme les défis cyclistes, sont plus gratifiant­s pour les villes que les gros. Pourquoi ?

Oui, cela semble contre-intuitif, mais pratiqueme­nt toutes les études le montrent. Les petites manifestat­ions sportives impliquent des enjeux politiques moins grands. On se soucie davantage d’utiliser les installati­ons dont on a vraiment besoin. C’est moins grandiose et donc il y a moins d’intrusion de politicien­s, de célébrités et de commandita­ires. À la fin, les bénéfices sont mieux distribués entre toutes les parties prenantes. Mais par-dessus tout, ces rencontres favorisent une réelle participat­ion sportive de la communauté et l’adoption de saines habitudes de vie. C’est l’héritage du sport dans sa plus belle expression. n

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André Richelieu
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