PIMPMONCHAR, VERSION SCIENTIFIQUE
Pourquoi acheter une voiture autonome quand on peut modifier un modèle classique soi-même ?
Le professeur Sousso Kelouwani est assis derrière le volant, mais n’y touche pas. C’est plutôt moi, sur la banquette arrière de la Kia électrique, qui le fait tourner et qui active l’accélérateur ou les freins. Tout cela grâce à une manette de jeu vidéo ! « Ne vous inquiétez pas, je peux désactiver la manette simplement en touchant le volant ou la pédale, me dit le chercheur. Attention au piéton devant ! » Oui, bien sûr !
Son équipe a décidé d’élever cette Kia Soul au rang de voiture autonome. Pour cela, il lui faudra franchir cinq stades. « C’est un peu comme à l’école, il y a différents niveaux, selon les capacités », explique le professeur de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR) (voir l’encadré).
Le premier défi consistait à détourner le système de conduite, c’est-à-dire à le pirater pour pouvoir piloter le véhicule avec la manette de jeu. « C’est l’étape la plus difficile. Les manufacturiers n’aiment pas partager leurs codes, pour des raisons de sécurité. » L’équipe veut ensuite contrôler le véhicule à distance grâce à un ordinateur pour qu’un module autonome remplace ensuite toute intervention humaine.
Vis-à-vis du rétroviseur, une caméra intelligente récemment installée aura pour rôle de surveiller la chaussée, les piétons, les voitures, en plus de lire les panneaux de circulation pour mener les passagers à bon port. Elle dirigera également le circuit du clignotant. Il faudra au total cinq caméras, en plus du lidar, une technologie de télédétection par laser qui « va chercher la troisième dimension » essentielle à la conduite, indique M. Kelouwani.
NAVETTE AUTONOME
Si son équipe accomplit tout ce travail, ce n’est pas parce que nos voitures commerciales devront être modifiées ainsi un jour. « Cela revient beaucoup plus cher que d’acheter un véhicule autonome neuf, assure le professeur. De plus, on viole les garanties… » Mais quel outil pour apprendre !
Le véhicule est destiné à faire la navette entre les campus de Trois-Rivières et de Drummondville (76 km) de l’UQTR dès 2021, si le financement se confirme. Des stations de correction des GPS devront être installées le long de la route 955 pour guider la voiture. « Si vous prenez votre téléphone pour vous géolocaliser, le GPS fait un gros cercle sur la carte. Mais ce cercle couvre les deux voies ! On ne peut pas utiliser cette donnée pour naviguer. Les stations de correction permettent de réduire le cercle. »
La voiture circulera été comme hiver. Car c’est là l’une des spécialités de l’équipe : la conduite autonome hivernale. Les tests réalisés dans le monde se font généralement dans des endroits chauds et secs. La caméra ne voit plus les lignes au sol si la chaussée est enneigée et les flocons viennent perturber les lidars.
Une anecdote survenue à la compétition russe Winter City, en 2019, en dit long sur les enjeux qui subsistent dans les pays nordiques. Au cours de cette activité destinée à faire avancer le domaine, des véhicules autonomes devaient parcourir un trajet de 50 km sécurisé, mais simulant un environnement normal. « Pendant les qualifications, le lidar d’une de nos équipes a flanché quand les températures ont atteint -12 °C, raconte Maria Ulyanova, gestionnaire de projet chez Up Great, qui organisait le concours. Presque tous les développeurs de véhicules autonomes recourent aux lidars, mais ces derniers ne sont pas conçus pour fonctionner en deçà de -10 °C. C’est un véritable défi pour les développeurs. »
Le jour de la finale, la météo était plus clémente. Mais après 30 minutes, le premier bouchon de circulation de voitures autonomes de l’histoire a été enregistré ! Une voiture s’était arrêtée le temps d’analyser un carrefour particulièrement compliqué. « Ce genre d’endroit est difficile à traverser même pour un conducteur expérimenté », souligne Maria Ulyanova. Une autre a voulu la dépasser, mais a stoppé entre les deux voies, bloquant tous les véhicules suivants…
UN MARCHÉ QUI S’OUVRE
Les voitures des niveaux 4 et 5 devraient représenter un marché mondial de 60 milliards de dollars américains en 2030, selon la
firme Statista. Les industries du taxi et de la livraison seront probablement les premières à adopter les véhicules intelligents. Ils coûtent tellement cher qu’ils ne seront pas accessibles à M. et Mme Tout-le-monde de sitôt.
De toute façon, ces derniers ne sont pas prêts ; nombreux sont ceux qui refusent de monter à bord de la Kia trafiquée de Sousso Kelouwani. « Les plus récalcitrants, ce sont les profs qui travaillent eux-mêmes dans les technologies : ils ne veulent rien savoir ! »
Pour que la transition se fasse en douceur, les constructeurs automobiles proposent toujours plus d’options d’aide à la conduite dans les nouveaux véhicules, dit le bras droit de Sousso Kelouwani, Ali Amamou. « Par exemple, le radar de régulation de distance et le système d’évitement de collisions sont offerts pour rassurer le conducteur. En réalité, si l’on additionne toutes les fonctionnalités proposées, on obtient pratiquement un véhicule autonome de niveau 5. »
Les compagnies d’assurance attendent cette nouvelle ère avec impatience, selon Yves Dubé, professeur émérite de l’UQTR et membre de l’équipe. « Il va y avoir moins d’accidents ! » prédit-il. Surtout si vous ne me confiez plus la manette...