LA SCIENCE CONTRE LES RÉUNIONS INEFFICACES
La COVID-19 aura-t-elle raison des réunions improductives ? La crise pourrait fournir de nouvelles données aux chercheurs.
La COVID-19 aura-t-elle raison des rencontres improductives ?
La crise du coronavirus a bouleversé le monde du travail. Confinés à la maison, plusieurs employés en télétravail forcé ont remplacé la salle de conférence par des applications comme Slack, Zoom et Google Hangouts. Les organisations en tireront-elles des leçons pour rendre leurs réunions plus efficaces ? Il serait temps, selon le professeur américain Steven Rogelberg, qui enseigne la psychologie organisationnelle à l’Université de Caroline du Nord à Charlotte. « Ce qui est le plus frappant pour moi, c’est le peu d’appétit qu’ont les organisations pour améliorer leurs réunions », déplore celui qui a signé le livre The Surprising Science of Meetings.
Aux États-Unis, 55 millions de réunions ont lieu quotidiennement. Les employés y passent en moyenne 6 heures par semaine et les gestionnaires 23 ! Si de telles données manquent au Canada, tout porte à croire que le tableau est similaire. Le problème, c’est que, selon certaines estimations, la moitié d’entre elles sont inefficaces aux yeux de leurs participants. La frustration qui en découle a d’ailleurs amené Joseph A. Allen, directeur du Center for Meeting Effectiveness à l’Université d’Utah, à y consacrer sa carrière. « Avec des collègues, on s’est demandé pourquoi on parvenait peu à tenir de bonnes réunions. En scientifiques curieux, on a consulté la littérature et l’on a constaté un grand vide », se rappelle-t-il.
La science des réunions est jeune ; la première étude remonte à 1986. Depuis, à peine plus de 200 articles ont abordé la question. À titre comparatif, Joseph A. Allen cite le domaine du leadership, pour lequel environ 1 000 articles scientifiques ont été publiés… l’an dernier ! Dans une revue de la littérature parue dans Current Directions in Psychological Science, lui et ses coauteurs résument les recommandations de la science pour rendre les réunions efficaces. Parmi elles : envoyer un ordre du jour détaillé, limiter le nombre de participants, respecter le temps alloué et envoyer un compte rendu.
C’est évident, direz-vous. Alors pourquoi ces façons de faire sont-elles si peu adoptées? « Cela demande des efforts et du temps que les organisations n’ont pas l’impression d’avoir », explique le professeur Allen. Selon lui, il faut aussi prévoir plus de formation. Steven Rogelberg ajoute que tout n’est pas aussi intuitif qu’il y paraît. Pour respecter des principes de diversité et d’inclusion, les organisations auront par exemple tendance à inviter plus de participants que moins. Et les deux experts s’entendent pour dire qu’il faut responsabiliser les gens par rapport aux réunions au moyen d’outils de gestion du rendement ou à l’aide de sondages de satisfaction. Des outils efficaces, précise Stéphane Brutus, de l’École de gestion John-Molson de l’Université Concordia. « Les gestionnaires devront noter tous les comportements durant les réunions et donner une bonne rétroaction. » Quant aux sondages, « ce n’est pas un système d’évaluation qui est léger ».
Écouter la science pourrait toutefois s’avérer payant. Selon l’organisme Lucid Meetings, le coût annuel des réunions improductives aux États-Unis pouvait grimper jusqu’à 283 milliards de dollars en 2015. Et il y a plus : « Nos recherches montrent que plus les réunions sont efficaces, plus les employés sont engagés dans leur milieu de travail et cet engagement est directement lié à la performance », illustre Joseph A. Allen.
LA TECHNO, PAS LA PANACÉE
Les technologies utilisées pour tenir des réunions à distance en ces temps de pandémie pourraient-elles améliorer les rencontres professionnelles ? Stéphane Brutus est convaincu que les organisations apprendront de cette période d’expérimentation forcée. Mais pour Joseph A. Allen, qui étudiait déjà la question des réunions virtuelles avant la crise, une mise en garde s’impose. Les résultats préliminaires d’une de ses récentes études indiquent que seules les réunions tenues par vidéoconférence offrent des niveaux d’efficacité et de satisfaction équivalents aux réunions physiques. « Les réunions hybrides, incluant la téléconférence ou des échanges de textos, sont moins efficaces et moins satisfaisantes », mentionne-t-il. Selon lui, si les organisations n’adoptent pas à la base de bonnes pratiques organisationnelles, les mauvaises réunions en personne vont simplement devenir de mauvaises réunions à distance.