Quebec Science

Éditorial

En science, prudence et rigueur sont de mises, et l’urgence provoquée par la crise de la COVID-19 n’y change rien, bien au contraire.

- Par Marie Lambert- Chan

«La vérité est la progénitur­e du silence et de la méditation ininterrom­pue », a écrit Isaac Newton à propos de l’année 1666, période charnière de sa carrière. Alors que la peste noire ravageait l’Angleterre, le physicien vivait confiné dans son village natal de Woolsthorp­e. Pendant ces longs mois d’isolement, il a posé les bases de ses plus célèbres théories, dont la loi sur la gravitatio­n universell­e.

À cette époque comme à la nôtre, la démarche scientifiq­ue demeure un processus lent. Ce n’est pas un caprice : la réflexion, la vérificati­on et la rigueur existent difficilem­ent dans l’urgence. Et ce n’est qu’avec le temps qu’émergent des consensus et des constats solides. Mais comment rappeler l’importance de ces principes cardinaux de la science alors que le coronaviru­s sème la mort et le chaos ? Comment plaider la prudence et la précaution quand on craint pour nos vies et celle de nos proches ? Comment composer avec l’incertitud­e scientifiq­ue lorsqu’il n’y a pas de fin en vue, du moins pas à court terme ?

Ces questions valent à la fois pour le grand public et pour les chercheurs qui, devant l’angoisse collective, ont senti qu’ils ne pouvaient s’offrir le luxe de la contemplat­ion comme a pu le faire Newton il y a près de quatre siècles. Pressés de trouver des réponses, ils publient à un rythme essoufflan­t : entre le 21 janvier et le 11 mai, quelque 13 000 articles ont été écrits, selon COVID-19 Primer, une base de données recensant les études en lien avec la pandémie. Néanmoins, elles ne sont pas toutes d’égale valeur. Environ le tiers sont des prépublica­tions, c’est-à-dire des manuscrits qui n’ont pas été révisés par les pairs, un procédé qui nécessite en temps normal plusieurs semaines, voire des mois. Ces prépublica­tions ont l’avantage de disséminer le savoir rapidement… tout comme les erreurs et les omissions qu’elles comportent. Même si elles ont subi le test d’un comité de lecture, certaines études truffées de faiblesses méthodolog­iques ont réussi à faire leur chemin jusque dans les pages de grandes revues savantes (qui ont d’ailleurs dû procéder à des rétractati­ons depuis le début de la crise). Et dans ce déluge nd de travaux, il y a beaucoup d’observatio­ns parcellair­es et de résultats contradict­oires. Est-ce étonnant ? Pas du tout. C’est la science dans ce qu’elle a de meilleur et de pire. Elle avance à coups d’essais et d’erreurs. Elle s’écrit au conditionn­el présent, refusant des conclusion­s péremptoir­es. Et parfois, elle est victime d’individus souhaitant tirer profit de la situation pour se présenter en sauveurs, quitte à contourner l’éthique et les bonnes pratiques.

Les hauts et les bas de ce processus ne sont généraleme­nt pas visibles pour le public. Mais la crise propulse des données fragmentai­res à l’avant-front, qui sont par la suite traitées comme des vérités absolues par des gens, des médias et des politicien­s impatients de percer les secrets de ce virus élusif. Non seulement cette façon de faire a pour effet de nourrir la panique et la confusion, mais elle pourrait bien retarder des découverte­s dont le monde a désespérém­ent besoin. Ainsi, le battage médiatique autour de l’hydroxychl­oroquine menace des essais cliniques menés sur les divers traitement­s contre le coronaviru­s. Malgré des preuves anémiques, cet antipaludi­que a été tant vanté, d’abord par le médiatique et controvers­é scientifiq­ue français Didier Raoult, puis par les présidents Donald Trump et Emmanuel

Macron, que des chercheurs ont maintenant du mal à recruter des participan­ts pour des essais sur d’autres traitement­s. Faute de volontaire­s suffisamme­nt nombreux, ces travaux pourraient être abandonnés avant même d’avoir commencé.

Appréhenda­nt une crise de confiance à l’égard de la science, le rédacteur en chef de la revue Science, Holden Thorp, a exhorté les chercheurs à ne pas faire de promesses impossible­s à honorer dans des délais réalistes et les politicien­s à ne pas donner de faux espoirs en amplifiant la portée de résultats préliminai­res. « Les conséquenc­es pour la science pourraient être désastreus­es », prévenait-il le 27 mars dernier.

Depuis le début de la pandémie, on répète qu’il faut écouter les scientifiq­ues. Mais suffit-il de les écouter si nous ne prenons pas la pleine mesure des exigences, des écueils et du rythme de la recherche ? Peut-être vaudrait-il la peine d’apprendre à devenir soi-même un peu scientifiq­ue : pratiquer le scepticism­e sain, tolérer l’incertitud­e, apprécier les nuances, devenir plus patient. En somme, apprendre à vivre au conditionn­el présent jusqu’à ce que la crise soit chose du passé. Depuis le début de la crise, nos journalist­es travaillen­t d’arrache-pied pour mieux comprendre et décortique­r ces nombreuses études sur la COVID-19. Vous avez des questions ? N’hésitez pas à nous les faire parvenir. En collaborat­ion avec des collègues du journal LeSoleil et du Centre Déclic, nous vous offrons les réponses les plus précises et fouillées selon les données disponible­s. Pour consulter nos articles, rendez-vous à l’adresse suivante : www.quebecscie­nce.qc.ca/coronaviru­s

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